• « Je traverserai l’Atlantique à la nage s’il le faut » : entre Etats-Unis et Europe, ces couples séparés par le Covid-19
    https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/07/22/je-traverserai-l-atlantique-a-la-nage-s-il-le-faut-entre-etats-unis-et-europ

    Frédérique était de passage en France pour envoyer leurs dernières affaires aux Etats-Unis lorsque les frontières se sont fermées. « Nous sommes à plus de 5 000 kilomètres de distance, sans espoir de nous revoir rapidement, vous imaginez ? »Depuis le 11 mai, date de la levée du confinement dans l’Hexagone, elle se sent plus seule encore. Incomprise. « Les autres ont repris le fil de leur vie, mais pas moi. » Elle enchaîne insomnies et crises d’angoisse, « j’ai peur de ne plus jamais revoir mon fils et mon mari ». Les discussions sur les groupes Facebook l’aident à tenir. Un peu. Lorsque nous échangeons avec elle, elle est sur le point de s’envoler pour le Mexique. « C’est trop dur, je n’en peux plus. Je traverserai l’Atlantique à la nage s’il le faut. » Le plus dur à supporter reste de ne pas savoir quand ils pourront rentrer, ne pas savoir s’ils auront encore un emploi, si le business qu’ils ont laissé tiendra encore debout. Ne rien pouvoir planifier.La peur, la colère. Mais le plus dur à supporter, pour tous ceux dans sa situation, reste l’incertitude : ne pas savoir quand ils pourront rentrer. Ne pas savoir ce qu’ils retrouveront sur place, quand les frontières seront rouvertes. S’ils auront encore un emploi, si le business qu’ils ont laissé tiendra encore debout. Ne rien pouvoir planifier. « Mon employeur va finir par me virer si je ne rentre pas très vite », témoigne Nicolas, dans l’agroalimentaire près de Chicago, bloqué à Lyon depuis mars. Lui vit particulièrement mal de dépendre des décisions de l’imprévisible Donald Trump. « Il a fermé le pays à certains visas de travail soi-disant pour protéger l’emploi des Américains : rien à voir avec le Covid. Et si demain, il nous chassait tous ? »
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    Et puis, il y a les galères administratives et financières, un peu plus lourdes chaque mois. « Nous continuons de payer notre loyer à Boston, les factures sur place, nous avons dû régler d’avance l’inscription pour la maternelle en septembre sans savoir si nous serons rentrés d’ici là », raconte Maria, mère d’un garçon de 4 ans. Son époux et elle séjournaient en France pour renouveler leurs visas (L1 et L2, pour les salariés envoyés par une multinationale aux Etats-Unis et leurs conjoints), quand le confinement a débuté. Ils n’ont pas pu récupérer leurs papiers avant la fermeture des ambassades, et les attendent toujours. Pendant des semaines, ils ont logé à l’hôtel, à Grenoble, avant de se résoudre à louer un petit appartement. Des amis leur ont prêté des affaires pour tenir. « Comment expliquer la situation à notre fils ?, s’interroge Maria. Je ne suis pas une très bonne mère en ce moment. Je suis si chamboulée. »
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    De son côté, Nicolas est épuisé. Pour garder son emploi, il accepte les conférences à distance avec ses clients à toute heure. « Avec le décalage, elles sont tard le soir, mais, de toute façon, je ne dors plus à cause du stress. » Laurence, elle, en est à « sa dixième étape d’hébergement ». « Depuis mars, j’ai logé chez des amis, mes deux fils, d’autres amis : on a peur de déranger, on ne se sent pas chez soi », confie-t-elle. Malaise, inconfort : Laurence a la sensation « d’être prise en otage ». Pour occuper ses journées, elle écrit aux consulats, aux ambassades, « j’ai même envoyé un e-mail à la Maison Blanche ! »
    Des vies bouleversées

    Lorsqu’elles arrivent, les réponses ont souvent la même teneur. On rassure : tout cela est temporaire. On conseille de patienter, de se méfier des fausses rumeurs circulant sur les réseaux sociaux. « Mais les choses commencent à bouger : la Commission européenne est consciente du problème, et certains pays, comme le Danemark, ont instauré des exceptions pour permettre aux couples non mariés de se retrouver », détaille M. Körner.

    « Pour ma génération, née après la création de l’espace Schengen, découvrir la réalité des frontières est un choc. » Florence, 24 ans

    En attendant, beaucoup voient leurs choix de vie remis en question. Après quatre ans à San Francisco, Antoine est rentré à Paris en janvier pour se rapprocher de ses parents. Neela, sa compagne de nationalité indienne, ingénieure à Palo Alto, devait le rejoindre cet été. « Mais maintenant, elle hésite », souffle-t-il. Elle craint de ne jamais pouvoir retourner aux Etats-Unis si elle part. « Ces interdictions vont détruire notre couple. J’ai peur qu’il ne survive pas à une séparation prolongée », s’inquiète Antoine.

    Battina, elle, est rentrée en France en mars pour l’accouchement de sa fille. Son époux, ingénieur expatrié à Pasadena dans une multinationale, n’a pas pu les rejoindre à temps. « Pour l’instant, je ne peux pas retourner en Californie. Nous devions visiter Yellowstone cet été, explorer les grands parcs : c’était mon rêve américain. Tout est à l’eau », regrette-t-elle. Surtout : le couple ignore ce qu’il fera lorsque le contrat d’expatriation arrivera à terme, dans quelques mois. Rester ? Rentrer ?
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    Pour tous, la perspective d’un monde où le Covid-19 sera durablement présent, où les pays sont susceptibles de se fermer aux étrangers en cas de nouvelle flambée de l’épidémie, est vertigineuse. Elle bouleverse les vies, suspend les projets d’expatriation et les rêves d’ailleurs. « Pour ma génération, née après la création de l’espace Schengen, découvrir la réalité des frontières et l’impossibilité de voyager est un choc », confie Florence. Comme elle, les moins de 30 ans ont le sentiment d’assister à un basculement. « Un peu comme celui qu’ont vécu nos parents en 1989, avec la chute du communisme, résume Alex, contraint de renoncer au stage qu’il avait décroché dans un cabinet d’avocats new-yorkais. Eux ont vécu le triomphe de la liberté. Nous, nous assistons au retour des murs. »

    Marie Charrel
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