La grande pénalisation de l’enseignement supérieur : le nouveau délit d’entrave aux débats

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    La grande pénalisation de l’enseignement supérieur : le nouveau délit d’entrave aux débats
    Publié le 04/11/2020 par L’équipe des rédacteurs d’Academia

    Nous sommes inquiet·es de la faiblesse des contestations qui entourent le nouvel article 1er B du projet de loi de programmation de la recherche, tel qu’issu de l’amendement n° 147 déposé par le sénateur Lafon et adopté par le Sénat dans la nuit du 28 au 29 octobre. Cet article, en introduisant un nouvel article dans le code pénal, l’article 431-22-1, crée un délit spécifiquement applicable à l’enseignement supérieur :

    Art. 431-22-1. – Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but d’entraver la tenue d’un débat organisé dans les locaux de celui-ci, est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende.

    À cet égard, Patrick Lemaire, président de la Société française de biologie du développement, tient des propos courageux au titre du collectif des sociétés savantes académiques de France : il dénonce sans ambiguïté cette disposition dans Le Monde du 3 novembre. Mais pour le reste, force est de constater que nombre des communiqués de presse qui s’accumulent ignorent délibérément cet article, pour mieux l’approuver, comme c’est le cas du communiqué de l’association Qualité de la science française. Ou, s’ils intègrent cet article dans la liste formelle des griefs adressés à la loi, ils le passent très largement sous silence, préférant concentrer leurs critiques sur les amendements 150 (court-circuitage du CNU) et 234 (subordination des libertés académiques à des valeurs d’ordre politique).

    • Cf les activités du groupe Oblomoff et de tant d’autres groupes qui ont perturbé des débats universitaires « sans y être habilités »...

  • Le fond de l’air est violent
    https://www.liberation.fr/debats/2020/11/04/le-fond-de-l-air-est-violent_1804589

    Face aux attentats terroristes islamistes et à la multiplication des fanatismes identitaires, le gouvernement oppose une stratégie du choc contre le monde du savoir .

    Je parle aujourd’hui depuis l’histoire immédiate, celle qui n’en finit pas, jour après jour, parfois même heure après heure, de nous éprouver et de nous sidérer au point de désespérer de l’action. Le fond de l’air est violent, d’une violence que l’on pourrait qualifier d’« atmosphérique » pour emprunter les mots de Frantz Fanon dans les Damnés de la Terre rédigé en 1961, au moment des luttes de décolonisation. Au choc brûlant des attentats terroristes islamistes récemment commis et à la prolifération des fanatismes identitaires appelant à l’instar de l’Action française à « décapiter la République », le gouvernement oppose une politique d’étouffement des libertés de pensée, d’engagements et de recherche aux apparences guerrières d’union sacrée.

    Cette dernière s’est notamment incarnée le 22 octobre dans les propos du ministre de l’Education nationale sur Europe 1 et au Sénat accusant les universitaires de « complicité intellectuelle du terrorisme », fruit d’un « islamo-gauchisme » qui « ravage » l’enseignement supérieur. Il ne s’agit pas là d’éphémères anathèmes, capitalisant sur le vocabulaire de l’extrême droite pour occuper le bruit médiatique, mais bien d’une stratégie du choc contre la portée émancipatrice et contestataire des savoirs dont témoigne l’« Appel solennel pour la protection des libertés académiques et du droit d’étudier » impulsé par le collectif Academia et qui essaime à travers l’ensemble du monde scientifique.

    Ainsi, dans la nuit du 28 octobre, le Sénat a voté un amendement au projet de loi de programmation de la recherche (#LPPR) qui conditionne l’exercice des libertés académiques au « respect des valeurs de la République ». Lesquelles ? Là n’est pas la question pour le législateur. Le politologue Jean-François Bayart explique ainsi dans une tribune parue récemment dans le Monde que ces dernières, déjà brandies pour encadrer la pratique pédagogique des enseignants dans le secondaire ces dernières années, ne font l’objet d’aucune définition juridique ou réglementaire. Formule incantatoire qu’on prive de son histoire dans le temps long des révolutions et des républiques qui l’ont pourtant constamment réactualisée pour le meilleur comme pour le pire, l’expression cache, en revanche, un moyen pour « subordonner (l’exercice des libertés académiques) aux pressions de l’opinion ou du gouvernement ».

    Chemin faisant elle participe d’un renoncement historique aux principes d’indépendance des universitaires intégrés pourtant depuis 1993 au bloc de constitutionnalité, ce cadre juridique protecteur des droits fondamentaux dont doivent découler l’ensemble de nos lois. Comment enfin ne pas penser, à l’échelle de notre histoire-monde, aux politiques hostiles menées ces dernières années contre les institutions scientifiques et qui ont cours en Hongrie, en Turquie, au Brésil, aux Etats-Unis, ou encore en Pologne.

    Et puis, il y a cette phrase d’un Premier ministre invité du 20 heures de TF1 dimanche 1er novembre qui illustre de façon crue cette police de la pensée qui vient : « Nous devrions nous autoflageller, regretter la colonisation, je ne sais quoi encore ! » Cette phrase, il la prononce alors qu’il fustige « les justifications [face] à [l’]islamisme radical » et la supposée « complaisance d’intellectuels ». L’histoire, et, avec elle, les sciences humaines et sociales ne sont pas ces lieux fantasmés d’une culture de l’excuse ou de l’entretien des passions tristes. Parce qu’elles sont des questionnements méthodiques sans cesse renouvelés des évidences présentes et passées, elles déjouent en revanche les grands récits dominants ou simplificateurs et invitent au débat.

    Aussi, face à la violence des attaques qui leur sont portées, des contre-feux s’organisent sur les réseaux sociaux et dans les journaux. Au fil des tribunes qui fleurissent de toutes parts, des milliers de chercheurs et d’enseignants font vivre en ces temps confinés un espace de pensée, de discussion et de contestation qui est aussi une brèche dans les cadrages de la réalité du discours dominant et la condition de possibilité d’une résistance à l’oppression qui, pour le théoricien et philosophe du républicanisme Philip Petit, est le propre de l’idéal républicain et le « bien commun de la citoyenneté ».

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      Nous sommes inquiet·es de la faiblesse des contestations qui entourent le nouvel article 1er B du projet de loi de programmation de la recherche, tel qu’issu de l’amendement n° 147 déposé par le sénateur Lafon et adopté par le Sénat dans la nuit du 28 au 29 octobre. Cet article, en introduisant un nouvel article dans le code pénal, l’article 431-22-1, crée un délit spécifiquement applicable à l’enseignement supérieur :

      Art. 431-22-1. – Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but d’entraver la tenue d’un débat organisé dans les locaux de celui-ci, est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende.

      À cet égard, Patrick Lemaire, président de la Société française de biologie du développement, tient des propos courageux au titre du collectif des sociétés savantes académiques de France : il dénonce sans ambiguïté cette disposition dans Le Monde du 3 novembre. Mais pour le reste, force est de constater que nombre des communiqués de presse qui s’accumulent ignorent délibérément cet article, pour mieux l’approuver, comme c’est le cas du communiqué de l’association Qualité de la science française. Ou, s’ils intègrent cet article dans la liste formelle des griefs adressés à la loi, ils le passent très largement sous silence, préférant concentrer leurs critiques sur les amendements 150 (court-circuitage du CNU) et 234 (subordination des libertés académiques à des valeurs d’ordre politique)...