Pensions alimentaires : l’enfer est pavé de bonnes intentions

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    Le meilleur recouvrement des pensions impayées par les pères permet de diminuer les dépenses publiques mais n’augmente pas toujours le revenu des mères isolées. Il conduit même à une baisse dans certains cas.

    Au cours du mouvement des gilets jaunes, les femmes ont joué un rôle majeur. A cette occasion, des mères isolées avaient mis en avant en particulier les difficultés et la précarité spécifiques qu’elles vivent au quotidien lorsque leur ex-conjoint ne paie pas la pension alimentaire due pour l’entretien de leurs enfants. Le ministère des Solidarités et de la Santé estime en effet que 30 % à 40 % de ces pensions sont partiellement ou totalement impayées.

    Suite au grand débat national, ­Emmanuel Macron avait annoncé, lors de son allocution du 26 avril 2019, le renforcement de l’aide au recouvrement des contributions à l’éducation et l’entretien des enfants (CEEE) – le nom officiel de ces « pensions alimentaires » – auprès des pères débiteurs. « On ne peut pas faire reposer sur des mères seules qui élèvent leurs enfants (…) l’incivisme de leurs anciens conjoints », avait-il indiqué alors. Pour atteindre cet objectif, les caisses d’allocations familiales (CAF) ont depuis recruté massivement des gestionnaires affectés à cette tâche. Mais suffira-t-il de mieux recouvrer ces pensions alimentaires pour améliorer le niveau de vie des mères isolées et de leurs enfants ? Pas sûr.

    Pour les parents isolés aux revenus les plus faibles, la solidarité nationale prend en effet le relais des ex-conjoints défaillants en cas d’impayé de pensions alimentaires. La loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a mis en place la garantie des impayés de pensions alimentaires (Gipa), qui assure le versement d’un montant égal à l’allocation de soutien familial (ASF, environ 115 euros par enfant par mois) lorsque l’ex-conjoint ne paie pas ce qu’il doit au titre de l’éducation et de l’entretien de ses enfants. Au-delà de ce dispositif spécifique, le RSA et la prime d’activité garantissent un revenu minimum à toutes les personnes éligibles. Les parents isolés, qui sont le plus souvent des femmes, peuvent en outre bénéficier de majorations permettant de tenir compte de leur situation familiale.
    Incohérence du système socio-fiscal

    Un meilleur recouvrement des pensions contribuera donc à faire baisser les dépenses sociales. Il n’y a en effet aucune raison pour que le système social se substitue au parent débiteur si ce dernier est en mesure de payer la CEEE. A priori, lui faire payer les sommes dont il est redevable devrait également améliorer le revenu disponible du parent qui reçoit la pension et donc le niveau de vie des enfants. Mais, en pratique, ce n’est pas toujours le cas. En effet, le recouvrement pourrait conduire à une baisse du revenu disponible de certaines mères isolées (le parent créditeur est le plus souvent la mère), en raison du traitement de cette catégorie de revenu dans le système fiscal et social.

    Le versement d’une pension alimentaire est considéré comme un transfert au titre de l’impôt sur le revenu : le parent débiteur la déduit de son revenu imposable, le parent créditeur doit l’ajouter au sien

    Le versement d’une pension alimentaire est considéré comme un transfert au titre de l’impôt sur le revenu (IR). Ainsi, le parent débiteur déduit la pension versée de son revenu imposable mais, en contrepartie, le parent créditeur doit l’ajouter au sien. Pour le calcul des prestations familiales sous conditions de ressources et des aides au logement, on considère également la pension alimentaire comme un revenu (en plus ou en moins).

    Mais pour le RSA et la prime d’activité, le mode de calcul revient à comptabiliser deux fois les CEEE dans les revenus des parents. La mère qui a la garde des enfants doit déclarer les CEEE reçues, ce qui réduit d’autant le montant de son RSA ou de sa prime d’activité (par un mécanisme différentiel), mais le père ne peut pas les déduire de ses revenus, ce qui limite ses droits à ces deux prestations.

    Au total, le traitement des CEEE dans l’impôt sur le revenu, le RSA et la prime d’activité implique que leur versement effectif améliore la situation des mères isolées qui ne sont pas éligibles aux prestations sociales (y compris la prime d’activité) mais pas celui des mères isolées ayant de faibles ressources. En effet, la baisse du RSA ou de la prime d’activité suite au versement de la pension compense exactement la hausse de revenu induite par ce versement (substitution de la solidarité familiale à la solidarité collective). En l’absence de tout autre transfert social, le versement de la CEEE est donc sans effet sur le revenu disponible des mères isolées aux revenus faibles et moyens.
    Perte de prestations sociales

    Mais au-delà de ces deux transferts sociaux (RSA et prime d’activité), les pensions alimentaires sont également prises en compte pour le calcul des aides au logement, des prestations familiales sous conditions de ressources et de l’ensemble des tarifs sociaux basés sur un quotient familial (tarifs préférentiels de la cantine et des activités périscolaires, par exemple). Au final, pour les mères élevant seules leurs enfants, la baisse de l’ensemble des prestations sociales peut être supérieure au montant de la pension reçue. Reste évidemment le cas des parents isolés qui y auraient droit mais qui ne recourent pas au RSA ou à la prime d’activité. Pour eux, le versement de la CEEE accroît certes mécaniquement le niveau de vie, mais le non-recours aux prestations constitue un dysfonctionnement du système social qui ne peut être érigé en vertu.

    Une mère ayant la garde principale de ses deux enfants et gagnant le Smic peut ainsi perdre jusqu’à 160 euros par mois suite au recouvrement de la pension alimentaire

    Une mère ayant la garde principale de ses deux enfants et gagnant le Smic peut ainsi perdre jusqu’à 160 euros par mois suite au recouvrement de la CEEE due par l’ex-conjoint. En effet, si cette pension est de 400 euros, son versement entraîne la perte de l’ASF (231 euros pour deux enfants) mais aussi une baisse de 213 euros de la prime d’activité et de 116 euros du montant des aides au logement, soit au total une diminution de 560 euros des prestations sociales reçues. A cela, s’ajoute l’augmentation du coût des services dont le tarif est calculé sur la base du quotient familial (crèche, cantine, périscolaire, etc.).

    En attendant une mise en cohérence du traitement des pensions alimentaires dans le système socio-fiscal, la solution la plus optimale pour les ex-conjoints serait que le parent débiteur paie directement une partie des dépenses qui concernent les enfants (loisirs, vêtements, transports, fournitures scolaires, etc.). Ces contributions en nature ne sont en effet pas considérées comme un transfert de revenu et échappent ainsi aux inconvénients décrits précédemment. Malheureusement, cette solution repose évidemment sur une entente entre les parents, ce qui n’est justement pas le cas dans les situations d’impayés de pension.

    Pour améliorer le niveau de vie des familles monoparentales, il ne suffit donc pas de mieux recouvrer les pensions dues. Il faudrait avant tout revoir l’articulation du paiement des CEEE avec le système social et fiscal, ce qui n’est manifestement pas à l’ordre du jour pour l’instant. La chasse aux impayés ne serait-elle au bout du compte qu’un moyen de réduire les dépenses sociales ?