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    « La France ne doit pas tomber dans le piège tendu par les terroristes »

    Ce 29 octobre 2020, dans une tribune publiée par Le Monde, que vous pouvez lire ici,

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/29/la-france-ne-doit-pas-tomber-dans-le-piege-tendu-par-les-terroristes_6057764

    des intellectuels, politiques, responsables syndicaux et associatifs, citoyennes et citoyens engagé·e·s, lancent un appel à un rassemblement face au terrorisme et pour une réponse commune de la gauche, des écologistes, des républicains, dans un moment où le pays vacille.

    Tribune. Le moment est grave, il ne quittera pas nos mémoires. Samuel Paty
    <https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/21/a-la-marche-blanche-pour-samuel-paty-a-conflans-combien-de-fois-allons-nous->,
    professeur d’histoire et de géographie, a été assassiné par un terroriste
    islamiste. A Nice, un autre crime ignoble a été commis. Ces actes
    monstrueux ont pour but de semer la haine et la terreur.

    Pourtant, cette fois, les appels à l’unité n’ont pas suffi à limiter les
    tensions au sein de la société française. En démocratie, le débat est
    souhaitable après de tels évènements. Mais depuis la tragédie du
    16 octobre, certains, parfois même au sein du gouvernement, se sont engagés
    sur la voie des anathèmes et des accusations délirantes. Ils prennent la
    lourde responsabilité d’affaiblir le pays face aux terroristes en dressant
    les Français les uns contre les autres. Les assassins et ceux qui les ont
    encouragés auraient-ils déjà gagné ?

    Il est urgent de nous mobiliser ensemble autour des principes laïques et
    républicains. Si nous échouons, l’islamisme radical aura remporté, avec
    l’extrême droite, une victoire décisive en faisant de la question
    religieuse, et plus précisément de l’islam, le pivot de la politique
    française, au détriment des urgences sociales, écologiques et
    démocratiques. Pire, il aura installé des germes durables de guerre civile.

    Pour avancer, il importe d’abord de reconnaître les manquements du passé.
    Combien d’atteintes à la laïcité et à la liberté d’expression et
    d’enseignement restées sans réponse ? Combien d’appels au secours ignorés,
    qu’ils viennent d’enseignants et d’autres agents des services publics
    devant la dégradation de leurs conditions de travail, ou d’habitants des
    quartiers populaires devant l’absence de l’Etat, notamment sur le terrain
    de la sécurité ? Combien de discriminations à l’égard de musulmans ou de
    ceux qui sont supposés l’être, laissées impunies ?
    Une insuffisance de moyens

    Manifestement, le gouvernement considère que l’on pourrait lutter
    efficacement contre l’islamisme radical sans combattre en même temps, à la
    racine, le racisme, les discriminations et les déchirures sociales et
    urbaines des territoires abandonnés. Il feint également d’ignorer
    qu’existent au sein de l’islam, en France et ailleurs, des forces prêtes à
    combattre les influences mortifères. Cette absence de vision globale donne
    toujours une victoire symbolique aux islamistes radicaux. Elle a depuis
    longtemps favorisé leur implantation.

    Oui, les manifestations agressives d’une idéologie totalitaire allant
    jusqu’au terrorisme doivent être combattues sans trêve ni repos dans le
    cadre de l’Etat de droit. Pour cela, de nombreux leviers juridiques
    existent déjà. Il faut résister à la tentation de réagir à chaque attentat
    par une loi supplémentaire ou des gesticulations spectaculaires. Les
    carences relèvent surtout d’une insuffisance de moyens de renseignement et
    de coordination, notamment dans le suivi des réseaux sociaux.

    Le combat contre l’islamisme radical, les pressions qu’il exerce à l’école
    et ailleurs pour restreindre les libertés, notamment celles des femmes ou
    des personnes LGBTI +, appelle des actions construites, déterminées et
    proportionnées. Ces politiques doivent être conduites dans la durée et
    mises en œuvre sans faiblir dans un cadre légal défini et protecteur des
    libertés. Pour être efficace, il nous faut combattre l’intégrisme islamiste
    en priorité sur le terrain éducatif, social et politique. Là où les
    fondamentalismes tentent de faire primer le dogme religieux sur les lois de
    la République, la fermeté de l’action publique est indispensable.

    L’école doit être aux avant-postes de ce combat. Mais elle ne peut pas être
    laissée seule. Celles et ceux qui y enseignent doivent être reconnus,
    soutenus et protégés au quotidien, et pas seulement passagèrement au
    lendemain des drames, particulièrement par un accompagnement humain en cas
    de difficultés, des outils et une formation pédagogiques renforcés pour
    permettre à tous les acteurs de l’école de savoir réagir.
    Assauts répétés des obscurantismes

    La laïcité définie par la loi de 1905 n’est pas une option : elle est et
    doit rester la loi de la République. Elle a traversé le XXe siècle,
    faisons-la vivre en garantissant effectivement la liberté de croire,
    notamment pour les musulmans, ou de ne pas croire. Plus qu’à la
    multiplication de lois nouvelles, veillons à l’application effective de
    celles qui existent déjà.

    La République, promesse inachevée, doit repenser sa présence dans tous les
    territoires pour faire exister l’égalité réelle par des politiques
    publiques offensives, avec des moyens humains et financiers substantiels,
    notamment dans le cadre de la mise en œuvre d’une transition écologique
    juste. Elle doit, conformément à sa devise, garantir l’absence de toute
    discrimination et chercher à réduire toutes les inégalités dans un esprit
    de fraternité.

    Pour nous, il n’y a pas de fatalité à ce que la France tombe dans le piège
    tendu par les terroristes. Nous ne cesserons jamais de vouloir tisser des
    liens entre tous les humains, malgré les assauts répétés des
    obscurantismes. Nous continuerons de lutter partout et toujours contre
    toutes les formes de racisme, d’antisémitisme et d’intolérance.

    Nous avons parfaitement conscience qu’il existe des désaccords entre nous
    sur ces sujets et que beaucoup reste à faire pour consolider ces réponses :
    ce texte se veut d’abord un appel à la gauche, aux écologistes et, au-delà,
    à tous les républicains, à engager ensemble ce travail à un moment où
    l’essentiel est en danger.

    Parmi les premiers signataires : Arié Alimi, avocat ; Clémentine
    Autain,
    députée ; Manuel Bompard, député européen ; Laurence De Cock,
    historienne ; Cécile Duflot, ancienne ministre ; Guillaume Duval, ancien
    journaliste ; Aurore Lalucq, députée européenne ; Pierre Laurent,
    sénateur ; Philippe Martinez, syndicaliste ; Jean-Pierre Mignard,
    avocat ; Béligh Nabli, universitaire ; Matthieu Orphelin, député
     ; Christian
    Paul,
    ancien ministre ; Eric Piolle, maire ; Thomas Piketty,
    économiste ; Sandra Regol, militante écologiste ; Aïssata Seck,
    élue ; Sophie
    Taillé-Polian, *sénatrice ; *Benoit Teste,
    syndicaliste ; Aurélie
    Trouvé,
    responsable
    d’ONG.

  • Données de santé : « La plate-forme “Health Data Hub” pose des questions de sécurité majeures », Marcel Goldberg, Marie Zins, épidémiologistes
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/29/donnees-de-sante-la-plate-forme-health-data-hub-pose-des-questions-de-securi

    Le gouvernement a lancé un très ambitieux projet de « Health Data Hub » (HDH) visant à réunir l’ensemble des données disponibles sur la santé des Français, pour développer l’intelligence artificielle (IA) en santé. En effet, la situation actuelle est largement insatisfaisante en raison de la dispersion en de multiples systèmes d’information gérés sans coordination par de nombreux acteurs : hôpitaux, Sécurité sociale, organismes de recherche, universités, registres et enquêtes épidémiologiques, cohortes… On ne peut que souscrire aux objectifs de partage de données et de développement de l’IA en santé et se féliciter de la volonté politique de fournir des moyens conséquents.
    Mais si l’intention est louable, réunir toutes les données dans une infrastructure informatique unique est extrêmement dangereux et largement inutile. Le fait de confier sa gestion à Microsoft a suscité de nombreux débats, mais on n’a pratiquement pas évoqué les très graves problèmes que pose le dispositif prévu, même s’il était géré sur une infrastructure nationale.

    Exposition aux attaques

    En effet, le HDH entend centraliser toute donnée collectée dans le cadre d’un acte remboursé par l’Assurance-maladie dans les hôpitaux, en médecine de ville, médecine du travail, pharmacies, services de protection maternelle et infantile, dépistage, enquêtes de santé… La centralisation des données concernant les aspects les plus intimes de la vie des 67 millions d’assurés sociaux chez un hébergeur unique pose des questions majeures de sécurité, car il suffit de croiser quelques données simples pour identifier une personne, avec des conséquences potentiellement très lourdes.

    La centralisation des données dans une seule infrastructure informatique peut permettre des mesures de sécurité accrues, mais les rend plus exposées aux attaques venant de l’extérieur comme de l’intérieur, avec des impacts plus grands en cas de rupture de confidentialité. Faire courir un tel danger aux personnes ne peut se justifier que si cela est indispensable. Or ce n’est pas le cas : non seulement un système centralisé est dangereux, mais il est largement inutile pour deux raisons essentielles.

    La première tient à la qualité des différentes bases de données concernées. Construites dans des buts, des circonstances et avec des méthodes qui, pour la plupart, n’ont rien à voir entre elles, leur qualité et leur validité sont extrêmement variables : « big data » n’est pas synonyme de « good data ». Or les algorithmes d’intelligence artificielle ont besoin de données valides. Avant d’utiliser une base de données, un examen minutieux de ses caractéristiques et de sa qualité, impliquant ceux qui l’ont construite, est indispensable, sans quoi son intégration dans le HDH est inutile.

    Aberration scientifique et technique

    La seconde raison est l’hétérogénéité de ces bases de données. Il ne suffit pas de regrouper des données de droite et de gauche pour les « faire parler ». Encore faut-il que les données soient interopérables, c’est-à-dire homogènes sur le plan sémantique. Par exemple, si on s’intéresse à l’insuffisance cardiaque, on peut trouver des données dans diverses sources : dossier de service de cardiologie, diagnostic de généraliste ou de cardiologue en ville, déclaration d’un sujet dans une enquête, réseaux sociaux… Mais, selon la source, ce terme n’a pas la même signification, ni la même validité.

    Il faut connaître le contexte et les méthodes du recueil des données, la population dont elles sont issues, etc., le cas échéant le type d’appareil utilisé car on rencontre, par exemple, des électrocardiogrammes ou des images IRM provenant d’appareils différents. Et dans de nombreux cas, cette harmonisation s’avère impossible. C’est pourquoi les algorithmes d’IA sont le plus souvent développés sur une base de données unique.

    Il arrive cependant que plusieurs bases de données puissent être rassemblées. Il faut alors les harmoniser. Mais ceci n’a de sens que pour des objectifs spécifiques de recherche et ne peut donc être réalisé qu’au cas par cas ; et implique un travail de comparaison et de définition des données, qui ne peut être réalisé que par les responsables des données concernées, qui disposent de l’expertise et de la connaissance approfondie des données, des conditions de leur recueil, des modalités de validation… Imaginer qu’il sera possible de développer des algorithmes d’IA à partir des données extrêmement hétérogènes uniquement parce qu’elles sont stockées dans un système informatique centralisé est donc une aberration scientifique et technique.

    Et même si toutes ces difficultés sont résolues et qu’on dispose de plusieurs bases de données véritablement interopérables, il n’est pas indispensable de les réunir dans la même infrastructure informatique. Il existe des méthodes d’analyse « distribuée » où des données gérées dans des systèmes informatiques différents sont exploitées en commun ; ces méthodes sont largement utilisées dans les cas où, pour des raisons de sécurité ou des raisons légales, les données ne doivent pas être transférées hors de leur propre environnement.

    Développer le HDH en réunissant les données de 67 millions de Français dans une infrastructure informatique unique est donc une erreur fondamentale qui fait inutilement courir de graves dangers. Si les objectifs de partage de données et de développement de l’IA sont pleinement justifiés, plutôt que d’empiler aveuglément des bases de données hétéroclites, le HDH devrait se concentrer sur des activités réellement utiles, comme par exemple une cartographie analytique des bases de données disponibles, leur mise en réseau, la promotion de règles harmonisées de partage de données, etc.

    En gardant à l’esprit que les véritables difficultés se situent à la source même des données de santé, comme la crise sanitaire du Covid-19 l’a cruellement mis en évidence : absence de données provenant des EHPAD, insuffisance du nombre de spécialistes du codage des causes de décès, pour ne citer que les manques les plus voyants.

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