Mohamed El Khatib sur la route du deuil maternel

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  • Renault 12
    Réalisation : Mohamed El Khatib
    Année : 2017
    Disponible du 08/07/2020 au 12/09/2020
    https://www.arte.tv/fr/videos/075196-000-A/renault-12
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    Dans une épopée intime entre France et Maroc, rêverie et autodérision, le dramaturge Mohamed El Khatib interroge le deuil, l’identité et l’héritage. Un « road movie » documentaire en Renault 12...

    En février 2012, Mohamed El Khatib perd sa mère, Yamna, emportée par un cancer. Pendant des semaines, par le biais d’une petite caméra installée face à son lit d’hôpital, il a filmé leurs entretiens et leurs échanges. Dans les jours qui suivent, alors qu’avec son père et ses sœurs ils rapatrient le corps par avion d’Orléans à Tanger, puis retrouvent oncles, tantes et cousins à l’occasion des funérailles, le dramaturge capte aussi quelques images. Mêlés à d’autres matériaux documentaires, ces éclats d’amour et de deuil feront la texture d’un hommage scénique à la disparue (Finir en beauté, présenté en 2015 au Festival d’Avignon). Avec ce road movie dont il est le personnage principal, il en propose aujourd’hui une suite cinématographique.

    • Après les funérailles de sa mère, le dramaturge Mohamed El Khatib reçoit d’un oncle marocain un appel laconique, l’enjoignant d’acquérir une Renault 12 et de la descendre jusqu’au Rif, pour y toucher sa part d’un héritage qu’il ne soupçonnait pas. À travers une série de rencontres plus ou moins fortuites et de retrouvailles avec des proches de la défunte, cet étrange voyage lui permet d’évoquer l’absence et de comprendre mieux la femme qu’elle était, témoignant d’une pudeur et d’un humour constants qui donnent à ce documentaire — le premier qu’il réalise — une patte singulière. Mohamed El Khatib y jongle avec le réel et l’imaginaire, la temporalité et toutes sortes de fragments (prises de vues à l’hôpital, photos, notes personnelles, adresse à son enfant, interviews et péripéties plus ou moins véridiques…), conviant le spectateur à jouer avec lui tout au long de ce drôle de film exempt de mièvrerie. Un road-movie dans lequel l’émotion s’avère aussi légère que poignante, et qui n’esquive pas certaines dissonances, évoquant par exemple l’hostilité que sa démarche inspire à l’une de ses sœurs.

      Conçu à la suite d’un spectacle créé en 2015 au Festival d’Avignon (Finir en beauté : pièce en un acte de décès), Renault 12 signe l’acte de naissance d’un cinéaste d’une grande finesse et d’une grande fantaisie. Vivement le prochain film !

      https://www.telerama.fr/cinema/films/renault-12,n5790390.php

    • @vanderling : ce modèle de Renault a également eu un franc succès en Europe de l’Est avant la chute du bloc soviétique. Renault avait vendu ses chaînes de montage à la Roumanie communiste d’alors et la voiture était commercialisée sous le nom de ... Dacia. Elle ressemblait à s’y méprendre à l’original mais en version « low cost » et on n’en trouvait pas de ce côté-ci du rideau de fer. (Mais on s’égare un peu du sujet, là) ...

    • Un autre article sur le film :

      Du décès de sa mère, Mohamed El Khatib avait déjà tiré une pièce singulière, “Finir en beauté”. Avec “Renault 12”, il ravive son souvenir sous la forme d’une épopée intime entre la France et le Maroc. Un premier documentaire libre, à la fois tendre et grinçant.

      La mémoire retient durablement les traits de celles et ceux qu’on a aimés. Quand sa mère est tombée malade, le dramaturge Mohamed El Khatib n’a pas craint d’oublier son visage mais le grain de sa voix. C’est pourquoi il a pris soin d’enregistrer leurs conversations à l’hôpital. « Je me souviens m’être dit : “Si elle meurt, au moins ces traces resteront.” » Dans l’une d’elles, elle lui confie sentir sa fin imminente. « Je m’entends lui répondre : “Ne dis pas de bêtises”, puis embrayer sur tout autre chose. Pourquoi n’ai-je pas été capable de l’écouter et de lui demander ce qui lui ferait plaisir, qui elle aimerait voir ? Je regrette de n’avoir pas eu ce courage, d’avoir été dans le déni comme tout le monde, jusqu’aux médecins qui se gardaient de prononcer le mot “cancer”. »

      Préserver des moments et pointer les non-dits, quitte à « crever l’abcès » — deux préoccupations ancrées dans la vie de cet homme de théâtre, qui a grandi dans une famille où l’« on parlait très peu à table », et qui signe avec Renault 12 son tout premier documentaire. Il y évoque les péripéties consécutives aux obsèques de sa mère : la descente de son fils au Maroc, où l’attend un héritage dont la nature surprenante le cueillera au terme du voyage. Un retour à la mère envisagé après la création, en 2015, de Finir en beauté, pièce en un acte autour de sa maladie et de ses funérailles de part et d’autre de la Méditerranée. « J’ai joué ce spectacle plus de trois cents fois dans quatorze pays, au point que ma sœur me demande quand je vais arrêter de gagner ma vie sur le dos de la mort de maman. »

      On n’en a jamais fini avec sa mère. Après l’espace intime de la scène, Mohamed El Khatib redécouvre la femme qu’elle était dans ce road-movie original, facétieux et profond, comme certains films d’Alain Cavalier avec lesquels il entretient un étroit cousinage. Les deux hommes se connaissent d’ailleurs, et se livrent au théâtre, depuis un an et demi, à des conversations improvisées pour des publics restreints, presque en catimini.

      Comme son illustre aîné, Mohamed El Khatib filme ce qui l’entoure, retenant de son quotidien des images privées qu’il utilise parfois à l’intérieur de ses spectacles. « J’ai commencé avec un Caméscope acheté par mon père sur un marché. J’ai continué avec une caméra semblable à celle qu’Alain utilise dans Pater, dont la vision m’a convaincu que faire un film était un jeu d’enfant. »

      “Les contours de la réalité sont-ils si nets qu’il interdisent de cultiver l’ambiguïté, de flirter avec la fiction dans un documentaire ? ”

      Ludique, Renault 12 l’est de bout en bout, embarquant le spectateur dans une quête intime où l’humour et la désinvolture nimbent de pudeur la douleur de la perte et la force de l’amour filial. Qu’il suggère sa traversée de la France et de l’Espagne en déplaçant une miniature automobile sur une carte routière, ou singe Sancho Pança sur un âne dans le Rif après s’être attardé sur les terres du Quichotte, le novice s’octroie des libertés qui pourront agacer les ayatollahs du cinéma direct.

      Comme lorsqu’il fait passer pour sa sœur l’actrice algérienne Saadia Bentaïeb (120 Battements par minute), qui clame avec un naturel confondant son désaccord sur le projet du film. « Ç’aurait été dommage de me priver du point de vue de ma sœur pour la seule raison qu’elle ne voulait pas apparaître à l’écran », s’explique-t-il, un rien filou. Avant de se féliciter qu’un ami ait salué le talent de l’« acteur » interprétant son père — qui n’est autre que son père lui-même. « Les contours de la réalité sont-ils si nets qu’il interdisent de cultiver l’ambiguïté, de flirter avec la fiction dans un documentaire ? »

      À 40 ans, le fils de Yamna et Ahmed n’a pas fini de jouer comme un enfant. Comme Norah, sa fille de 3 ans dont il aurait aimé qu’elle connaisse sa grand-mère et à qui Renault 12 est dédié. « Je ne me lasse pas de la filmer au milieu de ses Lego. Sa capacité à s’amuser sérieusement en fait un modèle d’actrice », s’enthousiasme le fils devenu père, qui entend bien persévérer dans le cinéma du réel. Il s’apprête à tourner pour France 2 La Dispute, qui évoquera le divorce de quelques parents à travers le regard et les mots de leur progéniture. Et prépare avec l’historien Patrick Boucheron un duo théâtral autour des boules à neige. Encore un jeu d’enfant.

      François Ekchajzer

      https://www.telerama.fr/ecrans/renault-12-sur-arte-mohamed-el-khatib-sur-la-route-du-deuil-maternel-666270