• Rénovation énergétique : Saint-Gobain à la tête du groupe de travail sur les politiques publiques
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    Pour établir son plan d’éradication des passoires thermiques, le gouvernement n’a pas convié ONG et associations, choisissant de confier la coordination d’une « task force » au leader mondial de l’isolation et du double vitrage.
    Par Emeline Cazi

    Sur la photo publiée fin juillet sur le fil Twitter de la ministre du logement, onze hommes et six femmes posent fièrement aux côtés d’Emmanuelle Wargon. « La filière de la rénovation énergétique sera au rendez-vous de la relance. Merci à Pierre-André de Chalendar et à la task force qu’il a réunie pour ce beau travail et ces propositions qui nous permettront d’avancer tous ensemble », légende la ministre.

    Deux mois plus tôt, dans une lettre des plus officielles, celle qui était encore secrétaire d’Etat à la transition écologique du gouvernement d’Edouard Philippe proposait au PDG de Saint-Gobain, leader mondial de l’isolation et du double vitrage, de piloter « une task force resserrée » sur la rénovation du bâti. La France réfléchit alors à son plan de relance. « L’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments (…) apparaît à l’évidence comme un candidat privilégié dans le cadre de ce plan », justifiait-elle. Pas besoin de grand rapport. Mais « un petit nombre de mesures et d’engagements opérationnels clairs » à lister d’ici à fin juillet « afin d’assurer leur prise en compte dans l’élaboration du plan de relance ».

    Pierre-André de Chalendar ne s’est pas fait prier et a aussitôt réuni à ses côtés les professionnels de l’énergie (Total, Schneider Electric, Engie), mais aussi des banquiers et les fédérations du bâtiment et de l’immobilier. Ni plus ni moins que la réunion de deux comités stratégiques de filière, interlocuteurs réguliers de Bercy, décrypte Emmanuelle Wargon. Les auditions ont duré un mois. Et c’est dans une ambiance joyeuse, tous persuadés d’avoir réussi à faire entendre leur voix, qu’ils remettaient, le 22 juillet, leurs vingt propositions à la ministre.

    Associations et ONG pas conviées

    A la veille de la présentation du plan de relance, alors qu’une part importante doit être consacrée à la rénovation énergétique, le citoyen ne saura pas sur quelles bases seront rendus les arbitrages. Les associations et ONG pas davantage. Pour la simple et bonne raison que celles-ci n’ont pas été associées à la concertation. « Nous connaissons les travaux du plan bâtiment durable », se défend la ministre. « L’essentiel du travail a été confié aux industriels », rétorque Danyel Dubreuil, coordinateur du collectif Rénovons, qui regroupe une quarantaine d’organisations de la société civile, et qui déplore qu’il ait « fallu frapper à la porte et qu’on nous introduise pour être auditionnés ».

    La méthode interroge sur la manière d’élaborer la politique publique en 2020. « Quand autant de milliards sont en jeu, il faudrait une forme de contrôle », confirme Guillaume Courty, professeur de science politique à Lille et spécialiste des groupes d’intérêts. Il fut un temps où l’expertise provenait des ministères. « Mais les dispositifs qui permettaient de mettre en regard tous les intérêts susceptibles de rentrer en conflit ont commencé à être démantelés à la fin des années 1990, explique le chercheur. L’époque Macron est le point terminal. »
    Qu’un gouvernement lance des consultations est somme toute assez banal. Mais la manière de composer les groupes de travail, « qui sont une forme de société civile miniature », « renseigne sur les personnes par lesquelles l’Etat accepte d’être influencé », décrypte Antoine Vauchez, directeur de recherche au CNRS au centre européen de sociologie et de science politique.

    La manière de composer les groupes de travail « renseigne sur les personnes par lesquelles l’Etat accepte d’être influencé »
    Or, sur les questions environnementales, l’enjeu est considérable. Personne ne discute l’impérieuse nécessité de rénover le bâti. Mais encore faut-il veiller à sa mise en œuvre, mettait en garde, cet été, l’architecte Erik Mootz, dans une tribune publiée dans Le Monde. Ce dernier s’alarmait de l’effet désastreux de politiques de transition écologique qui entraînent « une accélération du réchauffement climatique » faute d’outils scientifiques fiables.

    Début juillet, le patron de Saint-Gobain, lui, se montrait plus confiant sur l’avenir. Mais c’est de la santé de son entreprise qu’il parlait. « On va avoir un plan et on va pouvoir surfer sur la rénovation énergétique pendant cinq ans », se réjouissait-il. « Il y a beaucoup d’argent à Bruxelles », ajoutait-il, espérant alors une seule chose : « Que les gouvernements des différents pays embrayent aussi. »