• « Ici, tu te demandes si tu es un homme ou un animal » : à Saint-Denis, 2 500 migrants vivent sous tentes
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/04/a-saint-denis-2-500-migrants-vivent-sous-tentes_6058453_3224.html

    Il y a une semaine environ, la ville de Saint-Denis a fait installer une dizaine de toilettes et des robinets d’eau sur le site. Jusque-là, des latrines avaient été bricolées au-dessus d’une fosse, à la vue de tous. On aperçoit encore des hommes à moitié nus se shampouiner hâtivement le corps entre deux buissons, récupérant un peu d’hygiène et de dignité au milieu de ce qui n’est rien qu’un bidonville crasseux.Ce grand campement à ciel ouvert rappelle les difficultés récurrentes d’hébergement de ceux qui sont, en majorité, des demandeurs d’asile. « Il y a cinq ans, le campement était à Austerlitz [à Paris]. Il y a trois ans, il était à La Chapelle… Celui-ci est le même que tous les autres, sauf qu’il est à une heure de tout, et qu’il y a une pandémie et un confinement national », résume Paul Alauzy, chargé de la veille sanitaire pour Médecins du monde (MDM), qui se rend deux fois par semaine sur place.(...)
    Les cas de personnes atteintes du virus semblent rares, d’après ce qu’observe MDM, lors de la cinquantaine de consultations effectuées ici deux fois par semaine. Sous un petit barnum, Françoise Djebbar, médecin bénévole pour MDM, a reçu lundi une quinzaine de personnes en consultation. « J’ai vu beaucoup de caries et des bouches dans des états pas possibles, des entorses chez des personnes qui se sont battues, pas mal de rhino-pharyngites, énumère-t-elle. Depuis un mois, les cas de gale augmentent. On en voit quinze ou vingt par semaine. »Shakir (le prénom a été modifié) vient justement présenter ses poignets et ses avant-bras grêlés de furoncles et de petites croûtes, symptômes d’une gale surinfectée. Il dit en avoir d’autres sur les jambes et les organes génitaux. Cet Afghan de 20 ans, arrivé sur le campement il y a deux semaines, s’est rendu à l’hôpital il y a quelques jours mais, vraisemblablement mal orienté, il n’a pas obtenu de prise en charge pour les médicaments qui lui avaient été prescrits et n’a pas pu tous les acheter. La médecin envoie le jeune homme vers un centre de MDM pour qu’il obtienne le traitement nécessaire et des sous-vêtements propres, ainsi qu’un insecticide à diffuser dans sa tente. Il devra encore trouver un endroit où prendre une douche.
    « Ici, tu te demandes si tu es un homme ou un animal », confie Besmellah Dawlatzai, assis autour d’un des braseros du camp, sur lequel une poêle remplie d’huile a été posée pour permettre à un petit groupe d’hommes de faire cuire des bolani, des pains afghans farcis aux pommes de terre, vendus 1 euro et à la cantonade. Quand le vent gonfle les flammes et projette des gouttes de pluie dans l’huile bouillante, les hommes se reculent pour éviter l’accident.Besmellah Dawlatzai vit ici depuis trois mois déjà. Débouté de sa demande d’asile en Autriche, où il a vécu cinq ans, et menacé d’être renvoyé en Afghanistan, il est arrivé en France en 2019 dans l’espoir d’y obtenir le statut de réfugié. Placé en procédure Dublin – selon le règlement européen qui prévoit qu’une personne ne peut déposer une demande d’asile que dans un seul pays –, il a perdu le droit à un hébergement et à une allocation de subsistance.Contraint d’attendre dix-huit mois avant de pouvoir faire examiner sa demande de protection internationale par la France, il s’est rendu en Allemagne, a été renvoyé en Autriche, et menacé, encore, d’expulsion dans son pays… pour finalement échouer aux portes de Paris, à Saint-Denis.Son ami Omar Khan, 27 ans, a suivi peu ou prou le même itinéraire que lui. Les deux hommes ont partagé un appartement en Autriche. « Je travaillais comme cuisinier dans un restaurant autrichien », affirme Omar Khan, en égrainant des noms de plats typiques en allemand. « En France, je suis zéro », lâche-t-il, dépité. « On est tous jeunes, on a besoin d’étudier et de travailler », insiste Besmellah Dawlatzai. Tous demandent : « Quand est-ce que la police va venir ? »
    Qu’ils soient demandeurs d’asile, « dublinés », déboutés ou réfugiés, ils espèrent une mise à l’abri. D’après nos informations, celle-ci est repoussée, faute de places en nombre suffisant dans le dispositif national d’accueil (DNA), consacré aux demandeurs d’asile.Sollicitée, la préfecture de Saint-Denis n’a pas donné suite. « Le retard pris depuis des mois pour faire sortir les réfugiés du DNA vers le logement limite le nombre de places offertes aux demandeurs d’asile », justifie Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. L’hébergement d’urgence classique est lui aussi saturé. Et les campements se reconstituent, inexorablement.

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