• La #Suisse découvre son « #colonialisme_sans_colonies »

    Les mouvements de contestation contre le racisme « #Black_Lives_Matter », nés aux États-Unis, essaiment en Suisse avec une vigueur surprenante. Pourquoi ?

    L’élément déclencheur a été une vidéo dévoilant la violence extrême d’un officier de police blanc ayant entraîné la mort de l’Afro-Américain George Floyd à la fin du mois de mai dans la ville de Minneapolis, aux États-Unis. Cette vidéo a été relayée sur les réseaux sociaux du monde entier et, à la mi-juin, des milliers de personnes – essentiellement des jeunes – sont descendues dans les rues, y compris dans les villes suisses, pour manifester contre le racisme. Sous le slogan « Black Lives Matter », les manifestations se sont déroulées la plupart du temps de manière pacifique et ont été tolérées par les autorités, moyennant le respect des restrictions en vigueur dans l’espace public pour endiguer le coronavirus.

    La vague de contestation déclenchée en Suisse par un événement international n’est pas étonnante en tant que telle. Ce qui est exceptionnel, c’est plutôt la manière dont le racisme ordinaire vis-à-vis des gens de couleur noire y est devenu un sujet d’actualité brûlant, alors que la Suisse n’a jamais été une puissance coloniale active, ni un pays dans lequel l’autorité publique s’exprime de manière manifestement discriminatoire contre les personnes n’ayant pas la peau blanche.

    « La Suisse n’est pas un îlot à l’abri des problèmes »

    « Il me semble que la génération des jeunes prend de plus en plus conscience que la Suisse n’est, sur ces questions, pas un îlot à l’abri des problèmes », relève l’historien Bernhard C. Schär. « C’est étonnant en réalité, ajoute-t-il, car ces sujets ne sont toujours guère abordés à l’école. » Bernhard C. Schär mène des recherches à l’EPF de Zurich et fait partie d’un groupe d’historiens qui s’efforcent de promouvoir une relecture critique de l’#histoire de la #Suisse_mondialisée.

    Cette vision souvent refoulée de la Suisse trouve toujours plus de résonance. Notamment parce qu’elle tient compte de la réalité : 40 % des personnes vivant en Suisse sont issues de l’immigration. Et 70 % des employés des entreprises suisses travaillent à l’étranger. « L’histoire de la Suisse ne se déroule pas, et ne s’est jamais déroulée, uniquement en Suisse et en Europe. » C’est la raison pour laquelle de moins en moins de personnes se reconnaîtraient dans un récit qui se concentrerait uniquement sur la Suisse dans ses frontières. L’approche plus ouverte du passé de la Suisse fait que l’on tombe automatiquement sur des traces de colonialisme et de #racisme.

    Les Suisses s’en rendent compte aussi dans leur vie quotidienne. D’après un rapport du Service national de lutte contre le racisme, 59 % d’entre eux considèrent le racisme comme un problème important, et 36 % des personnes issues de l’immigration vivant en Suisse ont subi des discriminations au cours des années analysées (entre 2013 et 2018), principalement dans un contexte professionnel ou lors de la recherche d’un emploi.

    À cela s’ajoute le fait que pour les jeunes Suisses, il est aujourd’hui normal d’avoir des camarades d’une autre couleur de peau. Et la « génération YouTube » approfondit aussi le sujet du racisme grâce aux médias sociaux. Les clips d’animateurs de télévision noirs américains comme Trevor Noah, né en Afrique du Sud d’un père suisse immigré, trouvent également un public en Suisse. Cela stimule le besoin de s’emparer de la brutale agression raciste ayant eu lieu aux États-Unis pour s’interroger sur la situation en Suisse, d’autant plus que le pays compte également des cas de violences policières. En 2018, par exemple, un homme noir est décédé à Lausanne d’un arrêt respiratoire après que des policiers l’ont plaqué au sol.

    Des #monuments contestés

    En Suisse, un grand nombre de monuments historiques sont susceptibles d’attiser les colères antiracistes. Par exemple, les statues érigées en l’honneur de pionniers de l’économie ou de scientifiques suisses dont les implications dans la pratique coloniale de l’exploitation ont longtemps été niées. Comme le négociant neuchâtelois #David_de_Pury, qui fit fortune à la cour portugaise au XVIIIe siècle notamment grâce au #trafic_d’esclaves et qui légua ses biens à la ville de #Neuchâtel où il a sa statue en bronze. Après les manifestations « Black Lives Matter », des militants antiracistes ont barbouillée celle-ci de peinture rouge sang et lancé une pétition pour qu’elle soit déboulonnée.

    Longtemps larvée, la controverse autour du brillant glaciologue Louis Agassiz, qui développa au XIXe siècle une théorie raciste avec laquelle les États-Unis légitimèrent la discrimination de leur population noire, a repris de l’ampleur. En Suisse, un sommet montagneux porte le nom du savant à la frontière entre les cantons de Berne et du Valais. Un comité emmené par l’historien Hans Fässler demande depuis 15 ans qu’il soit rebaptisé. Les trois communes concernées s’y opposent toutefois fermement.

    Des accusations sont également portées contre la figure d’Alfred Escher, pionnier de l’économie zurichois. Sa famille, largement ramifiée, possédait des plantations à Cuba, où travaillaient des esclaves. Et même Henri Dunant, qui fonda le Comité international de la Croix-Rouge, s’était livré avant cela à des activités coloniales. À Sétif, en Algérie, il avait fondé une société financière pour un producteur de céréales genevois, apprend-on dans l’ouvrage « Postkoloniale Schweiz » (La Suisse post-coloniale, non traduit), publié par des historiennes suisses.

    Ce même ouvrage montre que si de riches entrepreneurs profitèrent du « colonialisme sans colonies » de la Suisse, ce fut aussi le cas de citoyens des classes moyenne et inférieure de la société. Par exemple, les mercenaires qui se sont battus dans les colonies françaises au sein de la Légion étrangère. Vu sous cet angle, l’héritage de la contribution suisse au colonialisme, longtemps nié, devient un sujet allant bien au-delà de l’éventuel déboulonnage des statues.

    Alimenté par les mouvements de protestation, le débat sur la manière dont un racisme structurel d’État impacte la vie des Noirs aujourd’hui en Suisse est plus récent. La majorité des personnes qui s’expriment publiquement indiquent que le profilage racial – soit les contrôles au faciès et les soupçons de la police et des autorités fondés sur la couleur de la peau et des cheveux – fait partie de leur quotidien. Un rapport de l’ONU reproche à la Suisse d’en faire trop peu contre le profilage racial.

    L’artiste Mbene Mwambene, originaire du Malawi et vivant à Berne, dit que le racisme qu’il rencontre en Suisse est, contrairement aux États-Unis, plutôt « caché » et traversé par des stéréotypes contradictoires. D’une part, relate-t-il, on attend de lui qu’en tant qu’Africain, il sache très bien danser. D’autre part, il est souvent arrêté et fouillé pour vérifier qu’il ne détient pas de drogue.

    Les autorités policières suisses contestent avoir recours au profilage racial. Avant d’entrer en fonction, les policiers suivent en Suisse une formation de base de deux ans pendant laquelle ils sont confrontés aux questions des jugements de valeur et du respect des droits humains. Les contrôles au faciès sont un thème systématiquement abordé dans la formation des policiers, confirme par exemple le chef de la police saint-galloise Fredy Fässler (PS).

    Les intellectuels de couleur vivant en Suisse ont clairement contribué à la montée en puissance des débats sur le racisme en Suisse. Ils se sont fédérés et ont mis en avant des personnalités qui parviennent à faire entrer dans le débat public la réalité du racisme qu’elles subissent au quotidien. Des docteures en sciences comme l’anthropologue afro-suisse Serena Dankwa sont régulièrement interviewées par les médias publics. Un point central de l’argumentation de cette dernière trouve toujours plus d’écho : elle invite à reconnaître enfin le lien entre l’ancienne vision coloniale raciste de l’Afrique, toujours répandue y compris en Suisse, et les discriminations systématiques d’aujourd’hui, qui touchent toutes les personnes de couleur.

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    David De Pury (1709–1786)

    L’ascension économique du Neuchâtelois David De Pury se fit au Portugal, où il se livra tout d’abord au commerce de diamants avec le Brésil avant de prendre part à la traite des esclaves à grande échelle. La compagnie de transport « Pernambuco e Paraiba », dont il était actionnaire, déporta entre 1761 et 1786 plus de 42 ?000 Africains capturés. En 1762, David De Pury fut appelé à la cour du roi du Portugal. Il légua son immense fortune à la ville de Neuchâtel. Celle-ci s’en servit pour construire les bâtiments qui lui confèrent aujourd’hui son caractère particulier.
    Louis Agassiz (1807–1873)

    Au début de sa carrière, le Fribourgeois Jean Louis Rodolphe Agassiz se consacra à l’étude des glaciers et des fossiles de poissons. Après son déménagement aux États-Unis (en 1846), il devient un professeur très en vue à l’université de Harvard. Ce qui pose problème, ce sont les théories racistes que Louis Agassiz développa et promut aux États-Unis. S’étant donné pour mission de prouver scientifiquement l’infériorité des esclaves noirs, il les décrivait comme une « race corrompue et dégénérée ». Il devint un défenseur véhément et influent de la ségrégation raciale.
    Alfred Escher (1819–1882)

    Le zurichois Alfred Escher, leader économique, pionnier du chemin de fer, fondateur du Crédit Suisse et politicien, eut une influence inégalée sur le développement de la Suisse au XIXe siècle (il est ici portraituré en tant que président du Conseil national en 1849). De son vivant déjà, sa famille fut accusée de profiter de l’esclavage. Les choses se sont clarifiées avec la publication de recherches historiques en 2017 : la famille Escher possédait une plantation de café à Cuba, où des esclaves surveillés par des chiens travaillaient 14 heures par jour.

    https://www.revue.ch/fr/editions/2020/05/detail/news/detail/News/la-suisse-decouvre-son-colonialisme-sans-colonies
    #colonialisme #colonisation #résistance #mémoire #Louis_Agassiz #Alfred_Escher #Cuba #esclavage #plantations #Henri_Dunant #Sétif #Algérie #mercenaires #Légion_étrangère #Brésil #diamants #Pernambuco_e_Paraiba #Crédit_Suisse #café

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    Ajouté à la méaliste sur la Suisse coloniale :
    https://seenthis.net/messages/868109

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  • La question cruciale de l’économie mondialisée

    Les #multinationales suisses doivent-elles répondre des dommages qu’elles causent aux êtres humains et à l’environnement dans d’autres parties du monde ? C’est ce qu’exige l’#initiative_pour_des_multinationales_responsables déposée en 2016. Après des années de débats au Parlement, le peuple suisse aura le dernier mot dans les urnes le #29_novembre_2020.

    En Zambie, les habitants vivant près d’une mine de cuivre souffrent de maladies respiratoires en raison des nuages de soufre. En Australie, dans la ville minière de Mount Isa, un enfant sur quatre présente une concentration excessive de plomb dans le sang. Ces deux exemples mettent en cause les rejets nocifs d’entreprises appartenant majoritairement à Glencore, groupe suisse de matières premières. Dans le cas de la mine de cuivre de Zambie, les valeurs limites de l’Organisation mondiale de la Santé ont parfois été largement dépassées. Entre-temps, les exploitants ont arrêté l’ancien four de fusion. De manière générale, Glencore souligne avoir déjà fait beaucoup pour réduire sa pollution. En Australie, le groupe a même financé des spots télévisés montrant aux ménages par quelles méthodes de nettoyage se débarrasser de la poussière contaminée. Les observateurs critiques relèvent qu’on ne s’attaque ainsi qu’aux symptômes.

    D’autres groupes suisses de matières premières sont régulièrement critiqués pour leurs pratiques. Ainsi, il n’est pas exclu que l’or brut raffiné par des entreprises suisses provienne de mines douteuses, où règnent des conditions de travail contraires aux droits humains (cf. « Revue » 3/2019).

    Par l’initiative « #Entreprises_responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement » (en abrégé : initiative pour des multinationales responsables), une coalition de 120 œuvres de bienfaisance, églises, syndicats, organisations de défense de l’environnement et des droits humains entendent obliger les multinationales à faire davantage face à leurs responsabilités. 1500 entreprises sont concernées.

    Les multinationales seraient ainsi non seulement tenues à un devoir de diligence, mais devraient aussi répondre des dommages qu’elles – ou les entreprises qu’elles contrôlent – causent en violant des droits humains ou des normes environnementales. Concrètement, les personnes lésées pourraient demander réparation auprès d’une juridiction civile suisse. Pour échapper à sa responsabilité, l’entreprise visée devrait prouver qu’elle a tout fait pour remplir ses devoirs de diligence.

    Âpre lutte au Parlement

    L’initiative effraie les milieux économiques, qui y voient une menace pour leurs activités internationales et la liberté entrepreneuriale. D’après les sondages, la population y semble au contraire très favorable. Une âpre lutte s’est jouée au Parlement fédéral autour d’un projet de compromis. Le Conseil national voulait aller dans le sens des initiants et inscrire de nouvelles règles de responsabilité pour les entreprises dans le droit des sociétés anonymes.

    Le Conseil des États, dont la majorité considère cette régulation comme inutile et dommageable pour l’économie, s’y est cependant opposé. Finalement, les deux Chambres se sont mises d’accord sur un contre-projet indirect édulcoré. Celui-ci prévoit que les entreprises ne seront tenues que d’indiquer comment elles remplissent leurs obligations de diligence dans leur rapport d’activité. Cette réglementation est comparable à l’obligation de faire rapport de l’Union européenne (voir encadré) et entrerait automatiquement en vigueur en cas de rejet de l’initiative.
    « Un contre-projet alibi »

    Dick Marty, coprésident de l’initiative, parle d’un « contre-projet alibi inefficace ». L’ancien procureur tessinois et conseiller aux États PLR relève : « Nous savons tous et toutes que ce sont justement les grandes multinationales les moins scrupuleuses qui aiment le plus publier des brochures sur papier glacé. » L’ancien rapporteur spécial du Conseil de l’Europe souligne que « les multinationales ne feront des affaires correctement que lorsque les violations des droits humains porteront à conséquence ».

    Pour ses opposants des cercles économiques et des partis bourgeois, l’initiative va beaucoup trop loin. Ainsi, la conseillère aux États lucernoise PDC Andrea Gmür s’offusque en particulier du « renversement du fardeau de la preuve ». Le fait qu’en cas d’action en responsabilité, les entreprises doivent prouver leur innocence est, selon elle, contraire aux principes de l’état de droit et provoquerait des « chantages au procès organisés de l’étranger ». Il ne faut pas « jeter une suspicion généralisée sur les entreprises », affirme la politicienne qui siège à la direction de l’IHZ, chambre industrielle et commerciale de Suisse centrale.
    Automne brûlant

    La campagne politique prendra certainement de l’ampleur début octobre, après la votation géante du 27 septembre (cf. « Revue » 4/2020). Outre celui du PS et des Verts, les initiants peuvent compter sur le soutien d’un comité citoyen regroupant des membres de tous les partis. Avec la création de comités locaux dans des villages et des quartiers, ils misent aussi sur l’engagement de bénévoles issus de la société civile.

    Dans le camp opposé, la puissante association faîtière Economiesuisse orchestre la campagne du non. L’objectif est de corriger l’image des multinationales prétendument sans scrupules et de montrer comment les entreprises suisses contribuent par exemple à la création d’emplois dans les pays en développement.

    https://www.revue.ch/fr/editions/2020/05/detail/news/detail/News/la-question-cruciale-de-leconomie-mondialisee

    #initiative #votation #Suisse

    • Le site web de l’initiative :

      Il existe d’innombrables cas de multinationales violant les droits humains et détruisant des écosystèmes, et ce, depuis des décennies. Les sociétés suisses ne font pas exception. Les exemples suivants montrent comment certaines multinationales suisses sont impliquées dans des cas de violations de droits humains ou d’atteintes à l’environnement, et ce que l’initiative pour des multinationales responsables changerait à cette situation.


      https://initiative-multinationales.ch

      #multinationales_responsables

    • Nouvelles règles pour les entreprises suisses  : obligation de #rendre_compte et #devoir_de_diligence limité

      #Contre-projet indirect à l’initiative pour des multinationales responsables

      Le 29 novembre 2020, l’initiative populaire «  Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement  », plus connue sous le nom d’«  Initiative pour des multinationales responsables  », a échoué, car elle n’a pas obtenu la double majorité du peuple et des cantons. Selon toute vraisemblance, le contre-projet indirect adopté par le Parlement sera donc mis en œuvre. Il introduit une obligation générale de faire rapport et un devoir de diligence limité aux sujets du travail des enfants et des minéraux provenant de zones de conflit.
      L’initiative pour des multinationales responsables échoue devant les cantons

      Le 29 novembre 2020, l’initiative pour des multinationales responsables (IMR), acceptée par une courte majorité du peuple, mais rejetée par une majorité des cantons, a échoué sur l’écueil de la double majorité. En conséquence, le contre-projet indirect du Parlement entrera automatiquement en vigueur, à moins qu’il ne fasse l’objet d’un référendum. Dans ce cas, le peuple se prononcerait sur la révision du droit de la société anonyme que propose ce contre-projet, une votation pour laquelle la double majorité n’est pas requise.
      Les demandes de l’initiative  : devoir de diligence général et responsabilité civile

      Pour l’essentiel, l’IMR demandait que les entreprises suisses respectent aussi à l’étranger les normes environnementales et les droits humains reconnus à l’échelle internationale et répondent du dommage causé par le biais de la responsabilité civile. Si elle avait été acceptée, les entreprises ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur établissement principal en Suisse auraient été tenues de faire preuve d’une diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement. Concrètement, elles auraient dû examiner quelles sont les répercussions effectives et potentielles de leurs pratiques sur les droits humains internationalement reconnus et sur l’environnement, prendre des mesures appropriées en vue de prévenir toute violation en la matière, mettre fin aux violations existantes et rendre compte des mesures prises. L’étendue de la diligence raisonnable exigée des entreprises aurait été fondée sur les risques concrets et se serait alignée sur les normes internationales, telles que les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. L’initiative prévoyait une responsabilité civile pour les entreprises qui violent les droits humains et les normes environnementales dans leurs activités commerciales et qui ne font pas preuve de la diligence requise.
      Une initiative et deux contre-projets

      Lancée en 2015, l’IMR a abouti en 2016. En 2017, le Conseil fédéral a recommandé au Parlement, dans son message, de rejeter l’initiative sans lui opposer de contre-projet, indiquant qu’il préférait la voie des mesures volontaires. Le Conseil national n’a pas suivi la recommandation de l’exécutif et a adopté, en juin 2018, un contre-projet indirect dans le cadre de la révision du droit de la société anonyme. Ce contre-projet faisait siennes plusieurs des revendications principales de l’initiative, et notamment l’introduction d’un devoir de diligence général et d’une responsabilité civile (moins étendue toutefois que celle demandée par l’initiative). En 2020, le Conseil des États a rejeté la proposition de la chambre du peuple et adopté son propre contre-projet indirect.

      Pendant l’examen parlementaire, le comité d’initiative a annoncé qu’il retirerait l’initiative si le contre-projet du Conseil national était accepté, mais qu’il la maintiendrait si c’était celui du Conseil des États qui passait la rampe. En juin 2020, les Chambres fédérales ont fini par opter pour cette deuxième variante, de sorte que l’initiative a été soumise au peuple et aux cantons.
      Contre-projet indirect  : obligation de faire rapport sur des questions non financières...

      Ce contre-projet indirect prévoit l’obligation, pour les entreprises dont le total du bilan dépasse 20 millions de francs ou qui réalisent un chiffre d’affaires d’au moins 40 millions de francs et dont l’effectif est d’au moins 500 emplois à plein temps en moyenne annuelle, de rédiger chaque année un rapport sur les questions non financières (art. 964bis, al. 1, CO [nouveau] / art. 964a, al. 1, CO [nouveau]) et d’y traiter au moins les questions suivantes : environnement, questions sociales, personnel, droits humains et lutte contre la corruption en Suisse et à l’étranger. Leur rapport doit contenir les informations qui sont nécessaires pour comprendre l’évolution des affaires, la performance et la situation de l’entreprise ainsi que, dans la mesure où elles sont nécessaires à la compréhension de la situation, les incidences de l’activité de l’entreprise sur les différentes parties prenantes (art. 964ter, al. 1, CO [nouveau] / art. 964b, al. 1, CO [nouveau]).
      ... et devoir de diligence concernant les minerais provenant de zones de conflit et en cas de soupçon de recours au travail des enfants

      Outre des rapports non financiers, le contre-projet indirect institue un devoir de diligence dans les domaines des minerais et du travail des enfants. Cette obligation s’applique aux entreprises dont le siège, l’administration centrale ou l’établissement principal se trouve en Suisse et qui

      (1) mettent en libre circulation en Suisse ou traitent en Suisse des minerais ou des métaux contenant de l’étain, du tantale, du tungstène ou de l’or, provenant de zones de conflit ou de zones à haut risque (art. 964quinquies, al. 1, ch. 1 CO [nouveau] / art. 964j, al. 1, ch. 1 CO [nouveau]) ou

      (2) offrent des biens ou des services pour lesquels il existe un soupçon fondé de recours au travail des enfants (art. 964quinquies, al. 1, ch. 2 CO [nouveau] / art. 964j, al. 1, ch. 2 CO [nouveau]).

      Le contre-projet indirect dote le Conseil fédéral de deux instruments pour libérer les entreprises de leur devoir de diligence : il peut d’une part déterminer des volumes annuels d’importation de minerais et de métaux provenant de zones de conflit jusqu’auxquels les devoirs de diligence et de rapport ne s’appliquent pas (art. 964quinquies, al.  2 CO [nouveau] / art. 964j, al  2 CO [nouveau]). D’autre part, il a la compétence de prévoir des exceptions pour les PME et les entreprises qui présentent de faibles risques dans le domaine du travail des enfants (art. 964quinquies, al. 3 CO [nouveau] / art. 964j, al. 3 CO [nouveau]).

      Le devoir de diligence comprend quatre mesures : l’introduction d’un système de gestion et d’une politique relative à la chaîne d’approvisionnement ; l’identification et l’évaluation des risques dans la chaîne d’approvisionnement ; l’élaboration d’un plan de gestion des risques avec des mesures en vue de réduire au minimum les risques constatés et, enfin, l’établissement d’un rapport annuel. Le respect du devoir de diligence en matière de minerais provenant de zones de conflit doit en outre faire l’objet d’une vérification par un tiers indépen-dant, comme une société de révision (art. 964sexies et 964septies CO [nouveaux] / art. 964k et 964l CO  nouveaux]). Le contre-projet indirect prévoit de sanctionner d’une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 francs les entreprises qui ne remplissent pas leurs obligations d’établir un rapport sur les questions non-financière et sur la mise en œuvre du devoir de diligence dans les domaines des minerais provenant de zones de conflit et du travail des enfants (art. 325ter CP [nouveau]). Aucune sanction n’est en revanche prévue en cas de non-respect du devoir de diligence.

      Du point de vue systématique, les dispositions sur l’établissement de rapports non financiers et sur le devoir de diligence dans le domaine des minerais provenant de zones de conflit et du travail des enfants s’insèrent dans la révision du droit de la société anonyme, sous le titre « De la comptabilité commerciale, de la présentation des comptes, des autres devoirs de transparence et de diligence », à côté des nouvelles dispositions concernant la transparence du secteur des matières premières (art. 964d – 964i CO [nouveaux]).
      Des dispositions très proches de celles de l’Union européenne et de l’OCDE

      Avec le contre-projet, la Suisse se rapproche en partie des législations en vigueur dans d’autres pays, et notamment dans l’Union européenne (UE). Concernant la publication d’informations non financières, les dispositions sont largement inspirées de la directive 2014 de l’UE concernant la RSE et, concernant les minerais provenant des zones de conflit, du règlement de l’UE 2017/821 concernant le devoir de diligence dans le domaine des minerais provenant de zones de conflit ainsi que du Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque. En matière de travail des enfants, le contre-projet se fonde sur le Guide de l’OCDE Practical actions for companies to identify and address the worst forms of child labour in mineral supply chains ainsi que sur une loi néerlandaise (à ce sujet, voir aussi la newsletter de janvier 2018 du CSDH). Cette loi n’est toutefois pas encore en vigueur : certaines dispositions d’application doivent encore être adoptées et le gouvernement néerlandais propose, dans une évaluation globale de sa politique en matière de responsabilité sociale des entreprises, de voir quelle sera l’évolution à l’échelle de l’UE avant de légiférer. Enfin, pour la définition du travail des enfants, le contre-projet indirect reprend les normes figurant dans les conventions 182 et 138 de l’OIT.
      Une thématique encore en évolution à l’international

      Une partie des principaux instruments auxquels se réfère le contre-projet indirect est en cours d’examen : une évaluation de la directive de l’UE concernant la RSE ayant montré qu’à elle seule, l’obligation d’établir des rapports ne suffit pas, la Commission européenne a lancé une procédure publique de consultation pour modifier ladite directive. Cette procédure a pris fin en été 2020 et un projet de révision devrait être présenté en 2021. Dans le domaine du devoir de diligence, il est ressorti d’une étude mandatée par l’UE que dans le domaine des droits humains, les obligations de diligence non contraignantes ne responsabilisaient pas de manière durable les entreprises. En conséquence, le commissaire européen Didier Reynders a annoncé au printemps 2020 qu’un projet visant à introduire un devoir de diligence contraignant à l’échelle européenne serait prêt en 2021 déjà, et une consultation publique pour une nouvelle réglementation sur la gouvernance d’entreprise durable est en cours à ce sujet. Le 1er décembre 2020, le Conseil de l’UE a officiellement chargé la Commission de présenter en 2021 une proposition relative à un cadre juridique de l’UE sur la gouvernance d’entreprise durable, comprenant notamment, pour les entreprises, des obligations intersectorielles en matière de diligence raisonnable tout au long des chaînes d’approvisionnement mondiales. Dans plusieurs pays – comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège et la Finlande –, il est également question d’introduire un devoir de diligence contraignant en matière de droits humains.
      Loin d’être clos, le débat ne fait que commencer

      Comme le montrent les évolutions en cours à l’échelle de l’UE et dans d’autres pays, le contre-projet ne clôt pas le débat, mais le relance. Le cadre international dans lequel se meuvent les entreprises helvétiques joue un rôle essentiel pour une économie ouverte comme celle de la Suisse. Et dans le domaine de la responsabilité des entreprises, ce cadre est en pleine évolution à l’heure actuelle. Le contre-projet comprend plusieurs normes de délégation qui donnent au Conseil fédéral une certaine latitude dans l’application de la loi, afin qu’il puisse prendre en compte ces évolutions. On peut toutefois d’ores et déjà affirmer que si la Suisse veut suivre les évolutions internationales en la matière, il lui faudra à nouveau légiférer.

      Les dispositions auront la teneur indiquée après l’entrée en vigueur du contre-projet indirect à l’initiative populaire « Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement ».

      https://www.skmr.ch/frz/domaines/economie/nouvelles/imr-contre-projet.html

  • Téléphonie mobile : la #5G divise la #Suisse

    Les grands projets de la Confédération et des entreprises de #télécommunications pour doter la Suisse du dernier standard de téléphonie mobile se heurtent à des #résistances dans la population. Une véritable guerre d’opinions sur le progrès a éclaté dans ce pays alpin bien pourvu en high-tech.

    Un chiffre, une lettre : 5G. L’abréviation décrit la dernière génération de la technologie de téléphonie mobile, qui permet de transmettre encore plus vite des volumes de données encore plus grands que l’actuelle 4G très répandue en Suisse. Chaque génération de téléphonie mobile apporte son lot de nouvelles possibilités, ce que les consommateurs ont bien accueilli jusqu’ici. En comparaison avec l’international, les Suisses dépensent beaucoup pour les équipements numériques mobiles avec lesquels ils surfent sur Internet. Ils streament de la musique et des films, effectuent des appels vidéo et utilisent des applications. La Suisse a également pris les devants sur le plan international quand la Confédération, début 2019, a mis aux enchères les premières fréquences 5G.

    La 5G est d’une « importance capitale » pour la numérisation du pays, a estimé l’autorité de régulation qui a octroyé les concessions. Trois entreprises en ont obtenues : Swisscom, leader semi-étatique du marché, Sunrise et Salt. Elles ont versé pour cela 380 millions de francs à l’État. Le CEO du groupe Swisscom, Urs Schaeppi, justifie cette mise à niveau technologique par l’utilisation accrue du réseau mobile, qui double tous les 18 mois : « Nous devons étoffer le réseau maintenant avant d’avoir des embouteillages de données », dit-il.
    La Suisse, pionnière technologique

    La 5G est aussi censée stimuler l’innovation en Suisse. Grâce au flux aérien ultrarapide des données, les promoteurs assurent qu’il sera possible de relier machines et appareils en temps réel. Cet « Internet des objets » rendra nos ménages intelligents et servira l’industrie. La 5G, disent-ils, favorisera l’émergence des voitures autonomes, de la télémédecine, des réalités virtuelles et des smart cities, ces villes du futur techno-connectées et écologiques. Grâce à l’avancée de l’attribution des fréquences 5G, la Suisse est en passe de devenir une pionnière. Un rôle qu’elle se voit bien jouer dans le domaine du progrès technologique.

    Mais l’offensive a été freinée. Si le réseau 5G est disponible çà et là, c’est la plupart du temps en version restreinte. Car les opérateurs ne peuvent pas avancer aussi vite que prévu. Une opposition contre la 5G s’est formée dans la société civile. Des mouvements citoyens bloquent la construction d’antennes destinées à la 5G. À l’appel d’organisations anti-5G, des milliers de personnes ont manifesté à Berne. Des interventions politiques ont été déposées dans les communes et les cantons, des paroisses ont refusé l’installation d’antennes 5G dans les clochers des églises. Et bien que l’affaire relève de la Confédération, des cantons romands ont décrété des moratoires sur la 5G sur leur territoire. Des actes de vandalisme isolés ont même été perpétrés contre des antennes émettrices.
    « La santé est prioritaire »

    Les adversaires de la 5G exigent un moratoire à l’échelle suisse. Ils mettent en garde contre les dangers potentiels du rayonnement électromagnétique pour la santé. Ils se soucient de la préservation du paysage, de la hausse de la consommation d’énergie et de l’environnement. Et ils pointent du doigt les risques d’espionnage si des composants techniques chinois sont intégrés aux antennes. « La santé est prioritaire », souligne Rebekka Meier. L’horlogère soleuroise est membre du comité de l’association « Schutz vor Strahlung » (protection contre le rayonnement). Elle craint qu’avec la puissance d’émission accrue de la 5G, les effets négatifs du rayonnement de la téléphonie mobile s’aggravent « dans une mesure dépassant tout ce qu’on connaissait jusqu’ici ».

    Pour Rebekka Meier, la promesse d’innovation de la branche des télécoms n’est que pur marketing : « On crée des besoins artificiels. » Ce n’est pas parce que « certains accros aux données veulent pouvoir streamer constamment en haute résolution » que tout le pays doit être truffé de mâts émetteurs. Certaines applications judicieuses, médicales par exemple, peuvent être mises en place avec moins de rayonnements, elle en est persuadée.
    Des opposants très divers

    L’éventail des opposants à la 5G en Suisse est très divers. Il va des théoriciens du complot à tous ceux qui s’en distinguent expressément : protecteurs du pays et de la nature, anticonsuméristes, stressés du numérique, personnes sensibles aux rayonnements, Médecins en faveur de l’Environnement, politiciens écolos de gauche et conservateurs de droite. La conseillère nationale PS Martina Munz (SH) a présenté leurs doutes au Parlement fédéral. Elle dit qu’elle n’est pas contre la technologie, mais souhaite que la Suisse déploie la 5G avec aussi peu de rayonnements que possible, « 8 % de la population se déclarant électrosensible ». Au lieu de laisser les signaux 5G traverser tous les murs, elle préconise que l’on relie mieux les bâtiments à un bon réseau de fibre optique. Ainsi, chez soi, on continuerait d’être protégé contre les rayonnements mobiles indésirables.

    La quantité de rayonnement à laquelle les personnes peuvent être exposées est fixée par la loi en Suisse. Le Conseil fédéral souhaite maintenir les limites en vigueur pour la téléphonie mobile : il l’a décidé au printemps, allant ainsi plutôt dans le sens des opposants que de celui de la branche des télécoms, qui souhaitait un assouplissement pour devoir installer moins d’antennes.
    Les promoteurs de la 5G en soulignent les opportunités

    Des résistances contre les stations émettrices, les entreprises de téléphonie mobile suisses en ont régulièrement connues ces vingt dernières années. Mais jamais l’opposition n’a été aussi forte qu’avec la 5G. Pour l’influent think tank libéral Avenir Suisse, cette lutte est « irrationnelle ». Le quotidien libéral « NZZ », quant à lui, considère qu’« une fronde contre le progrès » est à l’œuvre. La branche des télécoms elle-même met en garde contre de graves conséquences sur la performance des réseaux de communication et demande plus de soutien de la part des politiques. Au Parlement, des voix favorables à la 5G se font entendre chez les Vert’libéraux et les Libéraux-Radicaux : la 5G offrirait des opportunités non seulement économiques, mais aussi pour le développement durable, notamment dans l’agriculture.

    Sur les préoccupations concernant la santé, le conseiller national libéral-radical Christian Wasserfallen (BE) déclare : « 90 ?% des rayonnements auxquels nous sommes exposés proviennent de notre propre téléphone mobile, et non de l’antenne de transmission ». Il réclame par conséquent une campagne d’information officielle sur la 5G. Reste à voir si cela sera suffisant. Une chose est claire : les Suisses veulent avoir voix au chapitre dans la construction de l’infrastructure technologique du XXIe siècle. Qui l’emportera, des modernisateurs ou des conservateurs ? Cela pourrait bien se décider dans les urnes : pas moins de cinq initiatives populaires contre la 5G sont annoncées. Face à une caméra de TV, l’un des opposants l’a affirmé : « Une révolution populaire est en marche ! »

    « Vendre son âme »

    En Suisse, les #églises sont souvent situées au milieu du village. L’emplacement et la hauteur des #clochers en font des lieux très convoités pour les antennes de #téléphonie_mobile. Cachée dans un clocher, une antenne ne défigure pas le #paysage. Et les contrats avec les télécoms rapportent de l’argent aux paroisses. Cependant, sous la pression de la base, plusieurs d’entre elles ont déjà refusé d’adapter les installations existantes pour la 5G ou d’installer de nouvelles antennes 5G dans leur clocher (#Oberburg (BE), #Alpnach (OW), #Kriegstetten (SO) et #Belfaux (FR)). Outre la crainte de l’#électrosmog, les membres des communes ont fait entendre des préoccupations éthiques. L’église ne doit pas « vendre son âme », a lancé, selon le journal régional, un participant au débat à Kriegstetten. Et quand à Alpnach, un votant a souligné que « nos clochers ont toujours servi à transmettre des informations », son avis est resté minoritaire.

    https://www.revue.ch/fr/editions/2020/05/detail/news/detail/News/telephonie-mobile-la-5g-divise-la-suisse

    • « La technique n’est jamais apolitique »

      Le fait que la 5G se heurte à des oppositions en Suisse n’étonne pas l’historienne #Daniela_Zetti. Car la question va bien au-delà de la technologie.


      Daniela Zetti, la forte opposition contre la 5G en Suisse vous étonne-t-elle ?

      Pas du tout. Je suis plutôt surprise par le fait qu’elle arrive tard. Le réseau suisse de téléphonie mobile numérique est apparu en 1993. Dans l’image que la Suisse se fait d’elle-même, la technologie est importante : des ouvrages comme la traversée du Gothard ou le barrage de Contra sont devenus des monuments de la technique. On va les voir comme on va voir des sites naturels. C’est justement parce que la Suisse est très technicisée que les débats ont toujours été vifs à ce sujet. Car la question est aussi la suivante : dans quel pays souhaite-t-on vivre ?

      Y a-t-il des controverses comparables à celle de la 5G dans l’histoire technologique suisse ?

      Un petit exemple parlant est l’émetteur à ondes courtes de Schwarzenburg (BE), que les anciens PTT ont mis en service en 1939. Grâce à lui, Radio Suisse Internationale diffusait des nouvelles dans le monde entier, mais petit à petit le mécontentement a grandi au sein de la population locale. Il y avait des problèmes de santé, on entendait de la musique dans les chenaux des toits, un bourdonnement permanent emplissait l’air. Cet exemple montre un autre motif pour lequel une telle opposition peut naître dans un pays technicisé : la technologie est intégrée au paysage, où elle commence à vivre. On la voit, on l’entend, on la sent, comme une infrastructure de l’ombre qui peut menacer le corps.

      Les adversaires de la 5G se soucient aussi de la santé des gens.

      Oui, mais tandis qu’à l’époque, avec l’autorité de leur monopole, les PTT pouvaient affirmer que cet émetteur était indispensable pour la Suisse, les entreprises de téléphonie mobile d’aujourd’hui doivent davantage se justifier au coeur d’un marché libéralisé. Et elles sont soumises à une forte concurrence. Dans les années 1990, grâce à l’accès à l’infrastructure des nouveaux moyens de télécommunication, il y avait beaucoup d’argent à gagner. Cette époque est révolue.

      Les défenseurs de la 5G affirment aujourd’hui aussi que la Suisse a besoin de cette technologie pour ne pas être dépassée.

      Cet argument réapparaît régulièrement depuis les années 1970 lorsqu’il s’agit de numérisation. On échafaude et on promet à chaque fois un avenir innovant, ce qui tend à occulter les conséquences sur le milieu de vie. Ainsi, pour une 5G couvrant toute la Suisse, on a besoin de nombreuses antennes à courte portée. Par ailleurs, les gens se demandent à quoi sert cette nouvelle technologie, qui y a accès et qui en profite. J’ai l’impression qu’en ce qui concerne la 5G, il manque des alliances capables de démontrer à la population suisse son utilité au sens large.

      Pourtant, la plupart des gens utilisent des smartphones et veulent une bonne couverture réseau.

      Cette couverture est largement assurée en Suisse. Reste la tentative d’affirmer que certaines choses, comme la voiture autonome, sont un progrès pour toute la société, rendu possible par la 5G. Mais il est probable que cela suscite autant d’effroi que de fascination et ne suffise pas pour emporter une large adhésion.

      Historiquement parlant, comment se sont résolues les controverses technologiques les plus dures ?

      Par la négociation au sein du processus démocratique. La technique n’est jamais apolitique, elle a toujours une dimension sociétale. Les exploitants du réseau de téléphonie mobile répondent actuellement au scepticisme par des protestations concernant la sécurité. Ils avancent qu’il n’existe aucune preuve scientifique de nocivité pour la santé. Cela me rappelle l’exemple des exploitants de centrales nucléaires. Surpris par la vigueur des résistances, les experts ont tenté de prouver par des études et des statistiques à quel point le risque d’accident était minime pour l’individu. Cette stratégie a échoué. L’évaluation purement technique des risques ne prenait pas en compte les diverses préoccupations des opposants au nucléaire : depuis la protection des eaux jusqu’au fédéralisme.

      https://www.revue.ch/fr/editions/2020/05/detail/news/detail/News/la-technique-nest-jamais-apolitique