La crise politique s’envenime au Liban

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  • La crise politique s’envenime au Liban
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    Le Liban a décidé de s’offrir une nouvelle crise. En plus de la cascade de calamités qui l’assaillent – de l’écroulement de son système bancaire à la paupérisation accélérée de la population, en passant par l’épidémie due au coronavirus et la gigantesque déflagration du 4 août – le pays du cèdre doit maintenant composer avec un regain de tensions politiques.

    Samedi 26 septembre, Mustapha Adib, l’homme choisi pour former le cabinet censé succéder à celui d’Hassan Diab, balayée par l’explosion du port de Beyrouth, a jeté l’éponge, victime des sempiternelles divisions de la classe politique locale. « Je m’excuse de ne pas pouvoir poursuivre la tâche de former le gouvernement », a déclaré le premier ministre désigné, qui a présenté ses excuses aux Libanais pour son « incapacité » à réaliser leurs « aspirations à un gouvernement réformiste ».

    L’ancien ambassadeur du Liban en Allemagne, nommé le 31 août, s’était engagé à mettre sur pied un cabinet « de mission », composé de « spécialistes indépendants », dans l’esprit de l’initiative d’Emmanuel Macron. Lors de sa venue à Beyrouth, le 1er septembre, le président français avait arraché aux chefs de partis libanais un accord sur une feuille de route, destinée à reconstruire le port et sortir le pays du marasme économique.

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    Dernière chance d’éviter le naufrage

    Le document donnait deux semaines aux dirigeants communautaires, conspués par la rue pour leur incurie et leur corruption, pour accoucher d’un nouvel exécutif. Il énumérait aussi la liste de réformes à engager, comme l’audit de la banque centrale et la régulation du secteur de l’électricité, avant la tenue, dans la seconde quinzaine du mois d’octobre, d’une conférence des bailleurs de fonds du Liban. C’est tout ce calendrier de relance, présenté comme la dernière chance du pays d’éviter le naufrage, que la récusation de Mustapha Adib menace de faire dérailler.

    La raison de son échec tient principalement à la discorde entre formations chiites et sunnites libanaises, actuellement attisée par la politique de pression maximale des Etats-Unis sur l’Iran. Le camp chiite, incarné par le parti Amal de Nabih Berri, le chef du parlement, et le mouvement pro-iranien Hezbollah, exige de conserver le ministère des finances, qu’il détient depuis 2014. Mustapha Adib, soutenu par la plupart des autres partis, dont le Courant du futur de l’ancien premier ministre Saad Hariri, chef de file de la communauté sunnite, demandait au contraire de faire tourner les portefeuilles régaliens entre les communautés.

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    • Tous les militants et experts, qui s’impatientent de voir leur pays apurer ses comptes, approuvent cette idée. Le parti Amal s’est distingué ces derniers mois par son ardeur à saper le plan de sauvetage financier du gouvernement d’Hassan Diab. Nabih Berri s’est personnellement opposé au lancement de l’audit de la banque centrale et au vote d’une loi sur le contrôle des capitaux, deux des conditions posées par le Fonds monétaire international pour la signature d’un accord avec le Liban. « Berri refuse que l’on ouvre la boîte de Pandore, il couvre ses arrières, estime Camille Najm, un analyste politique. Mettre Amal aux finances c’est s’assurer qu’il n’y aura pas de réformes de fond. »

      Le principe de la rotation des portefeuilles ne figurait toutefois pas dans la feuille de route d’Emmanuel Macron. Lorsqu’Adib l’a introduit, Amal et Hezbollah s’en sont inquiétés. Les deux formations considèrent que sans les finances, la part des chiites dans le contrôle de l’action gouvernementale est moindre que celle des deux autres communautés phares du Liban. La ratification de tout décret nécessite trois signatures : celle du président de la république – un poste qui échoit par tradition à un maronite, celle du premier ministre – une fonction qui revient à un sunnite, et celle du ministre des finances. Avec ce paraphe, les chiites se rapprochent du « tiers de blocage » qu’ils revendiquent au sein des gouvernements.

      Par le passé, le ministère des finances été occupé à plusieurs reprises par un non chiite. Si le duo Amal-Hezbollah a refusé cette fois de transiger, c’est probablement à cause des coups de boutoirs de l’administration américaine. Les sanctions imposées par Washington, une semaine après la venue de Macron à Beyrouth, sur deux politiciens libanais, dont Ali Hassan Khalil, le bras droit de Nabih Berri, accusé de corruption et de collusion avec le Hezbollah, une organisation classée terroriste outre-atlantique, ont nourri l’inflexibilité du tandem.

      En début de semaine, Saad Hariri a proposé de nommer un chiite indépendant aux finances. Mais cette offre n’a pas suffi à dénouer le problème. Il faut dire qu’ en formant avec trois de ses prédécesseurs – Tamam Salam, Najib Mikati et Fouad Siniora – un club d’anciens premiers ministres, le patron du Futur n’a pas envoyé les bons signaux à ses rivaux. Cette entité parallèle, que Mustapha Adib consultait fréquemment tout en dédaignant les autres formations , a donné l’impression que Saad Hariri cherchait à confisquer le processus de formation du cabinet.

      « Amal et Hezbollah ont la responsabilité la plus évidente et la plus visible dans le renoncement d’Adib, estime le politologue Joseph Bahout, mais le quatuor sunnite a aussi joué un rôle négatif. Ses membres ont interprété l’initiative française à leur manière. Ils ont fait comme s’ils avaient un blanc-seing pour choisir les ministres, ce qui a hérissé les factions chiites. »

      Flou
      Le relatif flou entourant le volet politique de l’initiative d’Emmanuel Macron, contrairement à la partie économique, plus détaillée, a facilité son détournement. A Beyrouth, le président français avait certes appelé à la formation d’un « collectif indépendant », mais il avait aussi demandé que le nouveau cabinet dispose de la couverture politique la plus large, ce qui supposait une forme d’adoubement des ministres par les partis.

      « Pour que l’initiative de Macron réussisse, il aurait fallu un micromanagement beaucoup plus serré, un travail quasiment heure par heure, relève Joseph Bahout. Le durcissement du camp chiite après les sanctions américaines n’a pas été suffisamment traité par exemple. Mais c’était difficile. Il n’y a pas de Ghazi Kanaan français au Liban », ajoute-t-il, en référence à l’ancien proconsul syrien au pays du cèdre, omnipotent dans les années 1980 et 1990.

      Le message vidéo du roi Salman d’Arabie saoudite, délivré mercredi, devant l’Assemblée générale des Nations unies, dans lequel il a attribué l’explosion du 4 août à « l’hégémonie du Hezbollah », a achevé de raidir Saad Hariri. Alors qu’il est concurrencé sur sa droite par son frère Baha, un faucon anti-Hezbollah, l’ex-premier ministre pouvait difficilement faire montre de faiblesse face au mouvement chiite. D’autant que, depuis sa mésaventure de 2017 – le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman l’avait convoqué à Riyad et forcé à démissionner et seule l’intervention de Macron lui avait permis de recouvrer son poste sa liberté –, l’héritier de Rafik Hariri cherche à regagner les bonnes grâces du royaume.

      A la suite de l’annonce de Mustapha Adib, le coordonnateur spécial de l’ONU pour le Liban, Jan Kubis, connu pour son franc-parler, a publié un tweet au vitriol. « Quel degré d’irresponsabilité, lorsque l’avenir du Liban et de sa population sont en jeu, s’est-il indigné. Hommes politiques, avez-vous vraiment saboté la chance unique offerte par la France ? Quand allez-vous cesser de jouer à vos jeux habituels et écouter enfin le cri du peuple ? »

      Emmanuel Macron a annoncé qu’il s’exprimera sur la situation politique au Liban lors d’une conférence de presse, organisé ce dimanche soir. Dans une confidence à l’agence Reuters, son entourage a déploré une « trahison collective des partis libanais », tout en assurant que la France restera au côté de ce pays, pour l’aider à sortir de la crise qu’il traverse.