• « Le confinement allégé ne sera pas suffisant pour casser rapidement la courbe épidémique »
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/11/05/william-dab-il-faut-des-maintenant-travailler-a-eviter-un-troisieme-confinem
    William Dab, médecin, épidémiologiste, professeur émérite au CNAM, a été directeur général de la santé de 2003 à 2005. Il analyse la stratégie de lutte contre l’épidémie de Covid-19. Propos recueillis par Pascale Santi.

    Les écoles, collèges et lycées ont rouvert lundi 2 novembre, qu’en pensez-vous ?

    La situation n’est pas simple. Le retour à l’école est une bonne décision du point de vue éducatif. Mais du strict point de vue de l’épidémie, il vaudrait mieux les fermer pour réduire la circulation virale. C’est un choix politique, un arbitrage entre l’impératif pédagogique et l’impératif sanitaire.

    Fermer les écoles, surtout durant le premier semestre, accentue les inégalités. Or, on sait que l’épidémie touche plus les populations les plus précaires. En ce moment, on ne cherche pas la bonne solution, on cherche la moins mauvaise.

    Quel est le rôle des enfants dans la circulation virale ?

    Les enfants semblent moins contaminés et moins contagieux. Les adolescents aussi, mais ils ont plus de contacts sociaux. A l’instar des jeunes adultes, ils sont le plus souvent asymptomatiques. Cependant, il faut être prudent avec les études disponibles. Elles ne sont pour la plupart pas françaises, et elles ont été réalisées au moment où la circulation virale était moins forte qu’aujourd’hui, et à des moments où des écoles pouvaient être fermées.

    Vous avez estimé que les enfants devraient porter un masque à la maison, pour quelles raisons ?

    Cette position a suscité beaucoup de réactions. La représentation dominante est qu’il n’y a pas de problème à la maison, où on a le sentiment d’être protégé. Ce n’est pas vrai. Ma position n’est pas le port du masque systématique à la maison. Ce qu’il faut, c’est inciter les familles à évaluer le risque. Actuellement, la circulation du virus est intense et il faut éviter d’être malade. Le temps médical et le temps soignant, déjà diminué, va se réduire tout au long du mois de novembre. Dans ce contexte, les enfants peuvent ramener le virus à la maison sans le savoir et contaminer leurs proches.

    Plusieurs éléments sont à prendre en compte. Vivre dans un grand appartement chacun ayant sa chambre ou à cinq dans 50 mètres carrés, ce n’est pas le même risque. De même, s’il y a dans la famille des gens à risque élevé de complications. Dans ce cas-là, les enfants et les adolescents doivent se considérer contagieux jusqu’à preuve du contraire. Quoi qu’il en soit, il faut être irréprochable sur l’hygiène des mains et veiller à une aération régulière. Il faut aussi réfléchir aux repas, être vigilant sur les ustensiles, les surfaces, etc.

    Le masque à la maison est-il acceptable ? C’est à chaque famille de décider, c’est un choix délicat entre le besoin affectif et le besoin sanitaire. Rappelons que les personnes fragiles ne sont pas que les personnes les plus âgées ; 40 % des personnes actuellement en réanimation ont moins de 65 ans et 90 % des personnes en réanimation ont des facteurs de risque, qui, outre l’âge, sont le surpoids, le diabète et les antécédents cardiovasculaires ou pulmonaires.

    Pensez-vous que ce confinement allégé sera suffisant ?

    Suffisant pour casser rapidement la courbe épidémique, non. Les mesures prises ne peuvent donner des effets que deux semaines après leur instauration. Je serais étonné que l’on parvienne fin novembre à 5 000 contaminations par jour, objectif fixé par le président Macron. Je l’espère, mais obtenir ce résultat alors que les écoles sont ouvertes semble une gageure. Je m’attends plutôt à ce que ce confinement dure jusqu’au mois de janvier.

    Au printemps, un confinement strict a démarré le 17 mars, l’épidémie n’a cessé de gagner du terrain jusqu’au 7 avril. Mais c’était différent, car nous n’avions ni masques, ni gel, ni tests et le taux de reproduction effectif du virus, le « R », était de 3, le nombre de personnes hospitalisées doublait tous les trois jours.

    Depuis la mi-août, nous avons une croissance exponentielle, avec un doublement des cas tous les quatorze jours. Au début du mois de septembre, 5 000 cas de contaminations étaient recensés chaque jour, ce qui a conduit à environ 100 000 contaminations quotidiennes aujourd’hui. C’est le grand piège d’un modèle exponentiel à latence longue, pendant longtemps on a l’impression que c’est maîtrisable et à un moment donné, lorsqu’on passe de 20 000 à 40 000 cas, on perd le contrôle de la pandémie, même avec un taux de reproduction « R » de l’ordre de 1,3 (c’est-à-dire que 10 personnes en contaminent en moyenne 13 autres).

    Qu’est-ce qui a failli ?

    Comme l’a dit le maréchal Foch, les défaites s’expliquent souvent par deux mots : trop tard. Au printemps, nous avons payé la faiblesse de notre préparation face aux pandémies. Les commissions d’enquête parlementaires sont en train d’investiguer cela. Cet automne, nous avions les tests, les masques et le gel hydroalcoolique. Mais nous n’aurions pas dû nous trouver dans cette situation si on avait agi résolument dès la fin août.

    Lors du déconfinement, en mai, les vannes n’ont pas été ouvertes d’un seul coup, mais progressivement. En revanche, fin août, alors que la circulation virale et le nombre de personnes infectées étaient repartis à la hausse, les écoles ont été ouvertes, puis les universités, et on a demandé aux salariés de revenir dans les entreprises, tout cela en même temps, sans stratégie sur l’utilisation des tests, sur l’isolement. Dès lors, le scénario actuel était écrit.

    Que fallait-il faire ?

    L’isolement est la pièce maîtresse de la lutte contre l’épidémie. Ce n’est pas nouveau. On le sait depuis Robert Koch et sa gestion d’une épidémie de fièvre typhoïde. Cela fait des mois que plusieurs instances le recommandent, mais le mot « isoler » a disparu du discours officiel.
    Il ne suffit pas de dire « restez chez vous ». Le dispositif des hôtels avait été évoqué mais n’a jamais fonctionné. Pour cela, il faut mettre en place un accompagnement sur le terrain, personne par personne. Il ne suffit pas non plus de faire 1 million de tests par semaine. Leur usage doit poursuivre un objectif prioritaire qui est de repérer les malades contagieux et de les isoler.

    On s’attendait le 15 septembre à ce que le premier ministre, Jean Castex, annonce des mesures de ralentissement de la circulation virale, mais il s’est contenté de recommandations. Encore une fois, c’est le problème d’un modèle exponentiel avec un temps de doublement des cas qui est long. Il faut prendre des décisions fortes alors qu’il y a encore peu de cas. Le conseil scientifique l’a dit, mais ce n’est pas facile politiquement.

    A-t-on manqué de pédagogie en France ?

    Oui, je le crois. Les gens ont un sentiment d’incohérence, on ne peut pas acheter des livres mais des cigarettes, pourquoi ? Par ailleurs, les incertitudes ne sont pas suffisamment expliquées : mutations, durée de l’immunité, etc.

    Dans ces situations, la confiance sociale est une question absolument clé. Pour l’obtenir, les décisions doivent s’appuyer sur une évaluation scientifique du risque, ce qui veut dire notamment connaître la contribution des différentes sources de contaminations, ce que l’on pourrait faire sur des échantillons, par des enquêtes téléphoniques et chez les personnes admises à l’hôpital. On nous dit que la plupart des contaminations sont dans le cercle familial. Je ne sais pas où sont les données à l’appui de cette affirmation.

    Les dégâts sociaux, économiques et sanitaires liés au confinement ne seront-ils pas supérieurs aux dégâts sanitaires du Covid-19 ?

    Oui c’est possible. J’ai évoqué cela dans vos colonnes dès le mois d’avril. C’est pour cela que la réactivité de la prévention est fondamentale. Si on agit vite et tôt, on limite l’impact sanitaire et l’impact économique. Plus généralement, la question qui se pose à nos sociétés est celle d’un arbitrage entre le court et le long terme. Pour sauver des vies maintenant, faut-il fragiliser les générations futures ? Si notre santé publique était efficace, on n’aurait pas à se poser cette question.

    Etes-vous pessimiste ?

    Par nature, je suis optimiste, mais à court terme, cela va être douloureux. L’optimisme serait que l’on se mette dès maintenant à préparer le déconfinement et de faire ce qu’il faut pour éviter un troisième confinement au printemps, ce qu’évoque le conseil scientifique. Ce serait socialement trop destructeur, on sent déjà le désarroi et la lassitude.

    #covid-19 #prévention #santé_publique