Erreur 404 - Le Monde diplomatique

/PEROUSE_DE_MONTCLOS

  • Le Nigeria fatigué des violences policières (Viviane Forson avec AFP, 21/10/2020) https://lepoint.fr/afrique/le-nigeria-fatigue-des-violences-policieres-20-10-2020-2397341_3826.php

    (…) Après les stars nigérianes, le mouvement bénéficie de soutiens internationaux : les stars américaines CardiB ou Kanye West, le champion du monde de football Kylian Mbappé et même le PDG de Twitter Jack Dorsey s’engagent à leurs côtés sur les réseaux.

    Colère et frustration contre des dirigeants déconnectés
    Face à la contestation, le président Muhammadu Buhari annonce le 11 octobre au soir la dissolution de la SARS. Son gouvernement promet une réforme de la police, annonce la création de la SWAT, une nouvelle brigade qu’elle veut « éthique » et en accord avec « les désirs des citoyens », et assure que les agents accusés de violences seront poursuivis en justice. Les manifestants arrêtés sont également libérés.

    Mais ces annonces ne calment pas les manifestants, toujours plus nombreux. En première ligne, les femmes. Ce sont elles qui organisent, qui vont collecter des fonds, et surtout élaborer des stratégies pour faire durer le mouvement. Nombreuses sont celles qui préfèrent être loin des feux de la rampe, d’autres en revanche assument un rôle plus visible. « Les Nigérians sont sceptiques face à la promesse gouvernementale de mettre fin aux abus policiers, alors que leurs précédentes promesses de réformer la SARS n’avaient été que de vaines paroles », selon le directeur d’Amnesty International au Nigeria, Osai Ojigho.

    Ce conflit social est également le symbole de la fracture générationnelle d’une jeunesse du sud du pays qui ne se retrouve pas dans ses dirigeants. Muhammadu Buhari, 77 ans et musulman conservateur, est à la tête d’un pays dont plus de la moitié de ses 200 millions d’habitants ont moins de 30 ans, et dont l’âge médian est de 18 ans.

    L es manifestants appellent à une réforme structurelle de la police, et réclament, étonnamment, l’augmentation des salaires des policiers. Au Nigeria, « les officiers supérieurs sont connus pour maintenir une pyramide de corruption perverse qui exige que les agents de base soient mal payés et transfèrent les pots-de-vin extorqués aux citoyens en haut de la chaîne de commandement », selon Leena Koni Hoffmann, du think-tank britannique Chatham House.

    Lutte contre le terrorisme, une aubaine pour les dirigeants nigérians, par Marc-Antoine Pérouse de Montclos (@mdiplo, décembre 2019) https://www.monde-diplomatique.fr/2019/12/PEROUSE_DE_MONTCLOS/61144

    En utilisant la base de données du projet Nigeria Watch, des chercheurs de l’université d’Ibadan ont montré que les forces de sécurité méritaient bien le surnom que les Nigérians leur ont donné : shoot and kill. En effet, l’armée et la police « tirent et tuent » dans plus de 50 % des cas de violences mortelles où elles interviennent pour, prétendument, rétablir la paix.

    Par faiblesse, par crainte de la mutinerie ou tout simplement par indifférence, les gouvernements civils qui se sont succédé au pouvoir n’ont pas voulu sévir. Bien souvent, ils se sont contentés de réformes cosmétiques ou d’annonces restées lettre morte. La lutte contre la corruption qui gangrène les forces de l’ordre en offre l’un des exemples les plus symptomatiques. En janvier 2005, le renvoi du chef de la police, M. Tafa Balogun, un Yorouba, comme le président Olusegun Obasanjo, avait un moment laissé espérer qu’un gouvernement plus démocratique allait enfin reprendre en main l’administration. M. Nuhu Ribadu, un inspecteur nommé à la tête de la Commission sur les crimes économiques et financiers (EFCC), a en effet réussi à faire condamner son supérieur hiérarchique à près de cinq ans de prison. Mais M. Balogun fut finalement relâché au bout de six mois et ne remboursa qu’une infime partie des fonds qu’il avait détournés.

    Élu en avril 2007, le successeur de M. Obasanjo, le président Umaru Yar’Adua, s’empressa quant à lui de revenir sur la promotion que M. Ribadu avait obtenue peu de temps auparavant. En proie à l’hostilité de ses collègues au sein de la police, ce dernier fut contraint de suivre une formation professionnelle qui l’obligea à renoncer à ses fonctions à l’EFCC, où il fut remplacé par une intérimaire délibérément privée de tout moyen, Mme Farida Mzamber Waziri (7). En guise de remerciements, il fut renvoyé de la police pour indiscipline en décembre 2008. Parti en exil, il revint se présenter à la présidentielle d’avril 2011, où il ne remporta que 5 % des voix.

    Depuis, les tentatives de réforme démocratique du secteur de la sécurité ont toutes été enterrées au nom de l’urgence à combattre la menace terroriste. Ainsi, durant la dernière campagne présidentielle, en février 2019, le parti au pouvoir a sciemment évité d’évoquer les exécutions extrajudiciaires. Il a préféré lancer un débat sur une régionalisation de l’appareil de sécurité qui permettrait, selon ses promoteurs, de créer des polices de proximité répondant aux aspirations d’une société multiculturelle de 200 millions d’habitants. Statutairement, les forces de sécurité demeurent en effet déconnectées de leur environnement immédiat, car les autorités cherchent à développer un esprit de corps en ventilant les effectifs policiers et militaires, d’origines diverses, à travers tout le territoire national. L’objectif : éviter des collusions entre les représentants de la loi et les communautés dont ils sont originaires. Mais ce système a pour effet de parachuter des policiers et des militaires à des postes où ils doivent s’adresser à des populations dont ils ne parlent pas la langue. Ces difficultés de communication nourrissent des méfiances et des peurs réciproques qui peuvent être fatales lorsque les villageois ne comprennent pas les instructions qui leur sont données, notamment dans les régions les moins alphabétisées du nord du Nigeria, où sévit Boko Haram.