• Cours en visio : comme un prof de philo enfermé dans sa caverne - Libération
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    Mais voilà que cet espace de circulation de la parole qui se veut à la fois libre et encadrée (une gageure !), cet espace de perception réciproque, cet espace où le corps de l’enseignant joint son propos à l’image de son tableau, cet espace, avec le confinement, disparaît brutalement. Qu’à cela ne tienne, on lui demande de continuer les cours en « visio ». Ce nom est mal venu. Très rapidement il s’agit de désactiver les caméras car sinon les plateformes saturent. Que reste-t-il ? La voix du professeur, ne trouvant pas forcément d’écho. « Allô allô vous m’entendez ? » dit-il à 35 personnes ou plutôt « contacts », comme un marin perdu en haute mer. Un cours en « visio » peut rapidement se transformer en monologue, les élèves ayant tout le loisir de suivre ou non le cours considéré comme le bruit de fond d’une radio au volume le plus bas. Ils ne voient pas non plus les autres travailler, perdant aussi une motivation et un encouragement général comme on peut l’éprouver dans une bibliothèque.

    Les jeunes répondent souvent par « chat », mais par peur de « s’afficher » comme ils disent, ils préfèrent s’abstenir, espérant se faire oublier derrière cet écran anonyme. Quel recours a le professeur ? Les interpeller individuellement toutes les cinq minutes pour vérifier qu’ils l’écoutent tous religieusement en silence ? Commode avec des classes à 35 ! De toute façon, un flagrant délit d’inattention a une excuse toute trouvée : « Un problème de connexion ». En effet.

    Mais un « mode d’enseignement » en « visio » ne serait-il pas une sorte de panoptique inversé ? La surveillance minimale qu’un enseignant se doit d’avoir sur son élève n’existe plus : est-il présent ? attentif ? prend-il des notes ? prend-il une douche ? joue-t-il aux cartes ? aux jeux vidéo ? fait-il un concours de selfies à côté de la tête de son prof sur l’écran avec les autres élèves de la classe ?

    Finalement, la seule personne à être sous contrôle (des élèves, des parents d’élèves, de sa direction…), c’est l’enseignant. Il est cerné de toutes parts comme si les prisonniers d’un panoptique braquaient sur lui des lampes torches, il n’y voit plus rien mais tout le monde le voit. On a forcé le philosophe à entrer dans une caverne. Son espace de travail n’est pas seulement rétréci, il disparaît.

    Avec ce substitut technique, on a pu faire face heureusement à l’urgence de continuer la transmission, de finir les programmes et d’empêcher les adolescents de sombrer dans un avachissement général. Mais l’enseignement n’est pas une option entre deux techniques équivalentes, « présentiel » en semaine A, « distanciel » en semaine B. Ce qui se présentait comme une aide précieuse mais exceptionnelle pourrait bien se transformer en une destruction profonde du métier d’enseignant si on veut le pérenniser.

    #Education #Visioconférence #Ecole_sans_école