Sur C8, le virage ultra-sécuritaire de Cyril Hanouna

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  • Quand un animateur de talk show pousse au crime en surfant sur la vague du « sentiment d’insécurite » :

    Sur C8, le virage ultra-sécuritaire de Cyril Hanouna
    https://www.telerama.fr/ecrans/sur-c8-le-virage-ultra-securitaire-de-cyril-hanouna-6707262.php

    “Hyperviolence”, “crise d’autorité”, “laxisme de la justice”… En septembre, les émissions de Cyril Hanouna ont contribué à nourrir le “sentiment d’insécurité” martelé par une partie de la classe politique, déjà entrée en campagne pour l’élection présidentielle de 2022. Retour sur cette rentrée à droite toute !

    Au printemps, Cyril Hanouna avait cru rendre service à la France confinée en multipliant les fake news et en flirtant avec le complotisme lors de l’épidémie de Covid-19. En cette rentrée, l’animateur-producteur a décidé de mettre le paquet sur les questions de sécurité, priorité du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et obsession de l’ensemble de la droite, à dix-huit mois de l’élection présidentielle.
    L’insécurité prise par le sentiment, “Valeurs actuelles” coupable d’excès de zèle
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    « Montée de la violence en France : doit-on avoir peur ? », interroge ainsi l’animateur dès le 3 septembre dans Balance ton post !, sur C8. « 68 % des Français se sentent en insécurité. Agressions, rixes ou encore homicides, certains estiment qu’il y a une hausse de la violence en France. » Il fait référence au « Baromètre sécurité des Français » publié par Odoxa en juillet, mais sans préciser que la statistique a surtout bondi cette année à cause… de la pandémie. L’info est pourtant facilement vérifiable sur le site de l’institut : « L’insécurité sanitaire s’ajoute au sentiment d’insécurité physique : une deuxième vague de l’épidémie est le risque le plus redouté (66 %) devant la sécurité quotidienne (35 %) et le risque terroriste (29 %). » Peu importe : Cyril Hanouna semble avoir déjà tranché la question au doigt mouillé et affirme qu’« on voit des choses qu’on ne voyait pas avant ». « On nous aurait raconté ça y a dix ou vingt ans, on se serait dit c’est pas possible ! », assure-t-il, comme un écho aux mots de Gérald Darmanin, qui dénonçait fin juillet « l’ensauvagement d’une partie de la société » dans une rhétorique empruntée à l’extrême droite.
    Les “top tweets” comme seul horizon

    Sur l’écran géant derrière Cyril Hanouna s’affiche alors une liste d’agressions médiatisées entre début juillet et début août. « Un été de violences », lit-on. Une formule qui rappelle « l’été meurtrier » de Marine Le Pen et l’« été Orange mécanique » de Xavier Bertrand, tous deux aussi déjà bien lancés dans la course pour l’Élysée. Usant d’un mimétisme troublant avec le discours de la droite radicale, le chroniqueur Yann Moix s’alarme d’une « gratuité de la violence » inédite et prédit « la guerre civile ». Ses consœurs Agathe Auproux et Rokhaya Diallo tentent bien de relativiser, appellent à une contextualisation des chiffres, incriminent la diffusion d’images violentes sur les réseaux sociaux, qui amplifient le sentiment d’insécurité... Peine perdue. Cyril Hanouna préfère faire son fond de commerce du bruit des réseaux sociaux. Les yeux rivés à Twitter, les « top tweets » comme seul horizon.

    Les sommaires de l’émission Balance ton post ! du mois de septembre (lancée d’abord en version quotidienne avant de revenir à sa case hebdo du jeudi soir, faute d’audience) ont ressemblé à un répertoire de brutalités en tout genre, illustré dès que possible par des vidéos violentes postées sur les réseaux, passées et repassées avec supplément de musique angoissante. Au menu du vendredi 4 septembre : les agressions de maires, « nouveau fléau ». Le lundi 7 : l’interpellation filmée du rappeur Ademo, du duo PNL, par des policiers, « une histoire qui a rapidement affolé les réseaux sociaux », puis le témoignage de Raul, ancien de la BAC, « violemment agressé par une bande de douze jeunes ». Le lendemain : celui de Boubacar, un jeune homme brutalement arrêté par des policiers en juin 2019. Le jeudi 10, en prime time : celui de Véronique et Marie, veuve et fille du chauffeur de bus bayonnais Philippe Monguillot, mort des suites d’une agression cet été. Deux mois à peine après la tragédie, leur parole est emplie de chagrin, mais posée, dans l’attente que justice se fasse. « Je vous trouve très mesurées, réagit Cyril Hanouna, ému aux larmes. Moi j’aurais dit : “Je veux qu’ils prennent perpét, et vite.” Le fait que vous soyez aussi patientes, que vous disiez “on a confiance en la justice, on va la laisser faire son travail”, je pense que neuf personnes sur dix qui nous regardent ce soir n’ont pas votre indulgence », subodore l’animateur, qui a sans doute vu ça sur Twitter. Avant de prendre à son compte une rhétorique souvent portée par les élus d’extrême droite : « Vous avez le bon comportement, mais c’est vrai qu’on a envie que ces sauvages soient punis, et tout de suite ! »
    La justice forcément “laxiste”…

    Une vieille antienne de la droite revient d’émission en émission, serinée en chœur par une bonne partie des chroniqueurs : la justice est laxiste, il faut urgemment durcir les peines et leur application. Et ce n’est pas Bruno Pomart, ancien du Raid qui fait désormais des allers-retours entre les plateaux de CNews et ceux de C8 (belle synergie de groupe), qui dira le contraire. Consulté par Cyril Hanouna comme une boule de cristal sur toute question ayant à voir de près ou de loin avec la sécurité, l’ancien policier défend sa corporation mieux qu’un syndicaliste et fustige assidûment la Justice, réelle coupable du chaos décrit à longueur d’émissions. Lors du prime time du 17 septembre, Cyril Hanouna a une révélation : « Dans tous les débats qu’on fait dans Balance ton post !, on se rend compte à chaque fois que le problème c’est moins la police que la justice, le gros problème en France. Je vous le dis, je le redis. » Sans blague.
    Duel d’anthologie sur LCI, journal de haut vol sur TF1
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    Dans ces parodies de débat où la répétition vaut pour vérité et où le populisme pénal domine, la douleur légitime des victimes a elle souvent valeur d’argument. « 55 % des Français sont pour la peine de mort. Êtes vous d’accord ? », sonde Cyril Hanouna. Pour en débattre en tout équilibre, il a bien sûr convié Jean Messiha, membre du bureau du Rassemblement national, qui promet un référendum sur le rétablissement de la peine capitale en cas de victoire de Marine Le Pen en 2022, Claudine Verplanken, militante anti-peine de mort fiancée à un Américain en attente de son exécution, et Mustafa Kocakurt, le père d’Enis, enlevé et violé par Francis Evrard en 2007, à l’âge de 5 ans. Dévasté par le crime que son fils Enis (présent dans le public et filmé en gros plan à plusieurs reprises) a subi, Mustafa Kocakurt se dit favorable à la peine de mort, ne voyant « pas d’autre solution ». « Je ne trouve pas tellement juste de vous mettre dans la position de trouver la règle commune qui doit régir ce genre de situations, ose la chroniqueuse Raquel Garrido, membre de La France insoumise et avocate. Vous êtes personnellement affecté. Ce que vous doit la société, c’est de prendre en charge ça. »
    … et la peine de mort, forcément la solution ?

    Cyril Hanouna l’interrompt, agacé. « Là, on a envie que ça bouge, que ça ne se reproduise plus ! » Elle tente d’arguer qu’il n’existe pas d’étude prouvant l’efficacité de la peine capitale, mais est de nouveau rabrouée et coupée par l’animateur, qui en rajoute dans la démagogie compassionnelle. « C’est un multirécidiviste qui est dehors ! Comment vous voulez qu’il réagisse, le papa ? » Jean Messiha, lui, voit bien comment faire fructifier cette incurable affliction. « L’impunité judiciaire est une lointaine conséquence de l’abolition de la peine de mort », entonne-t-il, après avoir souligné que « ce que le peuple a fait, il peut le défaire ».

    Ce discours ultra-droitier s’immisce même désormais dans l’émission de pur divertissement Touche pas à mon poste. Le lundi 21 septembre, Gilles Verdez pousse un coup de gueule contre un reportage diffusé la veille dans Sept à huit, sur TF1, sur le centre de détention semi-ouvert de Mauzac, en Dordogne, où la majorité des détenus ont commis des infractions sexuelles. « Évidemment que les prisonniers qui nous regardent – ils sont nombreux – ont droit à une vie en prison tout à fait décente. Mais là, c’était des détenus qui sont à 85 % des agresseurs sexuels, qui ont tous été condamnés, mais ils se font des petits gâteaux, ils ont la clé de leur cellule en journée, ils se préparent des biscuits, ils font des randonnées, parfois même ils incriminent les enfants, aucun ne regrette ses actes ! Moi je pense aux parents des victimes et je suis extrêmement choqué par ce qui a été diffusé. » « Y en a plein sur Twitter qui ont dit : “c’est le Club Med” », renchérit Cyril Hanouna. Et la chroniqueuse Kelly Vedovelli d’asséner naturellement, avant de se reprendre : « Si on me demandait mon avis, ce serait peine de mort pour les gens qui agressent sexuellement. » Il risque décidément d’être long et pénible, le chemin jusqu’à avril 2022…

    Marie-Hélène Soenen

    Les différents articles en accès libre mis en lien dans cet article :

    https://www.telerama.fr/television/les-audiences-de-cyril-hanouna-degringolent-la-mesinformation-en-temps-de-c

    https://www.telerama.fr/television/linsecurite-prise-par-le-sentiment-valeurs-actuelles-coupable-dexces-de-zel

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