• La difficile mise en place du télétravail dans la fonction publique
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/10/26/la-difficile-mise-en-place-du-teletravail-dans-la-fonction-publique_6057426_


    PASCAL GROS

    Exhortée par le premier ministre à installer « deux à trois jours de télétravail par semaine », l’administration tente de s’adapter à la crise. Un vrai défi tellement cette pratique est peu dans la culture de la #fonction_publique.

    L’évolution peut paraître modeste au regard de l’objectif fixé par le premier ministre. Le 15 octobre, Jean Castex a demandé à l’administration de mettre en place rapidement « deux à trois jours de télétravail par semaine » . Or, depuis, le taux d’agents publics qui travaillent depuis leur domicile « au moins un jour par semaine » est passé de 24 % à 28 %, selon les chiffres du ministère de la transformation et de la fonction publiques.

    Encore ne s’agit-il que de la fonction publique d’Etat. Car, à l’hôpital, l’heure n’est pas vraiment au télétravail. Quant aux collectivités locales, « Castex n’a pas le pouvoir de nous imposer cela » , précise d’emblée Philippe Laurent, maire de Sceaux (Hauts-de-Seine) et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale.

    Le télétravail est un vrai défi pour la fonction publique. « C’est une montée en puissance » , positive-t-on dans l’entourage de la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin, en assurant « être dans le Meccano » pour que les choses avancent vite. Quelque 200 millions d’euros seront mobilisés pour relancer la machine et une enveloppe de 90 millions d’euros est également disponible pour aider les collectivités locales. Le cabinet met la pression sur les ministères, car « ça remonte au compte-gouttes » . Il consulte également les syndicats afin de déceler les blocages locaux, qu’il s’agisse d’équipement informatique ou de freins culturels.

    Au printemps, il a fallu s’y mettre à marche forcée et ce n’est pas allé de soi. « On a demandé à la fonction publique de se mettre au télétravail dans l’urgence alors qu’elle n’en avait, en outre, pas l’expérience » , note Pascal Airey, chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), qui a suivi cette question de près.

    La pratique était, il est vrai, très peu répandue parmi les fonctionnaires. Mais, pendant le confinement, un agent de l’Etat sur deux s’y est mis, selon un bilan partiel établi à la rentrée par le ministère qui relève lui aussi le « manque de préparation » de l’administration. Cette pratique était « tellement peu dans la culture de la fonction publique que, globalement, cela s’est passé de manière assez chaotique » , assure Carole Chapelle, secrétaire générale adjointe de la CFDT Fonctions publiques.

    Problème de l’équipement

    A Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), par exemple, la part des agents municipaux qui, avec le confinement, ont subitement commencé à travailler depuis chez eux est passée de 3 % à 40 %, indique Emmanuel Gros, directeur général des services de la ville et vice-président du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales.
    « Avec une progression aussi brutale, évidemment, cela se passe comme ça peut… , reconnaît-il. Cela ne veut pas dire que ça s’est mal passé pour autant. D’ailleurs, beaucoup d’agents veulent continuer. » Et cet engouement n’est pas isolé. Selon l’enquête menée par l’Anact au printemps, parmi les 8 700 salariés qui ont répondu, il se trouvait 86 % d’agents publics déclarant vouloir continuer à télétravailler après la fin du confinement. « De très nombreux agents sont satisfaits d’avoir découvert cette manière de travailler » , confirme Carole Chapelle.

    « Le public s’y est mis plus tardivement que le privé , ajoute M. Gros, mais plus vite. Et le confinement fut un accélérateur formidable. » Pour le meilleur comme pour le pire, d’ailleurs. Car le directeur général reconnaît également que « la crise a mis en valeur les effets négatifs » . La mise à mal du collectif, la limitation des contacts humains ou la difficulté d’articuler vie privée et vie professionnelle, ces difficultés, les fonctionnaires les ont connues comme les salariés du privé.

    Certains aspects sont plus spécifiques à l’administration.
    « L’équipement informatique, indique le bilan du ministère, n’était pas toujours adapté à la situation, ce qui a pu poser des problèmes aux agents et susciter des improvisations. » Côté syndical, on évoque également ce point. « Certains agents ont travaillé avec leur matériel personnel , rappelle Carole Chapelle. D’autres ont bénéficié d’une autorisation spéciale d’absence [l’équivalent, pour la fonction publique, du chômage partiel] parce qu’ils ne pouvaient pas travailler faute d’équipement. Ils se sont retrouvés totalement isolés… » Dans la territoriale, la situation était meilleure, si l’on en croit M. Gros : « Les collectivités locales ont su réagir, dit-il. On a été poussés à innover. »
    « Message ambigu »

    Le point qui revient de manière unanime, en revanche, est celui du #management. « Les cadres du public ont eu du mal, a constaté M. Gros. Pas assez agiles » pour gérer de forts contingents en télétravail. « Cela ne participe ni de leur formation ni de leurs pratiques. Ils n’étaient vraiment pas préparés à ça » , souligne le directeur général.
    La culture managériale de la fonction publique ne conduirait pas aisément à faire confiance et à donner de l’autonomie aux agents. « Les cadres restent sur l’idée qu’un agent qui n’est pas sur place ne travaille pas », regrette Carole Chapelle, qui déplore que cinq jours de #congés aient été enlevés aux agents qui étaient en télétravail pendant le confinement, et pas à ceux qui étaient présents . « Le message est ambigu » , souligne-t-elle.

    Quant aux missions de service public, « l’Etat est parvenu à assurer la continuité de ses missions essentielles », indique le bilan ministériel, à défaut de toutes les garantir. « Les agents ont fait comme ils pouvaient, témoigne Mme Chapelle, mais ils n’étaient pas en mesure d’exercer pleinement leurs missions. Il faut y travailler parce que le télétravail, ça ne peut pas être de bricoler comme on peut vis-à-vis des missions… »

    Alors que le gouvernement incite de nouveau les fonctionnaires à travailler de chez eux, l’administration a-t-elle tiré les leçons de l’expérience « chaotique » du printemps ? A en croire le document ministériel, la pratique à marche forcée du télétravail a permis de « lever certains freins » . « On capitalise sur les efforts déjà fournis par les administrations depuis le confinement du printemps » , assure-t-on chez Mme de Montchalin en soulignant le fait que « l’évolution globale est positive » . Le télétravail devrait être évoqué dans une négociation avec les syndicats, début 2021, sur la qualité de vie au travail.

    Covid-19 : les employeurs « invités » à mettre en place le télétravail partiel
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    Quand c’est possible, le gouvernement plébiscite un nombre minimal de jours de travail à distance hebdomadaire mais ne contraint pas.

    Il faut une dose de télétravail dont le volume est laissé à l’appréciation des patrons et des élus du personnel. Jeudi 15 octobre, l’exécutif a formulé cette demande, lors d’une conférence de presse à laquelle participaient – entre autres – le chef du gouvernement, Jean Castex, et la ministre du travail, Elisabeth Borne. Le but de l’exercice était de détailler les annonces faites la veille par Emmanuel Macron, lors d’un entretien télévisé, pour contenir la propagation de l’épidémie de Covid-19.

    Dans les métropoles soumises au couvre-feu, les pouvoirs publics veulent que soit désormais fixé « un nombre minimal de jours de télétravail par semaine, pour les postes qui le permettent ». Cette valeur plancher sera déterminée « dans le cadre du dialogue social de proximité » , précise une version quasi définitive du nouveau protocole sanitaire pour les « salariés en entreprise » , qui a été présentée jeudi aux syndicats et au patronat.

    Mercredi soir, le président de la République avait évoqué « deux à trois jours » par semaine – un ordre de grandeur qui n’a donc qu’une valeur indicative. Par ailleurs, là où le couvre-feu n’est pas instauré, les employeurs sont seulement « invités » à le faire.

    Pour l’exécutif, il n’est nullement question de pousser les actifs à exercer à 100 % leur activité à distance, même dans les zones d’alerte maximale. L’objectif est de trouver un équilibre, comme l’a expliqué, mercredi, M. Macron : d’un côté, « réduire un peu la pression collective » dans les établissements et les transports en commun ; de l’autre, éviter de « réisole [r] l es gens » .

    Jeudi, Mme Borne a rappelé que le protocole sanitaire pour les entreprises, mis à jour plusieurs fois depuis le début de l’épidémie, s’inscrit dans une « démarche de prévention du risque d’infection » : dès l’instant qu’il est appliqué, il est « efficace » et empêche, selon elle, que les lieux de travail deviennent « une chaîne de contamination » . « Les salariés peuvent [prendre leur poste] en toute sérénité » , a-t-elle assuré.

    Risques psychosociaux

    La nouvelle mouture du protocole a été publiée, vendredi, après consultation des partenaires sociaux. Les changements apportés à ce vade-mecum sont jugés favorablement par Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. Pour lui, le seuil de « deux ou trois jours de télétravail par semaine » , cité par M. Macron, lui semble bon. Il n’est pas forcément partisan d’aller au-delà : « Il n’y a pas une demande uniforme des salariés » , avance le responsable cédétiste, tout en mettant en exergue les risques psychosociaux, en particulier pour les jeunes et les célibataires.

    Cyril Chabanier, le président de la CFTC, se retrouve également dans les intentions du gouvernement. « L’idée est d’avoir environ 50 % des salariés sur place » , résume-t-il, estimant qu’il s’agit d’une mesure de « bon sens ». Il aurait toutefois aimé que l’Etat soit « un peu plus dans l’injonction » . Les syndicats, insiste-t-il, ont maintenant un rôle important à jouer « dans les entreprises » pour que ce guide soit bel et bien appliqué.

    Au nom de la CFE-CGC, Gérard Mardiné pense qu’il est positif que le « bon équilibre » soit recherché, à travers un « dialogue » entre les patrons et les représentants du personnel. Béatrice Clicq (FO) s’en félicite également. Cependant, elle souhaiterait aller au-delà de la définition du nombre de jours en télétravail.

    « Il faut tirer les enseignements du confinement pour faire mieux qu’en mars » , plaide-t-elle, en mentionnant plusieurs pistes : déterminer clairement les plages horaires de travail à distance et les moments où le salarié peut être joint. Autant de thématiques qui devraient être abordées lors de la négociation interprofessionnelle qui s’ouvre le 3 novembre entre les partenaires sociaux. Plus critique, Céline Verzeletti (CGT) considère que le nouveau protocole ne sera « pas suffisant » pour garantir la santé et la sécurité des salariés.

    De leur côté, les organisations patronales paraissent plutôt satisfaites des orientations dévoilées jeudi. « Il y a maintenant un avis général pour dire que le télétravail est une bonne chose mais que trop de télétravail tue le collectif », déclare Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef. Pour lui, il est exclu de « normer » le télétravail – comprendre : d’imposer des règles au niveau national. Le nombre de jours à définir « dépend de l’entreprise, sa taille, son secteur, sa localisation » , argumente-t-il.

    S’il reconnaît qu’il n’y a pas encore assez d’accords sur le sujet négociés dans les entreprises, il juge que la situation actuelle « va accélérer » les choses. « C’est déjà le cas », assure-t-il. Numéro un de la Confédération des petites et moyennes entreprises, François Asselin tient à ce que les employeurs disposent de « souplesse » pour organiser le télétravail. Un nombre minimal de jours télétravaillés n’est pas forcément la bonne référence, observe-t-il, certaines sociétés préférant faire venir à tour de rôle, chaque semaine, une partie de leurs collaborateurs.

    La fermeture des crèches et écoles en réponse à la pandémie de Covid-19 a fait apparaître un nouveau mode de garde des enfants : celui de la garde par le télétravailleur, constate le juriste Francis Kessler dans sa chronique.

    « On en reste donc à l’institutionnalisation d’un nouveau principe : il convient de garder ses enfants tout en télétravaillant, sauf au cas où la nature de l’activité rendrait impossible le télétravail »

    Droit social. Les parents doivent veiller à la sécurité de l’enfant et contribuer à son entretien matériel et moral. C’est là l’article 371-2 du code civil. S’ils sont mariés, l’article 203 du code dispose que « les époux contractent ensemble, par le fait seul du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants ». Ces textes ne préjugent pas la façon dont s’exerce cette manifestation de la solidarité familiale. Le modèle familial traditionnel, baptisé « Monsieur Gagne-Pain », veut que cette tâche incombe à celui des parents qui n’a pas d’activité rémunérée, statistiquement la femme ou l’épouse.
    Le droit français du travail, à travers divers congés, parfois accompagnés d’une indemnisation, parfois non, permet aux salariés de ne pas travailler pendant un certain temps pour se consacrer aux enfants. Le droit de la sécurité sociale accompagne aussi ces catégories de la population à travers plusieurs dispositifs de prise en charge partielle d’une perte de revenu ou d’un coût engendré par la garde d’un enfant.

    Inclus dans la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PréPare) compense partiellement la diminution de revenu de celui qui a choisi de cesser ou de réduire son activité professionnelle pour élever son (ses) enfant(s), et le complément de libre choix de mode de garde (CMG) finance, partiellement, sous condition de ressources, la garde de l’enfant de moins de 6 ans par un assistant maternel agréé, une garde à domicile, une entreprise habilitée ou une micro-crèche lorsque le (les) parent(s) travaille (nt).

    Attestation sur l’honneur

    La fermeture des crèches et écoles en réponse à la pandémie de Covid-19 a fait apparaître un nouveau mode de garde des enfants : celui de la garde par le télétravailleur. C’est là une constante, tant les règles qui ouvraient le droit à l’arrêt de travail dérogatoire Covid-19 et le versement corollaire d’indemnités journalières d’assurance-maladie que les textes spéciaux du droit du chômage partiel, posent le principe du télétravail pour tous ceux dont l’activité le rend possible.
    Le 9 septembre 2020, le gouvernement a annoncé que « les salariés du privé contraints de garder leurs enfants en raison de la fermeture de leur crèche, école ou collège et qui seront dans l’impossibilité de télétravailler seront placés en activité partielle » mais aussi que « cette indemnisation pourra bénéficier à un parent par foyer, en cas d’incapacité de télétravail des deux parents et sur présentation d’un justificatif ». Chose dite, chose faite et même de façon rétroactive au 1er septembre.

    Toutefois, si la mise à jour datée du 29 septembre de la circulaire ministérielle « questions/réponses activité partielle » indique que le salarié doit remettre une attestation sur l’honneur à son employeur indiquant qu’il est le seul des deux parents demandant à bénéficier d’un arrêt de travail au titre de la garde de son enfant contraint de demeurer à domicile pour les jours concernés, elle n’indique en rien ce qui pourrait constituer « une incapacité de télétravail ». Cette question relève donc de l’appréciation de l’employeur, ou éventuellement d’une discussion entre l’employeur et le salarié.

    On en reste donc à l’institutionnalisation d’un nouveau principe : il convient de garder ses enfants tout en télétravaillant, sauf au cas où la nature de l’activité rendrait impossible le télétravail, ou accord au cas par cas entre l’employeur et salarié qui constaterait l’impossibilité de travailler et engendrerait la mise en œuvre du dispositif « d’activité partielle ».

    #crise_sanitaire #travail #télétravail

    • Télétravail ?

      Lors de la première vague de cette « maladie de retraités » ça a contribué à accroître la sélectivité sociale de la mortalité pandémique parmi les actifs :

      (...) les distinctions sociales, professionnelles ou d’origine apparaissent criantes. Ainsi 50 % des cadres ont pu télétravailler, contre 1 % des ouvriers. Là encore les immigrés sont en première ligne : ils sont les moins nombreux à avoir travaillé à distance (15,4 %) et les plus nombreux à n’avoir pas pu travailler du tout (18,4 %). [Epicov]

      https://seenthis.net/messages/880243

      Et on voit ci-dessus qu’il n’est pas lié à mettre en oeuvre dans la fonction publique. Nos pères de la nation ne veulent pas perdre la main sur l’appareil d’état dans toutes ses ramifications (et pourquoi pas deux jours de télétravail par semaine et basta !).

      Pas plus qu’il n’est possible d’ordonner la fermeture de tous les commerces le soir sans décréter un couvre feu. Privés des espaces marchands, les désordres, les atteintes aux biens, la mise ne place d’autres sociabilités que celle liées au commerce seraient incontrôlables.

      L’économie et aussi un maintien de l’ordre, et tout comme le travail, une forme de contrôle (qui se développe aussi avec le télétravail, surveillé, évalué). C’est en cela qu’elle reste « rentable » malgré les pertes.