Entre mort et vie, la zone grise du Covid-19

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  • Entre mort et vie, la zone grise du Covid-19
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    Editorial. Alors que les bilans et les projections s’attachent à dénombrer cas, hospitalisations et décès, ils laissent dans l’ombre une dimension majeure de la maladie : ses formes longues et les séquelles associées.

    Compter les morts. L’image du directeur général de la santé, chaque soir à la télévision, dénombrant les décès du jour, restera l’un de marqueurs de la première vague de la pandémie engendrée par le SARS-CoV-2. Alors que tous les signaux épidémiologiques pointent la menace, au-delà du rebond actuel, d’une deuxième vague dans les prochaines semaines, ce chiffre a cédé la place à d’autres indicateurs : nombre de cas positifs, taux de positivité parmi les tests effectués, hospitalisations… Le fait que l’accent ne soit pas mis sur le nombre des morts, il est vrai bien plus faible qu’au printemps, est interprété par certains comme le signe de la poursuite d’une « gestion par la peur » d’une épidémie qui serait terminée ou presque.

    D’autres, parmi lesquels des modélisateurs, notent à raison que la faible mortalité est un leurre : il existe un décalage de plusieurs semaines entre la contamination et le décès, qui touchait à la fin du printemps entre 0,5 % et 1 % des personnes infectées, malgré les progrès accomplis dans la prise en charge. La nature exponentielle de la diffusion du virus, favorisée par son portage par des personnes asymptomatiques, est justement caractérisée par une augmentation massive précédée par une circulation à bas bruit. Une partie des cas d’aujourd’hui seront les morts de demain, selon une mécanique implacable, enrayée par le confinement et une période estivale passée hors des lieux clos, mais qui s’est à nouveau enclenchée.

    Cette opposition qui mobilise aujourd’hui le débat public – extinction ou relance de l’épidémie, avec sa focalisation sur la mortalité – en dissimule une dimension essentielle. Le SARS-CoV-2 ne fait pas que tuer : en déclenchant une réaction incontrôlée des défenses immunitaires, en s’insinuant dans de multiples organes, dont le système nerveux, il engendre des atteintes dont la durée et la réversibilité ne sont pas encore connues. Même chez des personnes non hospitalisées, y compris jeunes et sans facteurs de co-morbidité, il peut provoquer un affaiblissement général associé à des symptômes dont le spectre et la sévérité commencent tout juste à être appréhendés.

    Questions complexes

    Ce phénomène n’est pas inédit en infectiologie : d’autres virus laissent leur marque, parfois indélébile, sur les personnes infectées puis « guéries ». On peut donc craindre, même si le taux de létalité reste faible, un niveau élevé de séquelles et de formes longues, voire chroniques.

    Les récits des patients font douloureusement écho à certaines errances diagnostiques kafkaïennes dont la médecine a le secret. Insuffisamment dépistés au début de l’épidémie faute de tests, confrontés à une sérologie capricieuse, ils peinent parfois à être pleinement identifiés comme des malades du Covid-19. Des médecins, peu formés à ces formes inédites, leur accolent le statut infamant de « malades imaginaires » – stigmatisation qui s’ajoute au basculement dans l’invalidité.

    Comment l’Assurance-maladie, la médecine du travail, l’assurance-chômage, etc., vont-elles faire entrer cette nosographie nouvelle dans leurs nomenclatures ? Comment les reconnaissances en affection de longue durée, voire en maladie professionnelle, seront-elles organisées ? Comment les services médicaux vont-ils prendre en charge ces formes déroutantes de la maladie ? Comment la recherche va-t-elle tenter d’y répondre ? Ces questions-là ne sont pas moins complexes et urgentes que celles déjà immenses posées par le nouveau coronavirus. Une polarisation réductrice – la guérison ou la mort – ne doit pas les occulter.