• #Emmanuel_Macron, 13.01.2022

    « Au-delà des questions des moyens, nous avons une question structurelle et on ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants, où un tiers des étudiants sont considérés comme boursiers et où, pourtant, nous avons tant de précarité étudiante et une difficulté à financer un modèle qui est beaucoup plus financé sur l’argent public que partout dans le monde pour répondre à la compétition internationale. »

    https://twitter.com/caissesdegreve/status/1481963876451340290

    Quand est-ce qu’on l’arrête celui-là ?

    #macronisme #ESR #université #discours #facs #France #destruction #précarité_étudiante #financement #enseignement_supérieur #budget #compétition #compétition_internationale #néo-libéralisme #privatisation #Macron

    La casse de l’université continue...

    Voici ce que j’écrivais en 2020, lors des luttes contre la fameuse LPR :

    Si je lutte ici et maintenant c’est parce que je suis fermement convaincue que si on gagne en France la victoire contre une université néolibérale, on peut faire tache d’huile bien au-delà des frontières nationales. Et si, en France, on ne cède pas au chant des sirènes du néolibéralisme universitaire, je suis aussi fermement convaincue que le supposé « retard » décrié par certain·es aujourd’hui se transformera en avance. Car la grogne grandit aussi dans les autres pays européens, qui se battent pour ce qu’en France, nous sommes en train de perdre, mais nous n’avons heureusement pas encore complètement perdu

    http://www.riurba.review/2020/03/comprendre-le-neoliberalisme-universitaire-francais-a-partir-de-la-suisse

    • La privatisation de l’écoles et de l’université représente une montagne de fric, à côté de laquelle la privation de la Française Des Jeux et des autoroutes sont des cacahuètes apéritives.

      Restera la montagne d’or amassée par les caisses de retraite complémentaires, ce sera pour la quinquennat suivant.

    • Emmanuel Macron expose une #réforme « systémique » de l’université

      Le chef de l’État a estimé que le système actuel d’#études_supérieures était « révolu » et que les universités devaient s’ancrer dans une dimension plus « professionnalisante ».

      À trois mois de la présidentielle, Emmanuel Macron a souhaité jeudi 13 janvier une réforme « systémique » des universités, qu’il veut plus « professionnalisantes », tout en jugeant intenable un système d’études supérieures « sans aucun #prix » pour les étudiants mais avec un #taux_d'échec massif. « Je le reconnais sans ambages, nous avons commencé à colmater les brèches, mais nous devons redoubler d’effort pour que, à l’horizon de dix ans, notre université soit plus forte », a-t-il déclaré, en clôturant en visioconférence le Congrès de la Conférence des présidents d’universités.

      Le chef de l’État a d’abord remis en cause le double système #grandes_écoles - universités. « Nous avons trop longtemps accepté un modèle à plusieurs vitesses, où les grandes écoles et organismes de recherche étaient supposés s’occuper de la formation des #élites et l’université de la #démocratisation de l’enseignement supérieur et la gestion des #masses. Ce système est révolu », a-t-il lancé. « Demain ce seront nos universités qui doivent être les piliers de l’#excellence ».

      « Garantir l’orientation des jeunes vers l’emploi »

      Emmanuel Macron a aussi dénoncé l’« intolérable #gâchis » de l’#échec en première année, où « seuls 50% des étudiants se présentent aux examens », malgré l’injection de nouveaux moyens et la création de 84.000 places. Selon lui, il ne s’agit donc pas d’une question de #moyens. « On ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants, où un tiers des étudiants sont considérés comme boursiers et où pourtant nous avons tant de précarité étudiante, et une difficulté à financer un modèle beaucoup plus financé par l’argent public que partout dans le monde », a-t-il argué.

      « Je dis les choses avec la clarté et la franchise que vous me connaissez » car « si nous ne réglons pas ces problèmes structurels, nous nous mentirions à nous-mêmes », a-t-il poursuivi. Et d’enchaîner : « Nous avons besoin d’une #transformation_systémique de nos universités ». Celles-ci doivent, selon lui, avoir d’avantage d’#autonomie mais l’État devra passer avec elles « de véritables #contrats_d'objectifs_et_de_moyens ». Notamment « les universités ne doivent plus seulement garantir l’accueil des étudiants dans une formation mais garantir l’orientation des jeunes vers l’#emploi ».

      « L’université doit devenir plus efficacement professionnalisante », a encore souhaité le chef de l’État : « la logique de l’#offre doit prendre le pas sur la logique de la #demande », ou encore, « l’orientation doit évoluer pour mieux correspondre aux besoins de la #nation ». « Quand on ouvre des filières sans #perspective derrière, nous conduisons un #investissement_à_perte », a-t-il dit, après avoir rappelé les nouveaux moyens - 25 milliards d’euros sur 5 ans - de la loi de programmation de la recherche, « un rattrapage » à ses yeux. Manuel Tunon de Lara, président de la Conférence des présidents d’universités, rebaptisée France Universités, a lui réclamé une plus grande autonomie des établissements mais aussi un financement de l’enseignement supérieur « à la hauteur de nos ambitions ».

      https://www.lefigaro.fr/demain/education/emmanuel-macron-expose-une-reforme-systemique-de-l-universite-20220113

      #professionnalisation

    • Le discours a été tenu devant le congrès de la CPU désormais appelée @FranceUniv

      qui représente « un nouvel élan, qui rappelle le rôle de partenaire essentiel des pouvoir publics / force de proposition et de transformation pour l’ESR » d’après M. Macron.

      https://www.youtube.com/watch?v=SwsAPNPyFU4&t=32750s

      –-

      Analyse de Julien Gossa sur twitter :

      Le discours commence par des banalités : « concurrence pour les talents », « décloisonner pour favoriser les synergies », « Shanghai / Saclay »...

      Mais surtout « conjurer notre histoire » avec « le vent de face en raison de la démographie ».
      C’est important pour la suite.

      Le discours se centre sur « repenser totalement le lien entre Lycée et Université » et « la séparation entre les études supérieures et le monde du travail ».
      Il fustige une « aristocratie égalitariste » avec la dichotomie Grandes Ecoles (« exellence ») et Université (« masse »).

      #debunk Il s’agit d’un classique diviser pour regner/l’herbe est plus verte ailleurs.
      Cette opposition (stérile ?) GE/Univ est systématiquement instrumentalisée pour réformer, mais seulement les universités.

      « ce n’est pas qu’une question de moyens » (?)

      D’après M. Macron « ce système est révolu » car « il ne correspond pas à la compétition internationale et crée des segmentations inefficaces ». C’est « le sens de l’Histoire ».

      Il faut donc « une nouvelle politique d’investissement ».

      #Point 1 : l’« intolérable gâchis » en Licence

      « Nous avons injecté 1 Md€ en plus dans le premier cycle / créé 84000 places / et 28000 oui-si... formidable ! et pourtant seulement 50% des étudiants se présentent aux examens de premières année »

      #debunk "Des efforts n’ont pas conduit à des résultats, donc il faut réformer plus en profondeur" est discutable.

      Par exemple, il y a en réalité une hausse des taux de réussite, que le discours doit ignorer volontairement pour atteindre son objectif.

      https://etudiant.lefigaro.fr/article/a-l-universite-un-taux-de-reussite-des-licences-en-pleine-croissan

      De plus, ces résultats ne sont pas évaluables en période de pandémie, parce que tout le système est perturbé, et que tirer des conclusions de mesures qui ont trois ans n’est pas intègre.
      https://www.franceculture.fr/societe/covid-19-la-detresse-croissante-des-etudiants

      Enfin, l’effort est en réalité factice, puisque la dépense par étudiant baisse, essentiellement à l’Université.

      Tout au contraire, si on en croit les indicateurs, l’Université a donc plutôt obtenu des résultats, sans moyen, et dans un contexte difficile.

      https://www.alternatives-economiques.fr/rentree-coutera-t-plus-cher-cette-annee/00100263

      #Discussion L’échec en Licence lui-même est peut-être un problème factice, instrumentalisé pour atteindre des objectifs pratiquement sans rapport, mais qui a le mérite de faire écho à un soucis très concret qu’on rencontre sur le terrain.

      #Point 2 : le financement public et la gratuité des études universitaires.

      Cela conduirait a un enseignement qui n’a « aucun prix » à cause d’« un modèle beaucoup plus financé par l’argent public que partout dans le monde »

      #Debunk Au delà du marqueur idéologique « ce qui n’a pas de prix n’a aucune valeur », l’affirmation sur le financement public de l’ESR en France est tout simplement fausse : nous sommes dans la moyenne, et en dessous des pays que nous admirons.

      https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/FR/T165/la_depense_pour_l_enseignement_superieur_dans_les_pays_de_l_ocde

      Plus intéressant encore, si on prend le cas extrême de la Grande Bretagne (GB).

      D’abord l’évidence : moins de financement public, c’est plus de financement privé, donc plus d’endettement des familles.

      E. Macron propose donc de vous endetter plus.

      https://commonslibrary.parliament.uk/research-briefings/sn01079

      Ensuite, le financement "privé" est en réalité sur des prêts garantis par l’État, et qui sont en grande partie (52%) non remboursé, donc payés par le public.

      Ça a couté 12Md€ d’argent public l’an dernier (~50% du budget du MESRI).

      https://www.dailymail.co.uk/news/article-9753557/Almost-10-billion-paid-student-loans-2020-written-off.html

      Et enfin, ça n’a apporté aucun financement supplémentaire aux universités.

      La proposition est donc d’endetter les ménages, même si ça coute encore plus au contribuable, sans rien rapporter aux universités.

      Seuls gagnants : les usuriers.

      #Point 3 : la formation réduite à une forme d’insertion professionnelle

      « les universités [doivent] garantir l’orientation des jeunes vers l’emploi » avec « de véritables contrats d’objectifs et de moyens ».

      En clair : l’emploi conditionne le financement des formations.

      « la logique de l’offre doit prendre le pas sur la logique de la demande » « l’orientation doit évoluer pour mieux correspondre aux besoins de la nation »

      En clair : ce n’est plus ni aux familles ni aux universitaires de décider de l’orientation et des formations, mais à l’Etat.

      D’après E. Macron,ces « besoins de la nation » sont seulement économiques, et tout le reste est un « investissement à perte ».

      C’est du bon sens, mais seulement avec une conception de la formation limitée à l’insertion professionnelle.

      #debunk Si on colle les trois points, on a une forme de logique :
      1. Les jeunes échouent en Licence
      2. Car ils se moquent d’études qui ne coutent rien
      3. Et qui de toutes façons ne mènent à aucun emploi.

      Faire payer les familles apparait alors comme une solution, non pas pour augmenter les financements (ils n’augmenteront pas, au contraire), mais seulement pour augmenter l’implication des familles, et restructurer « l’offre et la demande » de la formation.

      La réussite par l’augmentation de l’implication des familles repose sur la croyance « ce qui n’a pas de prix n’a aucune valeur ».

      Quand on regarde les indicateurs, c’est plutôt une question de moyens.


      https://twitter.com/anouchka/status/1481928533308022785

      La restructuration de « l’offre et la demande » imagine une vertu : si les études impliquent un endettement personnel, alors le choix d’orientation sera vers les formations qui permettent de rembourser, donc là où il y a des emplois.
      Et sinon c’est à la charge des familles.

      Julien Gossa
      @JulienGossa
      ·
      17h
      Les formations qui conduisent aux emplois bien payés peuvent augmenter leurs frais d’inscription, donc leur qualité. Les autres ferment ou de toutes façons ne coutent plus rien.

      Le marché comme solution à l’orientation et la formation, donc à la stratification sociale.

      C’est la vision qui a bien fonctionné au XXe siècle. Malheureusement, elle ne fonctionne plus. Tout simplement parce que « démographie » et « besoins [économiques] de la nation » sont désynchronisés.

      Il n’y a pas d’emplois non pourvus en France, il y a du chômage.

      Les emplois qui recrutent ne concernent pas les filières universitaires.

      Les formations universitaires montrent un léger chômage, qui indiquent qu’elles remplissent parfaitement leur rôle de fournisseur de main d’œuvre qualifiée.

      https://statistiques.pole-emploi.org/bmo/bmo?graph=1&in=1&le=0&tu=10&pp=2021&ss=1

      On revient à cette évidence, que le discours de M. Macron semble ignorer : diplômer quelqu’un ne crée pas un emploi.

      En terme d’emplois, la politique proposée est donc vouée à l’échec. Pire, elle enferme dans une sorte d’immobilisme économique.


      https://twitter.com/Taigasangare/status/1481897423437979649

      En toute logique, la politique proposée consiste donc non pas à augmenter le nombre de diplômés, puisque ça ne ferait que baisser le taux d’insertion professionnelle.

      Elle consiste forcément à baisser le nombre d’étudiants, seul moyen d’éviter un « investissement à perte ».

      Et ça nous mène à la question principale qui se pose pour l’avenir, même si on n’ose jamais l’affronter :

      Quel est le rôle des études supérieures ?

      Si c’est seulement économique, sans progrès futurs, alors Macron a raison : il faut endetter et réduire le nombre d’étudiants.

      Mais si c’est plus large que ça, que les études supérieures permettent de former des citoyens qui vont devoir gérer des crises graves... Alors il vaut mieux des chômeurs bien formés que des chômeurs mal formés.

      Et le projet proposé est très dangereux.

      Il est d’autant plus dangereux que la loi ORE a déjà posé des bases très solides pour sa réalisation :

      l’Etat contrôle désormais les places dans toutes les formations publiques. La réduction du nombre d’étudiants est donc techniquement possible.

      #Parcoursup est à la fois une sorte de concours national pour accéder aux places, et en plus une market-place pour les formations, incluant déjà des informations sur les "débouchés" et un module de paiement des frais.

      Toute la technique a été préparée pour ce projet politique.

      Reste que le projet politique de M. Macron, tout idéalisé et idéologisé qu’il soit, se confronte à une question toute simple : Que fait-on des jeunes surnuméraires par rapport aux besoin de l’emploi, si on ne les forme plus ?

      Ce fameux « vent de face de la démographie ».

      Julien Gossa
      @JulienGossa
      ·
      16h
      Pour conclure, le discours de M. Macron est bien rodé, puisqu’il a plus de 50 ans... Mais il est objectivement anachronique.

      Il faudrait un peu de courage, et attaquer vraiment la seule vraie question : Quel est le rôle des études supérieures au XXIe siècle ?

      Rappel qu’il y a une cohérence entre baisser le nombre d’étudiants et réduire le nombre de lycéens qui font des mathématiques.

      Si on n’a pas le courage d’aller jusqu’au bout, on aura donc autant d’étudiants, juste moins bien préparés à nos études.


      https://twitter.com/OlivierMusy/status/1481960693784092673

      NB : Si M. Macron souhaitait vraiment mettre en œuvre ce programme, il lui suffirait de donner une autonomie réelle aux universités, dont l’intérêt est effectivement de réduire le nombre d’étudiants et de les faire payer.

      Sauf que c’est impossible :
      https://blog.educpros.fr/julien-gossa/2021/10/17/selection-impossible-autonomie-fantome

      Ici le verbatim, qui termine sur cette blague « Et que fait-on ce soir, Cortex ? »
      https://t.co/9HYisOq789

      Et bien sûr la plus pathétiques des hypothèses : tout ce projet n’a en réalité aucun sens, complètement dépourvu de vision et d’ambition autre que séduire les présidents d’université dans une perspective tristement électoraliste.

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1481996134042193925

    • Présidentielle 2022 : le programme d’Emmanuel Macron devant la CPU “#France_Universités

      Emmanuel Macron a prononcé un discours pour la clôture du 50e anniversaire de la Conférence des présidents d’université1. La vidéo et le verbatim sont disponibles ici2. Ce discours dresse le bilan de la politique du quinquennat en matière d’enseignement supérieur et de recherche, mais trace aussi un cap pour une nouvelle réforme — peut-être pour un nouveau mandat ?

      Le candidat-président Macron fixe dans tous les cas un certain nombre d’objectifs et de lignes directrices qu’il n’est pas inintéressant d’analyser.

      Cet article est tiré d’un fil Twitter (https://twitter.com/CathKikuchi/status/1481942125147312138) écrit à chaud et doit être complété avec d’autres analyses qui ont émergé à la suite de ce discours3. On citera en particulier :
      - Ce fil extrêmement complet de Julien Gossa : https://twitter.com/UnivOuverte/status/1481759141618139138
      - Cette réflexion de Marianne Blanchard sur la volonté de plus « professionnaliser l’université » : https://twitter.com/UnivOuverte/status/1481759141618139138
      - En complément, la reprise d’une intervention de l’économiste Elise Huillery au colloque de la Conférence des présidents d’université sur les ressources allouées à l’université française, un fil d’Ana Lutzky : https://twitter.com/anouchka/status/1481924369597308930

      Il est globalement beaucoup question de la politique universitaire, mais un article entier pourrait également être consacré à ce qu’Emmanuel Macron dit de la vie étudiante. Nous laissons ce point à analyser à d’autres.
      « Éclairer le monde tel qu’il va » ou l’abrutir

      « Faire pleinement de la France une avant-garde de la recherche de l’excellence du savoir » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      Le discours commence bien sûr par brosser les présidents d’université dans le sens du poil. Beaucoup ont commenté la petite phrase des universités qui doivent « éclairer le monde ». Ce passage s’inscrit dans tout un segment sur l’importance de l’autorité académique, de la reconnaissance des pairs et du cadre scientifique : « Ne laissons personne le remettre en question ». Evidemment, ce n’est pas nous que le contredirons. Mais cette déclaration prend une saveur particulière, alors que Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation, cherche au contraire à dire aux universitaires ce qu’ils doivent chercher et comment en faisant l’ouverture d’un pseudo-colloque ((NDLR : Le président-candidat Macron évoque également la commission Bronner qui vient de rendre son “rapport” Des Lumières à l’ère du numérique.Il en retient la “nécessité d’empêcher la mise en avant ou le financement d’acteurs qui nuisent à l’information, à la cohésion sociale et in fine à la démocratie” — qui résone avec sa menace envers les “universitaires qui cassent la République en deux“.)). ou encore lorsqu’il prétend pouvoir dire quels universitaires constituent un « virus » de la pensée et donc, en creux, ceux qui pourraient en être le « vaccin ».

      « Tous ensemble, nous avons réussi à faire de notre jeunesse une priorité claire avec ces premiers résultats et également à faire de notre jeunesse et de nos étudiants une priorité. » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      Mais bien sûr, il s’agit d’abord de défendre un bilan. Emmanuel Macron se gargarise de milliers de places nouvelles ouvertes dans diverses filières pour accommoder la vague démographique. C’est bien rapide : ouvrir des places sans construction de bâtiment, sans recrutement de personnel, ne revient-il pas à faire du surbooking ? Changer un chiffre sur un tableur Excel, ne permet pas dans les faits d’accueillir correctement des milliers d’étudiants et d’étudiantes supplémentaires.

      Mais rassurons-nous : la loi de programmation a représenté un engagement financier sans précédent. Sauf que non : l’augmentation du budget de l’ESR stagne et sa légère augmentation, plus faible que par le passé, correspond à l’inflation. Un tour de passe-passe dénoncé par les politiques notamment au Sénat. L’effort budgétaire est principalement reporté sur la prochaine mandature :bel effort personnel pour le président Macron.

      « Justes hiérarchies » ? Parcoursup, reproduction sociale et démocratie

      Parmi les bons points qu’Emmanuel Macron se donne, le satisfecit sur Parcoursup est aussi d’un ridicule achevé. « Un système d’orientation avec des taux de satisfaction et de réponse incomparables, plus lisibles », alors que tous les acteurs du système, des élèves aux enseignants du secondaire, en passant bien sûr par les enseignants du supérieur disent le contraire. Mais peu importe : il s’agit de l’un des grands chantiers du quinquennat, il doit être un succès.

      « Des sociétés démocratiques comme la nôtre qui ont la passion de l’égalité que nous partageons toutes et tous doivent néanmoins défendre à nouveau les justes hiérarchies qu’il doit y avoir dans nos sociétés sans lesquelles tout se dissout » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      Macron se lance ensuite dans un grand discours visant à intégrer les universités à la formation de l’élite, dans une optique implicite de démocratisation. Il cite les Idex en exemple. Sauf qu’en termes de démocratisation, les Idex contribuent plutôt à une reproduction de l’élite plutôt qu’à son renouvellement, comme l’on montré les travaux d’Audrey Harroche et ceux de Hugo Harari-Kermadec.

      Cette volonté de s’inscrire dans le cadre de grands établissements va de pair avec une volonté de professionnalisation accrue.colloque

      L.’université « doit devenir plus efficacement professionnalisante car on ne peut pas se satisfaire de l’échec de nos étudiants dans les premiers cycles ni du taux de chômage trop élevé des jeunes qui sortent de certaines filières universitaires. Pour vous y aider, nous devons poursuivre le travail d’amélioration de l’orientation qu’a initié Parcoursup ». (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      Cet affichage ne peut être balayé d’un revers de main. Evidemment, aucun enseignant digne de ce nom ne peut vouloir que les universités forment des chômeurs. Mais cela passe sous silence que les universités sont déjà professionnalisantes : elles forment des professionnel·les de la recherche et de l’enseignement supérieur et des enseignant·es. Hors Master, , elles forment en licence en lien avec le monde du travail, y compris bien sûr celui hors de l’université et de l’enseignement : c’est vraiment n’avoir jamais regardé l’offre de formation universitaire ni les maquettes de premier cycle que de penser le contraire. S’il y a sûrement des améliorations à effectuer, il serait tout à fait faux de prétendre que les universitaires ne se préoccupent pas du devenir professionnel de leurs étudiant·es.

      « Les grandes écoles et organismes de recherche étaient supposés s’occuper de l’excellence et de la formation des élites, et les universités de la démocratisation de l’enseignement supérieur et de la gestion des masses. Ce système est révolu. Il est révolu d’abord parce qu’il ne correspond pas à la compétition internationale, parce que sa forme-même crée des barrières, des segmentations qui sont inefficaces. » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      Cependant, on peut être conscient des nécessités de professionnalisation à l’université tout en considérant que celle-ci a aussi un rôle intellectuel et émancipateur de transmission de savoir et de méthode scientifique. Mais cela, Macron n’en parle jamais pour l’enseignement. Enseigner à l’université est réduit à la formation en lien à des besoins identifiés de la nation. Et si les besoins de la nation, c’était aussi d’avoir des diplômés insérés dans le marché du travail ET capables de réfléchir par eux-mêmes ? Ce serait fou…

      De même la question de l’échec en première année de licence et de l’orientation est un vrai sujet. Mais ne serait-ce pas aussi parce que Parcoursup a accentué ce phénomène ? De nombreuses étudiantes et étudiants, à vue de nez encore plus nombreux qu’auparavant, s’inscrivent dans des formations sans réelle volonté de s’y investir. Alors quelle solution ? Emmanuel Macron évoque le développement de filières courtes et professionnalisantes, ce qui peut être une partie de la réponse. Mais est-ce que l’augmentation de leur capacité d’accueil va à nouveau se faire sans moyen supplémentaire ? Permettons-nous au moins de nous poser la question…

      « On ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      Malgré tous ces points ambigus, voire volontairement mensongers, le plus inquiétant de ce discours réside dans l’une de ses dernières parties. Cela a été déjà relevé : Emmanuel Macron dénonce un système où l’université n’a « aucun prix pour la grande majorité des étudiants », où on a un tiers de boursiers et où on a « un modèle beaucoup plus financé par l’argent public qu’ailleurs dans le monde ». D’abord, ce dernier point est tout bonnement faux : la France n’investit proportionnellement pas plus d’argent public dans l’université que, par exemple, l’Allemagne, la Norvège, le Danemark ou la Belgique, même si elle en investit d’avantage que les Etats-Unis ou le Royaume-Uni. Elle se situe dans une moyenne légèrement supérieure à celle de l’OCDE.

      Ensuite, le changement systémique auquel il appelle revient bien à faire payer les étudiant·espour leur faire financer leurs propres études. Y compris via un endettement étudiant peut-être ? C’est en tout cas ce que de proches conseillers d’Emmanuel Macron suggéraient. Alors c’est une option bien sûr. Mais ça revient à poser franchement sur la table la nature du modèle universitaire que nous souhaitons et la manière dont l’université est encore un levier d’ascension sociale, ou a minima de formation de toutes les catégories économiques et sociales. Et ce débat-là, évidemment, Macron ne le pose pas clairement.

      Les systèmes de gouvernance [des universités], « il faut bien le dire par tradition, ont eu dans beaucoup de situations pour conséquence d’impuissanter trop souvent les équipes face aux défis qui leur étaient posés. Mais cette autonomie, soyons clairs et sincères entre nous doit aussi être synonyme d’une gouvernance renforcée de nos universités dans laquelle les équipes présidentielles pourront définir et incarner pleinement leur projet. (…) Notre système est très hypocrite – autonomie à moitié, on continue de contrôler ; ceux qui réussissent, on les aide un peu plus, ceux qui ne réussissent pas, on les compense. Et puis autonomie, mais au fond, même localement, on donne des responsabilités, mais on bloque ceux qui sont élus par nous-mêmes » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      De la même manière, on a un passage éminemment confus sur un contrat que les universités devront passer avec l’État, où il est question d’augmenter l’autonomie mais aussi la responsabilité. Selon quelles modalités ? Ce point n’est pas clair, mais il est un passage qui personnellement me fait froid dans le dos. Macron dénonce un système déresponsabilisant : « Notre système est très hypocrite — autonomie à moitié, on continue de contrôler ; ceux qui réussissent, on les aide un peu plus, ceux qui ne réussissent pas, on les compense ».

      Est-ce que cela signifie que l’État se désengagera des universités qui ne répondent pas aux critères d’excellence fixés par le gouvernement ? Que celles-ci ne feront plus partie du système de service public de l’enseignement supérieur ?

      On voit bien où cela peut mener : les grandes universités comme Saclay auront toujours plus, les petites universités au bassin de recrutement local toujours moins. Et si un tel système aide à la promotion de l’enseignement supérieur, à la formation des étudiant·es partout en France, je veux bien manger mon chapeau.

      « La France continuera de jouer son rôle de résistance en défense de l’esprit de connaissance, de recherche, d’un enseignement libre et d’une recherche libre. Parce que je crois que c’est la seule manière de continuer à véritablement conquérir le monde, c’est-à-dire à inventer des possibles nouveaux dans une humanité en paix. Les autres voies, nous les connaissons. Ce sont les obscurantismes, les totalitarismes, les nationalismes appuyés sur la discorde. » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      https://academia.hypotheses.org/33766

    • Thread de Marianne Blanchard, 14.01.2022
      Pourquoi ça n’a pas de sens de vouloir plus « professionnaliser l’université » => un thread

      1/ pour Macron, "l’université doit devenir plus efficacement professionnalisante ". Derrière, deux présupposés : a) c’est nécessaire de professionnaliser b) l’université ne le fait pas

      2/voyons déjà le premier. Pour ça je m’appuie (notamment) sur ça : https://sms.hypotheses.org/24385
      On a interrogés des jeunes diplômés d’écoles (commerce/ingé) et d’université, en sciences et en gestion sur les "compétences" dont ils avaient besoin dans leur emploi actuel

      3/ on a distingué les "compétences spécifiques" (en gros tout ce qui est spécialisé, propre à un secteur d’emploi) et "transversales" (en gros, ce qui est général, et mobilisable dans plein de métiers).

      4/ résultat pour les 971 enquêtes : "Le niveau de compétences spécifiques considéré comme acquis est en moyenne supérieur ou égal à celui estimé requis dans leur emploi" => qu’ils viennent de l’université ou d’école, personne ne se trouve pas assez "professionnalisé"

      5/ les individus déclarent peu de lacunes en compétences spécifiques, car ils les mobilisent qd elles sont trop spécialisées. Qd des déficits sont mentionnés, ils concernent des compétences trop « pointues » ou dépendantes du contexte d’emploi pour être enseignées

      6/ Les jeunes interrogés insistent aussi sur le fait qu’il est possible de se former et se spécialiser en cours d’emploi. + les entretiens révèlent que les compétences spécifiques acquises en formation semblent surtout valorisées dans leur dimension transversale

      7/ ce ne serait pas tant leur caractère technique qui importerait, que les capacités à acquérir d’autres compétences qu’elles suscitent.
      En gros, en apprenant (des choses, plus ou moins "spécifiques"/professionnelles), on apprend aussi à apprendre, à se former.

      8/ il faut donc sortir de la vision « adéquationniste » à la française prônant une professionnalisation et une spécialisation sans cesse accrue des formations initiales. Bcp de diplômé·es n’exercent pas le métier correspondant à leur spécialité de formation,

      9/ C’est le sens de l’ "introuvable" relation formation-emploi dont parlait déjà L. Tanguy.
      Se former, c’est aussi acquérir une culture générale, apprendre à porter un regard critique sur les choses, comprendre le monde pour pouvoir y prendre part en tant que citoyen·ne

      https://twitter.com/MJ_Blanchard/status/1481971200100376577

    • Universités : le renforcement « systémique » promis par Macron cache mal un projet de privatisation

      Le quasi-candidat Macron a souhaité jeudi une réforme « systémique » des universités. Derrière la promesse de les rendre « plus fortes » et de casser la concurrence avec les « grandes écoles », il a posé, en creux, les jalons d’un projet de privatisation.

      Dans un discours de clôture du congrès de la Conférence des présidents d’université (rebaptisée à cette occasion « France Universités »), Emmanuel Macron a fait le bilan de son quinquennat pour l’université et dessiné l’avenir qu’il imagine pour l’enseignement supérieur : une orientation universitaire dont la seule boussole serait le marché du travail, et une formation qu’il veut encore « plus efficacement professionnalisante ». Surtout, il a évoqué, sans prononcer les mots, une augmentation substantielle des frais de scolarité étudiante.

      Fier de son quinquennat, dont il a vanté la loi d’orientation et de réussite des étudiant·es, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), l’ouverture de places supplémentaires à l’université (sans plan d’ouvertures massives de postes d’enseignant·es-chercheurs et chercheuses ni réels moyens supplémentaires), les entrées et « bonds de géant » des universités françaises dans le classement de Shanghai (pourtant décrié), le président de la République a oublié de citer, par exemple, les déboires de Parcoursup depuis 2018, l’immolation d’un étudiant par le feu devant le Crous de La Madeleine à Lyon en 2019, l’apparition des étudiant·es en masse dans les files d’attente des distributions associatives d’aides alimentaires pendant la crise du Covid-19, et la baisse de la dépense publique par étudiant·e. Tout de même, Emmanuel Macron a reconnu qu’il faudrait « redoubler d’effort pour que, à l’horizon de dix ans, notre université soit plus forte ».

      Ainsi, ce discours face aux présidents d’université était plus celui d’un candidat que celui d’un président en exercice. Le projet dessiné ? Une augmentation des frais de scolarité, et un pas de plus vers la privatisation de l’université.
      Un raisonnement fondé sur des chiffres erronés

      Sans se prononcer explicitement pour une hausse des frais de scolarité, Emmanuel Macron l’a remise sur la table en prenant prétexte de la précarité étudiante et du pourcentage important d’étudiant·es qui abandonnent avant même les examens en première année de licence (50 % selon lui). « On ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants, où un tiers des étudiants sont boursiers et où, pourtant, nous avons tant de précarité étudiante et une difficulté à financer un modèle qui est beaucoup plus financé sur l’argent public que partout dans le monde pour répondre à la compétition internationale », a déclaré le chef de l’État.

      Si cette déclaration d’Emmanuel Macron n’est pas claire sur le prix que devront payer les étudiant·es pour accéder à l’université dans le système qu’il semble prôner, elle fait planer la possibilité de la création d’un accès réservé à celles et ceux qui en auront les moyens, ou qui auront accès à un prêt bancaire pour se le payer.

      Le quasi-candidat à la présidentielle semble vouloir calquer sa réforme « systémique » sur les systèmes anglo-saxons, où une bonne partie des étudiant·es s’endettent pour des années afin d’accéder aux études supérieures. Pourtant, aux États-Unis, la dette étudiante a atteint à la fin de l’année 2021 plus de 1 500 milliards de dollars, selon la FED, et représente désormais un véritable boulet pour l’économie.

      Mais cette déclaration présidentielle s’appuie sur des chiffres manifestement erronés. Il est d’abord mathématiquement impossible que « 50 % des étudiants seulement se présentent aux examens de première année », quand « le taux de passage en L2 des néo-bacheliers inscrits en L1 à la rentrée 2019 est de 53,5 % », d’après une note du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation publiée en novembre 2021 (https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2021-11/nf-sies-2021-24-15115.pdf).

      Ensuite, le financement du système de l’enseignement supérieur français n’est pas « beaucoup plus financé sur l’argent public que partout dans le monde », puisque selon l’OCDE (tableau C2.2b : https://www.oecd-ilibrary.org/sites/455a2bcc-en/index.html?itemId=/content/component/455a2bcc-en), la France finançait en 2018 à 80 % son système par des fonds publics pendant que, par exemple, l’Allemagne affichait un taux de 84 %, la Suède de 87 % et la Norvège de 95 % ! La réforme « systémique » de l’université française voulue par Emmanuel Macron tient sur des raisonnements scientifiquement peu solides.
      Une orientation dirigée par le marché du travail

      Jeudi, il a également jugé indispensable de pousser les universités à proposer des formations en fonction du marché du travail : « [Elles] ne devront d’abord plus seulement garantir l’accueil des étudiants dans une formation, mais garantir l’orientation des jeunes vers l’emploi. » Si cette position pouvait avoir un sens il y a plusieurs décennies, cela fait longtemps que les universités se préoccupent de l’entrée dans la vie active de leurs étudiant·es.

      Les chiffres du ministère de l’enseignement supérieur donnent un taux d’insertion à 18 mois de 89 % pour les masters et de 92 % pour les licences professionnelles. Surtout, la question de l’adéquation entre études et marché du travail est particulièrement délicate : il est impossible de connaître l’avenir de l’emploi plusieurs années après l’entrée dans les études, dans un monde en perturbations permanentes. À titre d’exemple, le sacrifice de la filière informatique à l’université (raconté ici par Mediapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/140921/universite-la-start-nation-sacrifie-la-filiere-informatique?onglet=full), à cause d’un manque de moyens, alors même que la demande industrielle est énorme, montre combien la volonté des établissements n’est pas forcément le problème principal.

      À entendre Emmanuel Macron, en tout cas, l’université devrait « devenir plus efficacement professionnalisante ». Elle ne le serait donc pas assez. Mais la sociologue Marianne Blanchard et ses collègues montrent que, lorsqu’on interroge de jeunes titulaires d’un diplôme de niveau bac+5 de master ou d’école, ils et elles considèrent que « le niveau de compétences spécifiques considéré comme acquis est en moyenne supérieur ou égal à celui estimé requis dans leur(s) emploi(s) ». En clair, ils et elles ne se considèrent pas comme « non professionnalisé·es ». Ces chercheuses et chercheurs expliquent aussi que les jeunes diplômé·es pensent « que leur capacité à acquérir ces nouvelles compétences, et donc à s’adapter à de nouveaux environnements de travail, est une compétence en soi que leur formation a contribué à développer ».
      Une remise en cause superficielle des grandes écoles

      Enfin, dans son discours de jeudi, Emmanuel Macron a semblé vouloir remettre en cause le système « grandes écoles-universités », en lançant : « Nous avons trop longtemps accepté un modèle à plusieurs vitesses, […] où les grandes écoles et organismes de recherche étaient supposés s’occuper de l’excellence et de la formation des élites, et les universités de la démocratisation de l’enseignement supérieur et de la gestion des masses. Ce système est révolu. [...] Demain, ce sont nos universités qui doivent être les piliers de l’excellence, le centre de gravité pour la recherche comme pour la formation. » Faut-il lire, en creux, une volonté de disparition pure et simple des grandes écoles ? Dès lors, l’ambition serait-elle de chasser des universités les pauvres dont les bourses « coûtent un pognon de dingue », pour y faire venir les étudiant·es plus fortuné·es des grandes écoles ?

      https://www.mediapart.fr/journal/france/150122/universites-le-renforcement-systemique-promis-par-macron-cache-mal-un-proj

      #bilan #frais_de_scolarité #LPPR #classement_de_Shanghai #parcoursup #chiffres #statistiques #financement #taux_d'insertion #moyens

    • Discours de Macron : une réforme « systémique » de l’université pas si nouvelle et fantasque que ça…

      Le congrès du 13 janvier 2022 célébrant les 50 ans de feu la Conférence des Présidents d’Université (CPU) — dorénavant #France_Universités (sic) — aura eu son petit effet médiatique. Cependant, ce n’est pas #FU qui est au centre de l’attention depuis près d’une semaine mais le président Emmanuel Macron, qui y est intervenu en visioconférence, dans un discours verbeux et ampoulé1.

      Une phrase du chef de l’État a en effet suscité des réactions nombreuses et indignées de la part des mondes universitaire [2], étudiant [3], médiatique [4] et politique [5] (dont on peut parfois douter de la sincérité… [6]) :

      « On ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants, où un tiers des étudiants sont boursiers et où, pourtant, nous avons tant de précarité étudiante et une difficulté à financer un modèle qui est beaucoup plus financé sur l’argent public que partout dans le monde pour répondre à la compétition internationale. » (p. 6)

      Malgré un flou artistique sur ce que voulait vraiment dire le Président, un consensus s’est formé autour de son probable projet pour l’enseignement supérieur : l’augmentation des frais d’inscription à l’université. En séances parlementaires, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (#MESRI), Frédérique Vidal, a été interpelée à ce sujet. Celle-ci y a catégoriquement démenti une telle interprétation des paroles de Macron [7]. Des macronistes se sont ensuite joint·es à elle pour dénoncer cette prétendue intox sur Twitter [8]. Ce SAV du discours du Président par la ministre culmine finalement avec un entretien dans Libération absolument lunaire [9].

      Au-delà de l’interprétation du discours, et du fait que le terme « évoquer » utilisé par Vidal (plutôt que « parler explicitement », cf. tweet de LCP) ne permet en rien de lever nos suspicions, existe-t-il des indications nous permettant de penser que Macron souhaiterait effectivement augmenter les frais d’inscription, en continuité avec sa politique depuis 2017 ? N’y aurait-il pas des précédents pendant son mandat ?

      Spoiler alert : oui, et oui à nouveau.

      Un précédent ?

      Alors que les macronistes égrainent dans leurs tweets une série de mesures qui démontrerait que, sous Macron, jamais les étudiant·es n’ont été aussi protégé·es (ce qui est de toute évidence faux), iels oublient systématiquement une mesure absolument honteuse : la hausse des frais d’inscription à l’université pour les étudiant·es extra-communautaires, passant de 170 à 2 770 euros en licence et de 243 à 3 770 euros en Master. Ce précédent, auquel le Conseil d’État n’a rien trouvé à redire [10], laisse penser qu’une telle hausse pourrait en principe être généralisée à tou·tes [11]. Mais est-ce dans le projet néo-libéral macroniste ?

      Un projet Macron-compatible ?

      Faisons d’abord un détour par l’#Institut_Montaigne, un think-tank néo-libéral. Ce dernier est consulté par le MESRI pour définir sa stratégie et sa politique ESR [12]. La collaboratrice de Vidal recrutée en juillet 2020, #Blanche_Leridon, est même passée par le think-tank de 2015 à 2018 [13]. Ce qui devient intéressant, c’est qu’en avril 2021, l’Institut faisait (à nouveau) des propositions sur une réforme de l’Université impliquant… une hausse des frais d’inscription, sans aucune ambiguïté ici ! [14]

      « [une] augmentation des droits de scolarité en licence à 900 € par an et à 1 200 € en master [qui] concernerait l’ensemble des universités, de manière uniforme » (p. 98–99)

      L’analogie ne s’arrête pas là puisque le think-tank propose, comme Macron (voir tableau en annexe) :

      – d’augmenter la part des #financements_privés dans les #fonds_universitaires ;
      - de résoudre la précarité étudiante par l’augmentation des frais d’inscription (ce que l’Institut Montaigne propose de faire en créant notamment des #prêts étudiants…) ;
      – de « remettre » la recherche au cœur des missions des universités au détriment des établissements de recherche, tels que le #CNRS, qui feraient office d’agences de moyens ;
      – de s’affranchir du « coût » que représente le tiers d’étudiant·es boursier·ères ;
      – la remise en cause du système historique Université–Grande école–EPST ;
      – le renforcement de la professionnalisation des formations universitaires ;
      – le renforcement de la #gouvernance des universités par leur #autonomisation.

      On remarquera tout de même quelques différences, notamment sur la précision de certains calculs puisqu’à l’inverse de Macron, l’Institut Montaigne montre que la France n’est pas la championne mondiale du financement public de ses universités ; le Président n’en étant pas à son premier raccourci grossier dans son discours [15]. Autre divergence notable, la transformation complète des EPST en agences de moyens n’est pas le scénario privilégié par le think-tank.

      Notons enfin que certain·es ont proposé à la suite du discours de Macron que l’augmentation des frais d’inscription serait inconstitutionnelle, sur la base d’une décision du Conseil constitutionnel en 2019 [16]. Cependant, ce dernier n’entérine pas la #gratuité de l’université mais sa « #modicité » ou #gratuité_payante. Un point que l’Institut Montaigne avait déjà bien pris soin de vérifier et qui serait selon lui compatible avec son projet de réforme, donc avec celui de Macron.

      « La question de la constitutionnalité d’une augmentation des droits de scolarité […] Il est donc possible de considérer que la proposition formulée [dans le rapport de l’Institut Montaigne] répond aux préoccupations du Conseil constitutionnel telles que précisées par le Conseil d’État. Des droits de scolarité annuels autour de 1 000 € apparaissent en effet modiques au regard du coût annuel moyen des formations dans l’enseignement supérieur (représentant autour de 10%).

      Ensuite, dans le cadre d’un prêt à remboursement contingent décrit ci-après, l’étudiant n’a à s’acquitter directement d’aucun droit sur la période de sa scolarité et le remboursement ultérieur de son emprunt sera fondé sur ses capacités financières. Un tel système, innovant et équitable, apparaît donc particulièrement adapté pour satisfaire aux obligations constitutionnelles pesant sur les droits de scolarité. » (p. 114–115)

      La comparaison entre le discours de Macron et celui du think tank est bluffante : il semblerait que l’un ait écrit l’autre, sans qu’on puisse savoir qui de la poule et l’œuf2 . L’ensemble des similarités entre le discours de Macron — et la politique ESR de son mandat — avec le rapport de l’Institut Montaigne montre le consensus libéral qui les unit sur la question de l’université. Une idéologie que l’un — l’Institut Montaigne — assume vis-à-vis de la question de l’augmentation des frais d’inscription, alors que l’autre — Macron et son gouvernement — la nie publiquement aussitôt l’avoir « évoquée ».

      Une difficulté à assumer qui en dit long sur l’absence de consensus dans la communauté académique et la société civile autour de ce projet de transformation de l’université.

      NB : au moment de l’écriture de ce billet, d’autres (ici le compte Twitter parodique @realUNIVFrance) ont aussi perçu le lien pour le moins troublant que nous décrivons. Le rapport de l’Institut Montaigne semble donc être une bonne grille de lecture pour comprendre le discours de Macron.

      Tableau annexe





      https://academia.hypotheses.org/33874

  • Cast away : the UK’s rushed charter flights to deport Channel crossers

    Warning: this document contains accounts of violence, attempted suicides and self harm.

    The British government has vowed to clamp down on migrants crossing the Channel in small boats, responding as ever to a tabloid media panic. One part of its strategy is a new wave of mass deportations: charter flights, specifically targeting channel-crossers, to France, Germany and Spain.

    There have been two flights so far, on the 12 and 26 August. The next one is planned for 3 September. The two recent flights stopped in both Germany (Duesseldorf) and France (Toulouse on the 12, Clermont-Ferrand on the 26). Another flight was planned to Spain on 27 August – but this was cancelled after lawyers managed to get everyone off the flight.

    Carried out in a rush by a panicked Home Office, these mass deportations have been particularly brutal, and may have involved serious legal irregularities. This report summarises what we know so far after talking to a number of the people deported and from other sources. It covers:

    The context: Calais boat crossings and the UK-France deal to stop them.

    In the UK: Yarl’s Wood repurposed as Channel-crosser processing centre; Britannia Hotels; Brook House detention centre as brutal as ever.

    The flights: detailed timeline of the 26 August charter to Dusseldorf and Clermont-Ferrand.

    Who’s on the flight: refugees including underage minors and torture survivors.

    Dumped on arrival: people arriving in Germany and France given no opportunity to claim asylum, served with immediate expulsion papers.

    The legalities: use of the Dublin III regulation to evade responsibility for refugees.

    Is it illegal?: rushed process leads to numerous irregularities.

    “that night, eight people cut themselves”

    “That night before the flight (25 August), when we were locked in our rooms and I heard that I had lost my appeal, I was desperate. I started to cut myself. I wasn’t the only one. Eight people self-harmed or tried to kill themselves rather than be taken on that plane. One guy threw a kettle of boiling water on himself. One man tried to hang himself with the cable of the TV in his room. Three of us were taken to hospital, but sent back to the detention centre after a few hours. The other five they just took to healthcare [the clinic in Brook House] and bandaged up. About 5 in the morning they came to my room, guards with riot shields. On the way to the van, they led me through a kind of corridor which was full of people – guards, managers, officials from the Home Office. They all watched while a doctor examined me, then the doctor said – ‘yes, he’s fit to fly’. On the plane later I saw one guy hurt really badly, fresh blood on his head and on his clothes. He hadn’t just tried to stop the ticket, he really wanted to kill himself. He was taken to Germany.”

    Testimony of a deported person.

    The context: boats and deals

    Since the 1990s, tens of thousands of people fleeing war, repression and poverty have crossed the “short straits” between Calais and Dover. Until 2018, people without papers attempting to cross the Channel did so mainly by getting into lorries or on trains through the Channel Tunnel. Security systems around the lorry parks, tunnel and highway were escalated massively following the eviction of the big Jungle in 2016. This forced people into seeking other, ever more dangerous, routes – including crossing one of the world’s busiest waterways in small boats. Around 300 people took this route in 2018, a further 2000 in 2019 – and reportedly more than 5,000 people already by August 2020.

    These crossings have been seized on by the UK media in their latest fit of xenophobic scaremongering. The pattern is all too familiar since the Sangatte camp of 1999: right-wing media outlets (most infamously the Daily Mail, but also others) push-out stories about dangerous “illegals” swarming across the Channel; the British government responds with clampdown promises.

    Further stoked by Brexit, recent measures have included:

    Home Secretary Priti Patel announcing a new “Fairer Borders” asylum and immigration law that she promises will “send the left into meltdown”.

    A formal request from the Home Office to the Royal Navy to assist in turning back migrants crossing by boat (although this would be illegal).

    Negotiations with the French government, leading to the announcement on 13 August of a “joint operational plan” aimed at “completely cutting this route.”

    The appointment of a “Clandestine Channel Threat Commander” to oversee operations on both sides of the Channel.

    The concrete measures are still emerging, but notable developments so far include:

    Further UK payments to France to increase security – reportedly France demanded £30 million.

    French warships from the Naval base at Cherbourg patrolling off the coast of Calais and Dunkirk.

    UK Border Force Cutters and Coastal Patrol Vessels patrolling the British side, supported by flights from Royal Air Force surveillance planes.

    The new charter flight deportation programme — reportedly named “Operation Sillath” by the Home Office.

    For the moment, at least, the governments are respecting their minimal legal obligations to protect life at sea. And there has not been evidence of illegal “push backs” or “pull backs”: where the British “push” or the French “pull” boats back across the border line by force. When these boats are intercepted in French waters the travellers are taken back to France. If they make it into UK waters, Border Force pick them up and disembark them at Dover. They are then able to claim asylum in the UK.

    There is no legal difference in claiming asylum after arriving by boat, on a plane, or any other way. However, these small boat crossers have been singled out by the government to be processed in a special way seemingly designed to deny them the right to asylum in the UK.

    Once people are safely on shore the second part of Priti Patel’s strategy to make this route unviable kicks in: systematically obstruct their asylum claims and, where possible, deport them to France or other European countries. In practice, there is no way the Home Office can deport everyone who makes it across. Rather, as with the vast majority of immigration policy, the aim is to display toughness with a spectacle of enforcement – not only in an attempt to deter other arrivals, but perhaps, above all else, to play to key media audiences.

    This is where the new wave of charter flights come in. Deportations require cooperation from the destination country, and the first flight took place on 12 August in the midst of the Franco-British negotiations. Most recently, the flights have fed a new media spectacle in the UK: the Home Office attacking “activist lawyers” for doing their job and challenging major legal flaws in these rushed removals.

    The Home Office has tried to present these deportation flights as a strong immediate response to the Channel crossings. The message is: if you make it across, you’ll be back again within days. Again, this is more spectacle than reality. All the people we know of on the flights were in the UK for several months before being deported.

    In the UK: Yarl’s Wood repurposed

    Once on shore people are taken to one of two places: either the Kent Intake Unit, which is a Home Office holding facility (i.e., a small prefab cell complex) in the Eastern Docks of Dover Port; or the Dover police station. This police stations seems increasingly to be the main location, as the small “intake unit” is often at capacity. There used to be a detention centre in Dover where new arrivals were held, notorious for its run-down state, but this was closed in October 2015.

    People are typically held in the police station for no more than a day. The next destination is usually Yarl’s Wood, the Bedfordshire detention centre run by Serco. This was, until recently, a longer term detention centre holding mainly women. However, on 18 August the Home Office announced Yarl’s Wood been repurposed as a “Short Term Holding Facility” (SHTF) specifically to process people who have crossed the Channel. People stay usually just a few days – the legal maximum stay for a “short term” facility is seven days.

    Yarl’s Wood has a normal capacity of 410 prisoners. According to sources at Yarl’s Wood:

    “last week it was almost full with over 350 people detained. A few days later this number
    had fallen to 150, showing how quickly people are moving through the centre. As of Tuesday 25th of August there was no one in the centre at all! It seems likely that numbers will fluctuate in line with Channel crossings.”

    The same source adds:

    “There is a concern about access to legal aid in Yarl’s Wood. Short Term Holding Facility regulations do not require legal advice to be available on site (in Manchester, for example, there are no duty lawyers). Apparently the rota for duty lawyers is continuing at Yarl’s Wood for the time being. But the speed with which people are being processed now means that it is practically impossible to sign up and get a meeting with the duty solicitor before being moved out.”

    The Home Office conducts people’s initial asylum screening interviews whilst they are at Yarl’s Wood. Sometimes these are done in person, or sometimes by phone.

    This is a crucial point, as this first interview decides many people’s chance of claiming asylum in the UK. The Home Office uses information from this interview to deport the Channel crossers to France and Germany under the Dublin III regulation. This is EU legislation which allows governments to pass on responsibility for assessing someone’s asylum claim to another state. That is: the UK doesn’t even begin to look at people’s asylum cases.

    From what we have seen, many of these Dublin III assessments were made in a rushed and irregular way. They often used only weak circumstantial evidence. Few people had any chance to access legal advice, or even interpreters to explain the process.

    We discuss Dublin III and these issues below in the Legal Framework section.
    In the UK: Britain’s worst hotels

    From Yarl’s Wood, people we spoke to were given immigration bail and sent to asylum accommodation. In the first instance this currently means a cheap hotel. Due to the COVID-19 outbreak, the Home Office ordered its asylum contractors (Mears, Serco) to shut their usual initial asylum accommodation and move people into hotels. It is not clear why this decision was made, as numerous accounts suggest the hotels are much worse as possible COVID incubators. The results of this policy have already proved fatal – we refer to the death of Adnan Olbeh in a Glasgow hotel in April.

    Perhaps the government is trying to prop up chains such as Britannia Hotels, judged for seven years running “Britain’s worst hotel chain” by consumer magazine Which?. Several people on the flights were kept in Britannia hotels. The company’s main owner, multi-millionaire Alex Langsam, was dubbed the “asylum king” by British media after winning previous asylum contracts with his slum housing sideline.

    Some of the deportees we spoke to stayed in hotel accommodation for several weeks before being moved into normal “asylum dispersal” accommodation – shared houses in the cheapest parts of cities far from London. Others were picked up for deportation directly from the hotels.

    In both cases, the usual procedure is a morning raid: Immigration Enforcement squads grab people from their beds around dawn. As people are in collaborating hotels or assigned houses, they are easy to find and arrest when next on the list for deportation.

    After arrest, people were taken to the main detention centres near Heathrow (Colnbrook and Harmondsworth) or Gatwick (particularly Brook House). Some stopped first at a police station or Short Term Holding Facility for some hours or days.

    All the people we spoke to eventually ended up in Brook House, one of the two Gatwick centres.
    “they came with the shields”

    “One night in Brook House, after someone cut himself, they locked everyone in. One man panicked and started shouting asking the guards please open the door. But he didn’t speak much English, he was shouting in Arabic. He said – ‘if you don’t open the door I will boil water in my kettle and throw it on my face.’ But they didn’t understand him, they thought he was threatening them, saying he would throw it at them. So they came with the shields, took him out of his room and put him into a solitary cell. When they put him in there they kicked him and beat him, they said ‘don’t threaten us again’.” Testimony of a deported person.

    Brook House

    Brook House remains notorious, after exposure by a whistleblower of routine brutality and humiliation by guards then working for G4S. The contract has since been taken over by Mitie’s prison division – branded as “Care and Custody, a Mitie company”. Presumably, many of the same guards simply transferred over.

    In any case, according to what we heard from the deported people, nothing much has changed in Brook House – viciousness and violence from guards remains the norm. The stories included here give just a few examples. See recent detainee testimonies on the Detained Voices blog for much more.
    “they only care that you don’t die in front of them”

    “I was in my room in Brook House on my own for 12 days, I couldn’t eat or drink, just kept thinking, thinking about my situation. I called for the doctors maybe ten times. They did come a couple of times, they took my blood, but they didn’t do anything else. They don’t care about your health or your mental health. They are just scared you will die there. They don’t care what happens to you just so long as you don’t die in front of their eyes. It doesn’t matter if you die somewhere else.” Testimony of a deported person.
    Preparing the flights

    The Home Office issues papers called “Removal Directions” (RDs) to those they intend to deport. These specify the destination and day of the flight. People already in detention should be given at least 72 hours notice, including two working days, which allows them to make final appeals.

    See the Right to Remain toolkit for detailed information on notice periods and appeal procedures.

    All UK deportation flights, both tickets on normal scheduled flights and chartered planes, are booked by a private contractor called Carlson Wagonlit Travel (CWT). The main airline used by the Home Office for charter flights is a charter company called Titan Airways.

    See this 2018 Corporate Watch report for detailed information on charter flight procedures and the companies involved. And this 2020 update on deportations overall.

    On the 12 August flight, legal challenges managed to get 19 people with Removal Directions off the plane. However, the Home Office then substituted 14 different people who were on a “reserve list”. Lawyers suspect that these 14 people did not have sufficient access to legal representation before their flight which is why they were able to be removed.

    Of the 19 people whose lawyers successfully challenged their attempted deportation, 12 would be deported on the next charter flight on 26 August. 6 were flown to Dusseldorf in Germany, and 6 to Clermont-Ferrand in France.

    Another flight was scheduled for the 27 August to Spain. However, lawyers managed to get everyone taken off, and the Home Office cancelled the flight. A Whitehall source was quoted as saying “there was 100% legal attrition rate on the flight due to unprecedented and organised casework barriers sprung on the government by three law firms.” It is suspected that the Home Office will continue their efforts to deport these people on future charter flights.

    Who was deported?

    All the people on the flights were refugees who had claimed asylum in the UK immediately on arrival at Dover. While the tabloids paint deportation flights as carrying “dangerous criminals”, none of these people had any criminal charges.

    They come from countries including Iraq, Yemen, Sudan, Syria, Afghanistan and Kuwait. (Ten further Yemenis were due to be on the failed flight to Spain. In June, the UK government said it will resume arms sales to Saudi Arabia to use in the bombardment of the country that has cost tens of thousands of lives).

    All have well-founded fears of persecution in their countries of origin, where there have been extensive and well-documented human rights abuses. At least some of the deportees are survivors of torture – and have been documented as such in the Home Office’s own assessments.

    One was a minor under 18 who was age assessed by the Home Office as 25 – despite them being in possession of his passport proving his real age. Unaccompanied minors should not legally be processed under the Dublin III regulation, let alone held in detention and deported.

    Many, if not all, have friends and families in the UK.

    No one had their asylum case assessed – all were removed under the Dublin III procedure (see Legal Framework section below).

    Timeline of the flight on 26 August

    Night of 25 August: Eight people due to be on the flight self-harm or attempt suicide. Others have been on hunger strike for more than a week already. Three are taken to hospital where they are hastily treated before being discharged so they can still be placed on the flight. Another five are simply bandaged up in Brook House’s healthcare facility. (See testimony above.)

    26 August, 4am onwards: Guards come to take deportees from their rooms in Brook House. There are numerous testimonies of violence: three or four guards enter rooms with shields, helmets, and riot gear and beat up prisoners if they show any resistance.

    4am onwards: The injured prisoners are taken by guards to be inspected by a doctor, in a corridor in front of officials, and are certified as “fit to fly”.

    5am onwards: Prisoners are taken one by one to waiting vans. Each is placed in a separate van with four guards. Vans are labelled with the Mitie “Care and Custody” logo. Prisoners are then kept sitting in the vans until everyone is loaded, which takes one to two hours.

    6am onwards: Vans drive from Brook House (near Gatwick Airport) to Stansted Airport. They enter straight into the airport charter flight area. Deportees are taken one by one from the vans and onto Titan’s waiting plane. It is an anonymous looking white Airbus A321-211 without the company’s livery, with the registration G-POWU. They are escorted up the steps with a guard on each side.

    On the plane there are four guards to each person: one seated on each side, one in the seat in front and one behind. Deportees are secured with restraint belts around their waists, so that their arms are handcuffed to the belts on each side. Besides the 12 deportees and 48 guards there are Home Office officials, Mitie managers, and two paramedics on the plane.

    7.48AM (BST): The Titan Airways plane (using flight number ZT311) departs Stansted airport.

    9.44AM (CEST): The flight lands in Dusseldorf. Six people are taken off the plane and are handed over to the German authorities.

    10.46AM (CEST): Titan’s Airbus takes off from Dusseldorf bound for Clermont-Ferrand, France with the remaining deportees.

    11.59AM (CEST): The Titan Airways plane (now with flight number ZT312) touches down at Clermont-Ferrand Auvergne airport and the remaining six deportees are disembarked from the plane and taken into the custody of the Police Aux Frontières (PAF, French border police).

    12:46PM (CEST): The plane leaves Clermont-Ferrand to return to the UK. It first lands in Gatwick, probably so the escorts and other officials get off, before continuing on to Stansted where the pilots finish their day.

    Dumped on arrival: Germany

    What happened to most of the deportees in Germany is not known, although it appears there was no comprehensive intake procedure by the German police. One deportee told us German police on arrival in Dusseldorf gave him a train ticket and told him to go to the asylum office in Berlin. When he arrived there, he was told to go back to his country. He told them he could not and that he had no money to stay in Berlin or travel to another country. The asylum office told him he could sleep on the streets of Berlin.

    Only one man appears to have been arrested on arrival. This was the person who had attempted suicide the night before, cutting his head and neck with razors, and had been bleeding throughout the flight.
    Dumped on arrival: France

    The deportees were taken to Clermont-Ferrand, a city in the middle of France, hundreds of kilometres away from metropolitan centres. Upon arrival they were subjected to a COVID nose swab test and then held by the PAF while French authorities decided their fate.

    Two were released around an hour and a half later with appointments to claim asylum in around one week’s time – in regional Prefectures far from Clermont-Ferrand. They were not offered any accommodation, further legal information, or means to travel to their appointments.

    The next person was released about another hour and a half after them. He was not given an appointment to claim asylum, but just provided with a hotel room for four nights.

    Throughout the rest of the day the three other detainees were taken from the airport to the police station to be fingerprinted. Beginning at 6PM these three began to be freed. The last one was released seven hours after the deportation flight landed. The police had been waiting for the Prefecture to decide whether or not to transfer them to the detention centre (Centre de Rétention Administrative – CRA). We don’t know if a factor in this was that the nearest detention centre, at Lyon, was full up.

    However, these people were not simply set free. They were given expulsion papers ordering them to leave France (OQTF: Obligation de quitter le territoire français), and banning them from returning (IRTF: Interdiction de retour sur le territoire français). These papers allowed them only 48 hours to appeal. The British government has said that people deported on flights to France have the opportunity to claim asylum in France. This is clearly not true.

    In a further bureaucratic contradiction, alongside expulsion papers people were also given orders that they must report to the Clermont-Ferrand police station every day at 10:00AM for the next 45 days (potentially to be arrested and detained at any point). They were told that if they failed to report, the police would consider them on the run.

    The Prefecture also reserved a place in a hotel many kilometres away from the airport for them for four nights, but not any further information or ways to receive food. They were also not provided any way to get to this hotel, and the police would not help them – stating that their duty finished once they gave the deportees their papers.

    “After giving me the expulsion papers the French policeman said ‘Now you can go to England.’” (Testimony of deported person)

    The PAF showed a general disregard for the health and well-being of the deportees who were in the custody throughout the day. One of the deportees had been in a wheel-chair throughout the day and was unable to walk due to the deep lacerations on his feet from self-harming. He was never taken to the hospital, despite the doctor’s recommendation, neither during the custody period nor after his release. In fact, the only reason for the doctor’s visit in the first place was to assess whether he was fit to be detained should the Prefecture decide that. The police kept him in his bloody clothes all day, and when they released him he did not have shoes and could barely walk. No crutches were given, nor did the police offer to help him get to the hotel. He was put out on the street having to carry all of his possessions in a Home Office issue plastic bag.
    “the hardest night of my life”

    “It was the hardest night of my life. My heart break was so great that I seriously thought of suicide. I put the razor in my mouth to swallow it; I saw my whole life pass quickly until the first hours of dawn. The treatment in detention was very bad, humiliating and degrading. I despised myself and felt that my life was destroyed, but it was too precious to lose it easily. I took the razor out from my mouth before I was taken out of the room, where four large-bodied people, wearing armour similar to riot police and carrying protective shields, violently took me to the large hall at the ground floor of the detention centre. I was exhausted, as I had been on hunger strike for several days. In a room next to me, one of the deportees tried to resist and was beaten so severely that blood dripping from his nose. In the big hall, they searched me carefully and took me to a car like a dangerous criminal, two people on my right and left, they drove for about two hours to the airport, there was a big passenger plane on the runway. […] That moment, I saw my dreams, my hopes, shattered in front of me when I entered the plane.”

    Testimony of deported person (from Detained Voices: https://detainedvoices.com/2020/08/27/brook-house-protestor-on-his-deportation-it-was-the-hardest-night-of).

    The Legal Framework: Dublin III

    These deportations are taking place under the Dublin III regulation. This is EU law that determines which European country is responsible for assessing a refugee’s asylum claim. The decision involves a number of criteria, the primary ones being ‘family unity’ and the best interests of children. Another criterion, in the case of people crossing borders without papers, is which country they first entered ‘irregularly’. In the law, this is supposed to be less important than family ties – but it is the most commonly used ground by governments seeking to pass on asylum applicants to other states. All the people we know of on these flights were “Dublined” because the UK claimed they had previously been in France, Germany or Spain.

    (See: House of Commons intro briefing; Right to Remain toolkit section:
    https://commonslibrary.parliament.uk/what-is-the-dublin-iii-regulation-will-it-be-affected-by-b
    https://righttoremain.org.uk/toolkit/dublin)

    By invoking the Dublin regulation, the UK evades actually assessing people’s asylum cases. These people were not deported because their asylum claims failed – their cases were simply never considered. The decision to apply Dublin III is made after the initial screening interview (now taking place in Yarl’s Wood). As we saw above, very few people are able to access any legal advice before these interviews are conducted and sometimes they are carried out by telephone or without adequate translation.

    Under Dublin III the UK must make a formal request to the other government it believes is responsible for considering the asylum claim to take the person back, and present evidence as to why that government should accept responsibility. Typically, the evidence provided is the record of the person’s fingerprints registered by another country on the Europe-wide EURODAC database.

    However, in the recent deportation cases the Home Office has not always provided fingerprints but instead relied on weak circumstantial evidence. Some countries have refused this evidence, but others have accepted – notably France.

    There seems to be a pattern in the cases so far where France is accepting Dublin III returns even when other countries have refused. The suspicion is that the French government may have been incentivised to accept ‘take-back’ requests based on very flimsy evidence as part of the recent Franco-British Channel crossing negotiations (France reportedly requested £30m to help Britain make the route ‘unviable’).

    In theory, accepting a Dublin III request means that France (or another country) has taken responsibility to process someone’s asylum claim. In practice, most of the people who arrived at Clermont-Ferrand on 26 August were not given any opportunity to claim asylum – instead they were issued with expulsion papers ordering them to leave France and Europe. They were also only given 48 hours to appeal these expulsions orders without any further legal information; a near impossibility for someone who has just endured a forceful expulsion and may require urgent medical treatment.

    Due to Brexit, the United Kingdom will no longer participate in Dublin III from 31 December 2020. While there are non-EU signatories to the agreement like Switzerland and Norway, it is unclear what arrangements the UK will have after that (as with basically everything else about Brexit). If there is no overall deal, the UK will have to negotiate numerous bilateral agreements with European countries. This pattern of expedited expulsion without a proper screening process established with France could be a taste of things to come.

    Conclusion: rushed – and illegal?

    Charter flight deportations are one of the most obviously brutal tools used by the UK Border Regime. They involve the use of soul-crushing violence by the Home Office and its contractors (Mitie, Titan Airways, Britannia Hotels, and all) against people who have already lived through histories of trauma.

    For these recent deportations of Channel crossers the process seems particularly rushed. People who have risked their lives in the Channel are scooped into a machine designed to deny their asylum rights and expel them ASAP – for the sake of a quick reaction to the latest media panic. New procedures appear to have been introduced off the cuff by Home Office officials and in under-the-table deals with French counterparts.

    As a result of this rush-job, there seem to be numerous irregularities in the process. Some have been already flagged up in the successful legal challenges to the Spanish flight on 27 August. The detention and deportation of boat-crossers may well be largely illegal, and is open to being challenged further on both sides of the Channel.

    Here we recap a few particular issues:

    The highly politicised nature of the expulsion process for small boat crossers means they are being denied access to a fair asylum procedure by the Home Office.

    The deportees include people who are victims of torture and of trafficking, as well as under-aged minors.

    People are being detained, rushed through screening interviews, and “Dublined” without access to legal advice and necessary information.

    In order to avoid considering asylum requests, Britain is applying Dublin III often just using flimsy circumstantial evidence – and France is accepting these requests, perhaps as a result of recent negotiations and financial arrangements.

    Many deportees have family ties in the UK – but the primary Dublin III criterion of ‘family unity’ is ignored.

    In accepting Dublin III requests France is taking legal responsibility for people’s asylum claims. But in fact it has denied people the chance to claim asylum, instead immediately issuing expulsion papers.

    These expulsion papers (‘Order to quit France’ and ‘Ban from returning to France’ or ‘OQTF’ and ‘IRTF’) are issued with only 48 hour appeal windows. This is completely inadequate to ensure a fair procedure – even more so for traumatised people who have just endured detention and deportation, then been dumped in the middle of nowhere in a country where they have no contacts and do not speak the language.

    This completely invalidates the Home Office’s argument that the people it deports will be able to access a fair asylum procedure in France.

    https://corporatewatch.org/cast-away-the-uks-rushed-charter-flights-to-deport-channel-crossers

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    @karine4 —> il y a une section dédiée à l’arrivée des vols charter en France (à Clermont-Ferrand plus précisément) :
    Larguées à destination : la France

    ping @isskein

    • Traduction française :

      S’en débarrasser : le Royaume Uni se précipite pour expulser par vols charters les personnes qui traversent la Manche

      Attention : ce document contient des récits de violence, tentatives de suicide et automutilation.

      Le Royaume Uni s’attache à particulièrement réprimer les migrants traversant la Manche dans de petites embarcations, répondant comme toujours à la panique propagée par les tabloïds britanniques. Une partie de sa stratégie consiste en une nouvelle vague d’expulsions massives : des vols charters, ciblant spécifiquement les personnes traversant la Manche, vers la France, l’Allemagne et l’Espagne.

      Deux vols ont eu lieu jusqu’à présent, les 12 et 26 août. Le prochain est prévu pour le 3 septembre. Les deux vols récents ont fait escale à la fois en Allemagne (Düsseldorf) et en France (Toulouse le 12, Clermont-Ferrand le 26). Un autre vol était prévu pour l’Espagne le 27 août – mais il a été annulé après que les avocat-es aient réussi à faire descendre tout le monde de l’avion.

      Menées à la hâte par un Home Office en panique, ces déportations massives ont été particulièrement brutales, et ont pu impliquer de graves irrégularités juridiques. Ce rapport résume ce que nous savons jusqu’à présent après avoir parlé à un certain nombre de personnes expulsées et à d’autres sources. Il couvre :

      Le contexte : Les traversées en bateau de Calais et l’accord entre le Royaume-Uni et la France pour les faire cesser.
      Au Royaume-Uni : Yarl’s Wood reconverti en centre de traitement de personnes traversant la Manche ; Britannia Hotels ; le centre de détention de Brook House, toujours aussi brutal.
      Les vols : Calendrier détaillé du charter du 26 août vers Düsseldorf et Clermont-Ferrand.
      Qui est à bord du vol : Les personnes réfugiées, y compris des mineurs et des personnes torturées.
      Délaissé à l’arrivée : Les personnes arrivant en Allemagne et en France qui n’ont pas la possibilité de demander l’asile se voient délivrer immédiatement des documents d’expulsion.
      Les questions juridiques : Utilisation du règlement Dublin III pour se soustraire de la responsabilité à l’égard des réfugiés.
      Est-ce illégal ? : la précipitation du processus entraîne de nombreuses irrégularités.

      “cette nuit-là, huit personnes se sont automutilées”

      Cette nuit-là avant le vol (25 août), lorsque nous étions enfermés dans nos chambres et que j’ai appris que j’avais perdu en appel, j’étais désespéré. J’ai commencé à me mutiler. Je n’étais pas le seule. Huit personnes se sont automutilées ou ont tenté de se suicider plutôt que d’être emmenées dans cet avion. Un homme s’est jeté une bouilloire d’eau bouillante sur lui-même. Un homme a essayé de se pendre avec le câble de télé dans sa chambre. Trois d’entre nous ont été emmenés à l’hôpital, mais renvoyés au centre de détention après quelques heures. Les cinq autres ont été emmenés à l’infirmerie de Brook House où on leur a mis des pansements. Vers 5 heures du matin, ils sont venus dans ma chambre, des gardes avec des boucliers anti-émeutes. Sur le chemin pour aller au van, ils m’ont fait traverser une sorte de couloir rempli de gens – gardes, directeurs, fonctionnaires du Home Office. Ils ont tous regardé pendant qu’un médecin m’examinait, puis le médecin a dit : “oui, il est apte à voler”. Dans l’avion, plus tard, j’ai vu un homme très gravement blessé, du sang dégoulinant de sa tête et sur ses vêtements. Il n’avait pas seulement essayé d’arrêter le vol, il voulait vraiment se tuer. Il a été emmené en Allemagne.

      Témoignage d’une personne déportée.

      Le contexte : les bateaux et les accords

      Depuis les années 1990, des dizaines de milliers de personnes fuyant la guerre, la répression et la pauvreté ont franchi le “court détroit” entre Calais et Dover. Jusqu’en 2018, les personnes sans papiers qui tentaient de traverser la Manche le faisaient principalement en montant dans des camions ou des trains passant par le tunnel sous la Manche. Les systèmes de sécurité autour des parkings de camions, du tunnel et de l’autoroute ont été massivement renforcés après l’expulsion de la grande jungle en 2016. Cela a obligé les gens à chercher d’autres itinéraires, toujours plus dangereux, y compris en traversant l’une des voies navigables les plus fréquentées du monde à bord de petits bateaux. Environ 300 personnes ont emprunté cet itinéraire en 2018, 2000 autres en 2019 – et, selon les rapports, plus de 5000 personnes entre janvier et août 2020.

      Ces passages ont été relayés par les médias britanniques lors de leur dernière vague de publications xénophobiques et alarmistes. Le schéma n’est que trop familier depuis le camp Sangatte en 1999 : les médias de droite (le plus célèbre étant le Daily Mail, mais aussi d’autres) diffusent des articles abusifs sur les dangereux “illégaux” qui déferleraient à travers la Manche ; et le gouvernement britannique répond par des promesses de répression.

      Renforcé par le Brexit, les mesures et annonces récentes comprennent :

      Le ministre de l’intérieur, Priti Patel, annonce une nouvelle loi sur l’asile et l’immigration “plus juste” qui, promet-elle, “fera s’effondrer la gauche”.
      Une demande officielle du Home Office à la Royal Navy pour aider à refouler les migrants qui traversent par bateau (bien que cela soit illégal).
      Négociations avec le gouvernement français, qui ont abouti à l’annonce le 13 août d’un “plan opérationnel conjoint” visant “ à couper complètement cette route”.
      La nomination d’un “Commandant de la menace clandestine dans la Manche” pour superviser les opérations des deux côtés de la Manche.

      Les mesures concrètes se font encore attendre, mais les évolutions notables jusqu’à présent sont les suivantes :

      D’autres paiements du Royaume-Uni à la France pour accroître la sécurité – la France aurait demandé 30 millions de livres sterling.
      Des navires de guerre français de la base navale de Cherbourg patrouillant au large des côtes de Calais et de Dunkerque.
      Des Border Force Cutters (navires) et les patrouilleurs côtiers britanniques patrouillant du côté anglais soutenus par des avions de surveillance de la Royal Air Force.
      Le nouveau programme d’expulsion par vol charter – qui aurait été baptisé “Opération Sillath” par le ministère de l’intérieur.

      Pour l’instant, du moins, les gouvernements respectent leurs obligations légales minimales en matière de protection de la vie en mer. Et il n’y a pas eu de preuves de “push backs” (refoulement) ou de “pull backs” illégaux : où, de force, soit des bateaux britanniques “poussent”, soit des bateaux français “tirent” des bateaux vers l’un ou l’autre côté de la frontière. Lorsque ces bateaux sont interceptés dans les eaux françaises, les voyageurs sont ramenés en France. S’ils parviennent à entrer dans les eaux britanniques, la police aux frontières britannique les récupère et les débarque à Douvres. Ils peuvent alors demander l’asile au Royaume-Uni.

      Il n’y a pas de différence juridique entre demander l’asile après être arrivé par bateau, par avion ou de toute autre manière. Cependant, ces personnes traversant par petits bateaux ont été ciblées par le gouvernement pour être traitées d’une manière spéciale, semble-t-il conçue pour leur refuser le droit d’asile au Royaume-Uni.

      Une fois que les personnes sont à terre et en sécurité, le deuxième volet de la stratégie de Priti Patel visant à rendre cette voie non viable entre en jeu : systématiquement faire obstacle à leur demande d’asile et, si possible, les expulser vers la France ou d’autres pays européens. En pratique, il est impossible pour le Home Office d’expulser toutes les personnes qui réussissent à traverser. Il s’agit plutôt, comme dans la grande majorité des politiques d’immigration, de faire preuve de fermeté avec un spectacle de mise en vigueur – non seulement pour tenter de dissuader d’autres arrivant-es, mais peut-être surtout pour se mettre en scène devant les principaux médias.

      C’est là qu’intervient la nouvelle vague de vols charter. Les expulsions nécessitent la coopération du pays de destination, et le premier vol a eu lieu le 12 août en plein milieu des négociations franco-britanniques. Plus récemment, ces vols ont alimenté un nouveau spectacle médiatique au Royaume-Uni : le Home Office s’en prend aux “avocats militants” qui font leur travail en contestant les principales failles juridiques de ces renvois précipités.

      Le Home Office a tenté de présenter ces vols d’expulsion comme une réponse immédiate et forte aux traversées de la Manche. Le message est le suivant : si vous traversez la Manche, vous serez de retour dans les jours qui suivent. Là encore, il s’agit plus de spectacle que de réalité. Toutes les personnes que nous connaissons sur ces vols étaient au Royaume-Uni plusieurs mois avant d’être expulsées.

      Au Royaume-Uni : Yarl’s Wood réaffecté

      Une fois à terre en Angleterre, les personnes sont emmenées à l’un des deux endroits suivants : soit la Kent Intake Unit (Unité d’admission du Kent), qui est un centre de détention du ministère de l’intérieur (c’est-à-dire un petit complexe de cellules préfabriquées) dans les docks à l’est du port de Douvres ; soit le poste de police de Douvres. Ce poste de police semble être de plus en plus l’endroit principal, car la petite “unité d’admission” est souvent pleine. Il y avait autrefois un centre de détention à Douvres où étaient détenus les nouveaux arrivants, qui était connu pour son état de délabrement, mais a été fermé en octobre 2015.

      Les personnes sont généralement détenues au poste de police pendant une journée maximum. La destination suivante est généralement Yarl’s Wood, le centre de détention du Bedfordshire géré par Serco. Il s’agissait, jusqu’à récemment, d’un centre de détention à long terme qui accueillait principalement des femmes. Cependant, le 18 août, le ministère de l’intérieur a annoncé que Yarl’s Wood avait été réaménagé en “centre de détention de courte durée” (Short Term Holding Facility – SHTF) pour traiter spécifiquement les personnes qui ont traversé la Manche. Les personnes ne restent généralement que quelques jours – le séjour maximum légal pour un centre de “courte durée” est de sept jours.

      Yarl’s Wood a une capacité normale de 410 prisonniers. Selon des sources à Yarl’s Wood :

      “La semaine dernière, c’était presque plein avec plus de 350 personnes détenues. Quelques jours plus tard, ce nombre était tombé à 150, ce qui montre la rapidité avec laquelle les gens passent par le centre. Mardi 25 août, il n’y avait plus personne dans le centre ! Il semble probable que les chiffres fluctueront en fonction des traversées de la Manche.”

      La même source ajoute :

      “Il y a des inquiétudes concernant l’accès à l’aide juridique à Yarl’s Wood. La réglementation relative aux centres de détention provisoire n’exige pas que des conseils juridiques soient disponibles sur place (à Manchester, par exemple, il n’y a pas d’avocats de garde). Apparemment, le roulement des avocats de garde se poursuit à Yarl’s Wood pour l’instant. Mais la rapidité avec laquelle les personnes sont traitées maintenant signifie qu’il est pratiquement impossible de s’inscrire et d’obtenir un rendez-vous avec l’avocat de garde avant d’être transféré”.

      Le ministère de l’Intérieur mène les premiers entretiens d’évaluation des demandeurs d’asile pendant qu’ils sont à Yarl’s Wood. Ces entretiens se font parfois en personne, ou parfois par téléphone.

      C’est un moment crucial, car ce premier entretien détermine les chances de nombreuses personnes de demander l’asile au Royaume-Uni. Le ministère de l’intérieur utilise les informations issues de cet entretien pour expulser les personnes qui traversent la Manche vers la France et l’Allemagne en vertu du règlement Dublin III. Il s’agit d’une législation de l’Union Européenne (UE) qui permet aux gouvernements de transférer la responsabilité de l’évaluation de la demande d’asile d’une personne vers un autre État. Autrement dit, le Royaume-Uni ne commence même pas à examiner les demandes d’asile des personnes.

      D’après ce que nous avons vu, beaucoup de ces évaluations de Dublin III ont été faites de manière précipitée et irrégulière. Elles se sont souvent appuyées sur de faibles preuves circonstancielles. Peu de personnes ont eu la possibilité d’obtenir des conseils juridiques, ou même des interprètes pour expliquer le processus.

      Nous abordons Dublin III et les questions soulevées ci-dessous dans la section “Cadre juridique”.
      Au Royaume-Uni : les pires hôtels britanniques

      De Yarl’s Wood, les personnes à qui nous avons parlé ont été libérées sous caution (elles devaient respecter des conditions spécifiques aux personnes immigrées) dans des hébergement pour demandeurs d’asile. Dans un premier temps, cet hébergement signifie un hôtel à bas prix. En raison de l’épidémie du COVID-19, le Home Office a ordonné aux entreprises sous-traitantes (Mears, Serco) qui administrent habituellement les centres d’accueil pour demandeurs d’asile de fermer leurs places d’hébergement et d’envoyer les personnes à l’hôtel. Cette décision est loin d’être claire, du fait que de nombreux indicateurs suggèrent que les hôtels sont bien pires en ce qui concerne la propagation du COVID. Le résultat de cette politique s’est déjà avéré fatal – voir la mort d’Adnan Olbeh à l’hôtel Glasgow en avril.

      Peut-être le gouvernement essaie de soutenir des chaînes telles que Britannia Hotels, classée depuis sept ans à la suite comme la “pire chaîne d’hôtel britannique” par le magazine des consommateurs Which ?. Plusieurs personnes envoyées par charter avaient été placées dans des hôtels Britannia. Le principal propriétaire de cette chaîne, le multi-millionnaire Alex Langsam, a été surnommé « le roi de l’asile » par les médias britanniques après avoir remporté précédemment à l’aide de ses taudis d’autres contrats pour l’hébergement des demandeurs d’asile.

      Certaines des personnes déportées à qui nous avons parlé sont restées dans ce genre d’hôtels plusieurs semaines avant d’être envoyées dans des lieux de “dispersion des demandeurs d’asile” – des logements partagés situés dans les quartiers les plus pauvres de villes très éloignées de Londres. D’autres ont été mises dans l’avion directement depuis les hôtels.

      Dans les deux cas, la procédure habituelle est le raid matinal : Des équipes de mise-en-œuvre de l’immigration (Immigration Enforcement squads) arrachent les gens de leur lit à l’aube. Comme les personnes sont dans des hôtels qui collaborent ou assignées à des maisons, il est facile de les trouver et de les arrêter quand elles sont les prochains sur la liste des déportations.

      Après l’arrestation, les personnes ont été amenées aux principaux centres de détention près de Heathrow (Colnbrook et Harmondsworth) ou Gatwick (particulièrement Brook House). Quelques-unes ont d’abord été gardées au commissariat ou en détention pour des séjours de court terme pendant quelques heures ou quelques jours.

      Tous ceux à qui nous avons parlé ont finalement terminé à Brook House, un des deux centres de détention de Gatwick.
      « ils sont venus avec les boucliers »

      Une nuit, à Brook House, après que quelqu’un se soit mutilé, ils ont enfermé tout le monde. Un homme a paniqué et a commencé à crier en demandant aux gardes « S’il vous plaît, ouvrez la porte ». Mais il ne parlait pas bien anglais et criait en arabe. Il a dit : « Si vous n’ouvrez pas la porte je vais faire bouillir de l’eau dans ma bouilloire et me la verser sur le visage ». Mais ils ne l’ont pas compris, ils pensaient qu’il était en train de les menacer et qu’il était en train de dire qu’il allait jeter l’eau bouillante sur eux. Alors ils sont arrivés avec leurs boucliers, ils l’ont jeté hors de sa cellule et ils l’ont mis en isolement. Quand ils l’ont mis là-bas, ils lui ont donné des coups et ils l’ont battu, ils ont dit : « Ne nous menace plus jamais ». (Témoignage d’une personne déportée)

      Brook House

      Brook House reste tristement célèbre après les révélations d’un lanceur d’alerte sur les brutalités quotidiennes et les humiliations commises par les gardes qui travaillent pour G4S. Leur contrat a depuis été repris par la branche emprisonnement de Mitie – dont la devise est « Care and Custody, a Mitie company » (traduction : « Soins et détention, une entreprise Mitie »). Probablement que beaucoup des mêmes gardes sont simplement passés d’une entreprise à l’autre.

      Dans tous les cas, d’après ce que les personnes déportées nous ont dit, pas grand chose n’a changé à Brook House – le vice et la violence des gardes restent la norme. Les histoires rapportées ici en donnent juste quelques exemples. Vous pouvez lire davantage dans les récents témoignages de personnes détenues sur le blog Detained Voices.
      « ils s’assurent juste que tu ne meures pas devant eux »

      J’étais dans ma cellule à Brook House seul depuis 12 jours, je ne pouvais ni manger ni boire, juste penser, penser à ma situation. J’ai demandé un docteur peut-être dix fois. Ils sont venus plusieurs fois, ils ont pris mon sang, mais ils n’ont rien fait d’autre. Ils s’en foutent de ta santé ou de ta santé mentale. Ils ont juste peur que tu meures là. Ils s’en foutent de ce qui t’arrive du moment que tu ne meures pas devant leurs yeux. Et ça n’a pas d’importance pour eux si tu meurs ailleurs.
      Témoignage d’une personne déportée.

      Préparation des vols

      Le Home Office délivre des papiers appelés « Instructions d’expulsion » (« Removal Directions » – Rds) aux personnes qu’ils ont l’intention de déporter. Y sont stipulés la destination et le jour du vol. Les personnes qui sont déjà en détention doivent recevoir ce papier au moins 72 heures à l’avance, incluant deux jours ouvrés, afin de leur permettre de faire un ultime appel de la décision.

      Voir Right to Remain toolkit pour des informations détaillés sur les délais légaux et sur les procédures d’appel.

      Tous les vols de déportation du Royaume Uni, les tickets qu’ils soient pour un avion de ligne régulier ou un vol charter sont réservés via une agence de voyage privée appelée Carlson Wagonlit Travel (CWT). La principale compagnie aérienne utilisée par le Home Office pour les vols charter est la compagnie de charter qui s’appelle Titan Airways.

      Voir 2018 Corporate Watch report pour les informations détaillées sur les procédures de vols charter et les compagnies impliquées. Et la mise-à-jour de 2020 sur les déportations en général.

      Concernant le vol du 12 août, des recours légaux ont réussi à faire sortir 19 personnes de l’avion qui avaient des Instructions d’expulsion ( Rds ). Cependant, le Home Office les a remplacées par 14 autres personnes qui étaient sur la « liste d’attente ». Les avocats suspectent que ces 14 personnes n’ont pas eu suffisamment accès à leur droit à être représentés par un-e avocat-e avant le vol, ce qui a permis qu’elles soient expulsés.

      Parmi les 19 personnes dont les avocat.es ont réussi à empêcher l’expulsion prévue, 12 ont finalement été déportées par le vol charter du 26 août : 6 personnes envoyées à Dusseldorf en Allemagne et 6 autres à Clermont-Ferrand en France.

      Un autre vol a été programmé le 27 août pour l’Espagne. Cependant les avocat-es ont réussi à faire retirer tout le monde, et le Home Office a annulé le vol. L’administration anglaise (Whitehall) a dit dans les médias : “le taux d’attrition juridique a été de 100 % pour ce vol en raison des obstacles sans précédent et organisés que trois cabinets d’avocats ont imposés au gouvernement.” Il y a donc de fortes chances que Home Office mettra tous ses moyens à disposition pour continuer à expulser ces personnes lors de prochains vols charters.

      Qui a été expulsé ?

      L’ensemble des personnes expulsées par avion sont des personnes réfugiées qui ont déposé leur demande d’asile au Royaume-Uni immédiatement après leur arrivée à Dover. La une des médias expose les personnes expulsées comme « de dangereux criminels », mais aucune d’entre elles n’a fait l’objet de poursuites.

      Ils viennent de différents pays dont l’Irak, le Yemen, le Soudan, la Syrie, l’Afghanistan et le Koweit. (Dix autres Yéménis devaient être expulsés par le vol annulé pour l’Espagne. Au mois de juin, le gouvernement du Royaume-Uni a annoncé la reprise des accords commerciaux de vente d’armes avec l’Arabie Saoudite qui les utilise dans des bombardements au Yemen qui ont déjà coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes).

      Toutes ces personnes craignent à raison des persécution dans leurs pays d’origine – où les abus des Droits de l’Homme sont nombreux et ont été largement documentés. Au moins plusieurs des personnes expulsées ont survécu à la torture, ce qui a été documenté par le Home Office lui-même lors d’entretiens.

      Parmi eux, un mineur âgé de moins de 18 ans a été enregistré par le Home Office comme ayant 25 ans – alors même qu’ils étaient en possession de son passeport prouvant son âge réel. Les mineurs isolés ne devraient légalement pas être traités avec la procédure Dublin III, et encore moins être placés en détention et être expulsés.

      Beaucoup de ces personnes, si ce ne sont toutes, ont des ami-es et de la famille au Royaume-Uni.

      Aucune de leurs demandes d’asile n’a été évaluée – toutes ont été refusées dans le cadre de la procédure Dublin III (cf. Cadre Légal plus bas).

      Chronologie du vol du 26 août

      Nuit du 25 août : Huit des personnes en attente de leur expulsion se mutilent ou tentent de se suicider. D’autres personnes font une grève de la faim depuis plus d’une semaine. Trois d’entre elles sont amenées à l’hôpital, hâtivement prises en charge pour qu’elles puissent être placées dans l’avion. Cinq autres se sont simplement vus délivrer quelques compresses au service des soins du centre de détention de Brook House. (cf. le témoignage ci-dessus)

      26 août, vers 4 heure du matin : Les gardiens récupèrent les personnes expulsables dans leurs cellules. Il y a de nombreux témoignages de violence : trois ou quatre gardiens en tenue anti-émeute avec casques et boucliers s’introduisent dans les cellules et tabassent les détenus à la moindre résistance.

      vers 4 heure du matin : Les détenus blessés sont amenés par les gardiens pour être examinés par un médecin dans un couloir, face aux fonctionnaires, et sont jugés « apte à prendre l’avion ».

      vers 5 heure du matin : Les détenus sont amenés un par un dans les fourgons. Chacun est placé dans un fourgon séparé, entouré de quatre gardiens. Les fourgons portent le logo de l’entreprise Mitie « Care and Custody ». Les détenus sont gardés dans les fourgons le temps de faire monter tout le monde, ce qui prend une à deux heures.

      vers 6 heure du matin : Les fourgons vont du centre de détention de Brook House (près de l’Aéroport Gatwick) à l’Aéroport Stansted et entrent directement dans la zone réservée aux vols charters. Les détenus sont sortis un par un des fourgons vers l’avion de la compagnie aérienne Titan. Il s’agit d’un avion Airbus A321-211, avec le numéro d’enregistrement G-POWU, au caractère anonyme, qui ne porte aucun signe distinctif de la compagnie aérienne. Les détenus sont escortés en haut des escaliers avec un gardien de chaque côté.

      Dans l’avion quatre gardiens sont assignés à chaque personne : deux de part et d’autre sur les sièges mitoyens, un sur le siège devant et un sur le siège derrière. Les détenus sont maintenus avec une ceinture de restriction au niveau de leur taille à laquelle sont également attachées leurs mains par des menottes. En plus des 12 détenus et 48 gardiens, il y a des fonctionnaires du Home Office, des managers de Mitie, et deux personnels paramédicaux dans l’avion.

      7h58 (BST) : L’avion de la compagnie Titan (dont le numéro de vol est ZT311) décolle de l’Aéroport Stansted.

      9h44 (CEST) : Le vol atterrit à Dusseldorf. Six personnes sont sorties de l’avion, laissées aux mains des autorités allemandes.

      10h46 (CEST) : L’avion Titan décolle de Dusseldorf pour rejoindre Clermont-Ferrand avec le reste des détenus.

      11h59 (CEST) : L’avion (dont le numéro de vol est maintenant ZT312) atterrit à l’Aéroport de Clermont-Ferrand Auvergne et les six autres détenus sont débarqués et amenés aux douanes de la Police Aux Frontières (PAF).

      12h46 (CEST) : L’avion quitte Clermont-Ferrand pour retourner au Royaume-Uni. Il atterrit d’abord à l’Aéroport Gatwick, probablement pour déposer les gardiens et les fonctionnaires, avant de finir sa route à l’Aéroport Stansted où les pilotes achèvent leur journée.

      Larguées à destination : l’Allemagne

      Ce qu’il est arrivé aux personnes expulsées en Allemagne n’est pas connu, même s’il semblerait qu’il n’y ait pas eu de procédure claire engagée par la police allemande. Un des expulsés nous a rapporté qu’à son arrivée à Dusseldorf, la police allemande lui a donné un billet de train en lui disant de se rendre au bureau de la demande d’asile à Berlin. Une fois là-bas, on lui a dit de retourner dans son pays. Ce à quoi il a répondu qu’il ne pouvait pas y retourner et qu’il n’avait pas non plus d’argent pour rester à Berlin ou voyager dans un autre pays. Le bureau de la demande d’asile a répondu qu’il pouvait dormir dans les rues de Berlin.

      Un seul homme a été arrêté à son arrivée. Il s’agit d’une personne qui avait tenté de se suicider la veille en se mutilant à la tête et au coup au rasoir, et qui avait saigné tout au long du vol.
      Larguées à destination : la France

      Les expulsés ont été transportés à Clermont-Ferrand, une ville située au milieu de la France, à des centaines de kilomètres des centres métropolitains. Dès leur arrivée ils ont été testés pour le COVID par voie nasale et retenus par la PAF pendant que les autorités françaises décidaient de leur sort.

      Deux d’entre eux ont été libérés à peu près une heure et demi après, une fois donnés des rendez-vous au cours de la semaine suivante pour faire des demandes d’asile dans des Préfectures de région eloignées de Clermont-Ferrand. Il ne leur a été proposé aucun logement, ni information légale, ni moyen pour se déplacer jusqu’à leurs rendez-vous.

      La personne suivante a été libérée environ une heure et demi après eux. Il ne lui a pas été donné de rendez-vous pour demander l’asile, mais il lui a juste été proposé une chambre d’hotel pour quatre nuits.

      Pendant le reste de la journée, les trois autres détenus ont été emmenés de l’aéroport au commisariat pour prendre leurs empreintes. On a commencé à les libérer à partir de 18h. Le dernier a été libéré sept heures après que le vol de déportation soit arrivé. La police a attendu que la Préfecture décide de les transférer ou non au Centre de Rétention Administrative (CRA). On ne sait pas si la raison à cela était que le centre le plus proche, à Lyon, était plein.

      Cependant, ces personnes n’ont pas été simplement laissées libres. Il leur a été donné des ordres d’expulsion (OQTF : Obligation de quitter le territoire francais) et des interdictions de retour sur le territoire francais (IRTF). Ces document ne leur donnent que48h pour faire appel. Le gouverment britannique a dit que les personnes déportées par avion en France avaient la possibilité de demander l’asile en France. C’est clairement faux.

      Pour aller plus loin dans les contradictions bureaucratique, avec les ordres d’expulsion leurs ont été donnés l’ordre de devoir se présenter à la station de police de Clermont-Ferrand tous les jours à dix heures du matin dans les 45 prochains jours (pour potentiellement y être arrêtés et detenus à ces occasions). Ils leur a été dit que si ils ne s’y présentaient pas la police
      les considèrerait comme en fuite.

      La police a aussi réservé une place dans un hotel à plusieurs kilomètre de l’aéroport pour quatres nuits, mais sans aucune autre information ni aide pour se procurer de quoi s’alimenter. Il ne leur a été fourni aucun moyen de se rendre à cet hôtel et la police a refusé de les aider – disant que leur mission s’arretait à la délivrance de leurs documents d’expulsion.

      Après m’avoir donné les papiers d’expulsion, le policier francais a dit
      ‘Maintenant tu peux aller en Angleterre’.
      Temoignage de la personne expulsée

      La police aux frontières (PAF) a ignoré la question de la santé et du
      bien-être des personnes expulsées qui étaient gardées toute la journée.
      Une des personnes était en chaise roulante toute la journée et était
      incapable de marcher du fait des blessures profondes à son pied, qu’il
      s’était lui même infligées. Il n’a jamais été emmené à l’hôpital malgré les
      recommendations du médecin, ni durant la période de détention, ni après
      sa libération. En fait, la seule raison à la visite du médecin était initialement d’évaluer s’il était en mesure d’être detenu au cas où la Préfecture le déciderait. La police l’a laissé dans ses vêtements souillés de sang toute la journée et quand ils l’ont libéré il n’avait pas eu de chaussures et pouvait à peine marcher. Ni béquilles, ni aide pour rejoindre l’hotel ne lui ont été donnés par la police. Il a été laissé dans la rue, devant porter toutes ses
      affaires dans un sac en plastique du Home Office.
      “La nuit la plus dure de ma vie”

      Ce fut la nuit la plus dure de ma vie. Mon coeur était brisé si fort que j’ai sérieusement pensé au suicide. J’ai mis le rasoir dans ma bouche pour l’avaler ; j’ai vu ma vie entière passer rapidement jusqu’aux premières heures du jour. Le traitement en détention était très mauvais, humiliant et dégradant. Je me suis haï et je sentais que ma vie était détruite mais au même temps elle était trop précieuse pour la perdre si facilement. J’ai recraché le razoir de ma bouche avant d’être sorti de la chambre où quatre personnes à l’allure impossante, portant la même tenue de CRS et des boucliers de protéction, m’ont violemment emmené dans le grand hall au rez-de-chaussée du centre de détention. J’étais épuisé puisque j’avais fait une grève de la faim depuis plusieurs jours. Dans la chambre à côte de moi un des déportés a essayé de resister et a été battu si sévèrement que du sang a coulé de son nez. Dans le grand hall ils m’ont fouillé avec soin et m’ont escorté jusqu’à la voiture comme un dangerux criminel, deux personnes à ma gauche et à ma droite. Ils ont conduit environ deux heures jusqu’à l’aéroport, il y avait un grand avion sur la piste de décollage. […] A ce moment, j’ai vu mes rêves, mes espoirs, brisés devant moi en entrant dans l’avion.
      Temoignage d’une personne déportée (de Detained Voices)

      Le cade légal : Dublin III

      Ces expulsions se déroulent dans le cadre du règlement Dublin III. Il s’agit de la législation déterminant quel pays européen doit évaluer la demande d’asile d’une personne réfugiée. Cette décision implique un certain nombre de critères, l’un des principaux étant le regroupement familial et l’intérêt supérieur de l’enfant. Un autre critère, dans le cas des personnes franchissant la frontières sans papiers, est le premier pays dans lequel ils entrent « irrégulièrement ». Dans cette loi, ce critère est supposé être moins important que les attaches familiales. Mais il est communément employé par les gouvernements cherchant à rediriger les demandes d’asile à d’autres Etats. Toutes les personnes que nous connaissions sur ces vols étaient « dublinés » car le Royaume-Uni prétendait qu’ils avaient été en France, en Allemagne ou en Espagne.

      (Voir : briefing à l’introduction du House of Commons ; Home Office staff handbook (manuel du personnel du ministère de l’intérieur ; section Dublin Right to remain .)

      En se référant au règlement Dublin, le Royaume-Uni évite d’examiner les cas de demande d’asile. Ces personnes ne sont pas expulsées parce que leur demande d’asile a été refusée. Leurs demandes ne sont simplement jamais examinées. La décision d’appliquer le règlement Dublin est prise après la premier entretien filmé ( à ce jour, au centre de détention de Yarl’s Wood). Comme nous l’avons vu plus haut, peu de personnes sont dans la capacité d’avoir accès à une assistance juridique avant ces entretiens, quelquefois menés par téléphone et sans traduction adéquate.

      Avec le Dublin III, le Royaume-Uni doit faire la demande formelle au gouvernement qu’il croit responsable d’examiner la demande d’asile, de reprendre le demandeur et de lui présenter la preuve à savoir pourquoi ce gouvernement devrait en accepter la responsabilité. Généralement, la preuve produite est le fichier des empreintes enregistrées par un autre pays sur la base de données EURODAC, à travers toute l’Europe.

      Cependant, lors des récents cas d’expulsion, le Home Office n’a pas toujours produit les empreintes, mais a choisi de se reposer sur de fragiles preuves circonstantielles. Certains pays ont refusé ce type de preuve, d’autres en revanche l’ont accepté, notamment la France.

      Il semble y avoir un mode de fonctionnement récurrent dans ces affaires où la France accepte les retours de Dublin III, quand bien même d’autres pays l’ont refusé. Le gouvernement français pourrait avoir été encouragé à accepter les « reprises/retours » fondés sur des preuves fragiles, dans le cadre des récentes négociations américano-britanniques sur la traversée de la Manche (La France aurait apparemment demandé 30 millions de livres pour aider la Grande-Bretagne à rendre la route non viable.)

      En théorie, accepter une demande Dublin III signifie que la France (ou tout autre pays) a pris la responsabilité de prendre en charge la demande d’asile d’un individu. Dans la pratique, la plupart des individus arrivés à Clermont-Ferrand le 26 août n’ont pas eu l’opportunité de demander l’asile. A la place, des arrêtés d’expulsion leur ont été adressés, leur ordonnant de quitter la France et l’Europe. On ne leur donne que 48h pour faire appel de l’ordre d’expulsion, sans plus d’information sur le dispositif légal. Ce qui apparaît souvent comme quasi impossible pour une personne venant d’endurer une expulsion forcée et qui pourrait nécessiter des soins médicaux urgents.

      Suite au Brexit, le Royaume-Uni ne participera pas plus au Dublin III à partir du 31 décembre 2020. Puisqu’il y a des signataires de cet accord hors Union-Européenne, comme la Suisse et la Norvège, le devenir de ces arrangements est encore flou (comme tout ce qui concerne le Brexit). S’il n’y a d’accord global, le Royaume-Uni devra négocier plusieurs accords bilatéraux avec les pays européens. Le schéma d’expulsion accéléré établi par la France sans processus d’évaluation adéquat de la demande d’asile pourrait être un avant-goût des choses à venir.
      Conclusion : expéditif – et illégal ?

      Évidemment, les expulsions par charter sont l’un des outils les plus manifestement brutaux employés par le régime frontalier du Royaume Uni. Elles impliquent l’emploi d’une violence moralement dévastatrice par le Home Office et ses entrepreneurs ((Mitie, Titan Airways, Britannia Hotels, et les autres) contre des personnes ayant déjà traversé des histoires traumatiques.

      Car les récentes expulsions de ceux qui ont traversé la Manche semblent particulièrement expéditives. Des personnes qui ont risqué le vie dans la Manche sont récupérées par une machine destinée à nier leur droit d’asile et à les expulser aussi vite que possible, pour satisfaire le besoin d’une réaction rapide à la dernière panique médiatique. De nouvelles procédures semblent avoir mises en place spontanément par des officiels du Ministère de l’Intérieur ainsi que des accords officieux avec leurs homologues français.

      En résultat de ce travail bâclé, il semble y avoir un certain nombre d’irrégularités dans la procédure. Certaines ont déjà été signalées dans des recours juridiques efficaces contre le vol vers l’Espagne du 27 août. La détention et l’expulsion des personnes qui ont traversé la Manche en bateau peut avoir été largement illégale et est susceptible d’être remise en cause plus profondément des deux côtés de la Manche.

      Ici, nous résumerons quelques enjeux spécifiques.

      La nature profondément politique du processus d’expulsion pour ces personnes qui ont fait la traversée sur de petits bateaux, ce qui signifie qu’on leur refuse l’accès à une procédure de demande d’asile évaluée par le Home Office.
      Les personnes réfugiées incluent des personnes victimes de torture, de trafic humain, aussi bien que des mineurs.
      Des individus sont détenus, précipités d’entretiens en entretiens, et « dublinés » sans la possibilité d’avoir accès à une assistance juridique et aux informations nécessaires.
      Afin d’éviter d’avoir à considérer des demandes d’asile, la Grande-Bretagne applique le règlement Dublin III, souvent en employant de faibles preuves circonstancielles – et la France accepte ces demandes, peut-être en conséquence des récentes négociations et arrangements financiers.
      De nombreuses personnes expulsées ont des attaches familiales au Royaume-Uni, mais le critère primordial du rapprochement familial du rêglement Dublin III est ignoré
      En acceptant les demandes Dublin, la France prend la responsabilité légale des demandes d’asile. Mais en réalité, elle prive ces personnes de la possibilité de demander l’asile, en leur assignant des papiers d’expulsion.
      Ces papiers d’expulsions (« Obligation de quitter le territoire français » and « Interdiction de retour sur le territoire français » ou OQTF et IRTF) sont assignées et il n’est possible de faire appel que dans les 48 heures qui suivent. C’est inadéquat pour assurer une procédure correcte, à plus forte raison pour des personnes traumatisées, passées par la détention, l’expulsion, larguées au milieu de nulle part, dans un pays où elles n’ont aucun contact et dont elles ne parlent pas la langue.
      Tout cela invalide complètement les arguments du Home Office qui soutient que les personnes qu’il expulse peuvent avoir accès à une procédure de demande d’asile équitable en France.

      https://calaismigrantsolidarity.wordpress.com/2020/08/31/sen-debarrasser-le-royaume-uni-se-precipite-pour-