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  • Policiers floutés, citoyens floués | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/france/111120/policiers-floutes-citoyens-floues?onglet=full

    L’homme est à terre, on sait désormais qu’il répète qu’il ne peut plus respirer, un groupe de policiers le maintient au sol, « je ne peux pas respirer » encore, la clé d’étranglement, les jambes de Cédric Chouviat qui convulsent, et de leur voiture, des témoins filment, et les coups, et l’embouteillage, et l’asphyxie qui vient, ce 3 janvier 2020, au pied de la tour Eiffel.

    Comme Darnella Frazier, lors de l’agonie de George Floyd à Minneapolis, ces vidéastes sont en train de changer le monde, parce qu’ils ont peur, qu’ils ont (encore) le droit de filmer, et qu’ils en prennent le courage, parce qu’ils font comme tout le monde, désormais : ils ont dégainé l’arme des désarmés, leur téléphone portable, tels des Juvénal dans ses Satires : Quis custodiet ipsos custodes ? « Mais qui gardera ces gardiens ? » Qui surveillera les surveillants ?

    Sitôt diffusées, les images de Cédric Chouviat vont contrecarrer la fable du « malaise cardiaque » vendue un week-end durant par l’autorité et une partie de la presse (voir l’article de Pascale Pascariello) — qu’en aurait-il été sans les .mov, sans Twitter ? Qu’aurait-on su de la mort de Cédric Chouviat ?

    Retrouvez le témoignage vidéo de Sofia Chouviat

    Dans une précipitation éloquente, avec la loi dite de sécurité globale, le gouvernement tente dix mois plus tard, au mieux, de dé-réaliser les violences policières filmées (« Je remercie les députés de mettre en place le floutage » des forces de l’ordre, Gérald Darmanin) ; au pire, de les renvoyer aux oubliettes des affaires classées (« Nous voulons que les agents ne soient plus identifiables du grand public », Jean-Michel Fauvergue, porteur de ladite loi, lors de son examen en commission des lois, jeudi dernier). Dans tous les cas, de frapper leur diffusion de censure soft, mais de censure tout de même.

    Éloquente, l’urgence à légiférer dit la nervosité, voire la panique, d’une hiérarchie policière et politique devant une prétendue « tyrannie des images volées (…) et jetées en pâture sur les réseaux sociaux » selon Christophe Castaner, le 26 juin 2020, à l’École nationale de la police, à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Un peu partout dans les démocraties, ce sont bien en effet les mêmes automatismes qui sont à l’œuvre, un même mouvement de fond : non pas la tyrannie, mais l’inverse, le contrôle de police de... la police. Outre-Atlantique, une logique de « police accountability » (qui, de ses coups, doit rendre des comptes, et l’on dit d’ailleurs que l’ampleur du mouvement BlackLivesMatter a pesé sur l’élection de Biden) ; et sur nos rives, un paragraphe au détour de 1789 :

    Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen

    « Art. 12. — La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. »

    Tout est écrit là, en huit lettres : publique. En dernier ressort, ce qui pourrait distinguer la police d’une milice, c’est bien ce marbre — auquel la République revient sans cesse —, ce sont bien ces huit lettres : son caractère public, par et pour le peuple, ni contre ni sans lui. Dit autrement : la République, si elle souhaite être perçue comme chose publique, se doit impérativement d’être exemplaire — donc : de se plier au contrôle.

    C’est dans ce contexte que la proposition de loi dite de sécurité globale intervient. Il suffit d’avoir suivi les débats de la semaine dernière pour s’en assurer : l’article 24 crie avant tout haro sur les réseaux sociaux. Jean-Michel Fauvergue l’assure : « Pas d’inquiétude, les journalistes pourront toujours faire leur travail. Nous ne voulons sanctionner que les attitudes malveillantes. » Sans en dire plus, ni sur la teneur exacte des prétendues « malveillances », ni sur qui déterminerait (et quand) les « attitudes », et en passant sous silence que le Code pénal prévoit déjà toutes les sanctions possibles, et légitimes, en cas de menaces physiques ou psychiques : insultes, coups, menaces de mort, provocation à la commission de crime, diffamation et cyber-harcèlement compris.

    Comme un aveu, le député ajouta tout de même : « Il y a une différence entre les [reportages] télé » et les boucles des réseaux sociaux. Comprendre qu’il pourrait toujours y avoir des accommodements avec les professionnels de la profession (« dignes de ce nom », selon le député LREM Stéphane Mazars, qui charge les « activistes » d’Internet). Et tel un retournement de Juvénal, Alice Thourot, autre députée à l’origine de la loi, verra sa formule « protéger ceux qui nous protègent » citée à plusieurs reprises lors des débats, comme autant d’incantations.

    La camérisation du monde est une « révolution », un « outil essentiel de transparence », un « changement radical » jusque dans les « méthodes de travail des rapporteurs de l’ONU », dixit Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies dans Un pays qui se tient sage [documentaire de l’auteur de cet article – ndlr]. La profusion des images sera leur poids. Leur empilement, leur sens. Leur globalité, leur valeur. Leur répétition, l’évidence d’une violence policière mécanique, répétée, systémique.

    C’est bien ce fol déluge qu’il s’agit de rendre flou, par la loi.

    #Violences_policières #Loi_sécurité_globale #Vidéo #Témoignage #Censure

  • Policiers floutés, citoyens floués | David Dufresne
    https://www.mediapart.fr/journal/france/111120/policiers-floutes-citoyens-floues?onglet=full

    Comment ne pas parler de censure ? Une loi écrite par la police pour la police vise à éviter que celle-ci ne perde la bataille de l’image et le monopole du récit. Empêcher le contrôle, la transparence, est le seul moyen qu’elle a trouvé pour tenter de conserver un peu de sa légitimité largement écornée. Source : Mediapart

  • Policiers floutés, citoyens floués | David Dufresne
    https://www.mediapart.fr/journal/france/111120/policiers-floutes-citoyens-floues

    Comment ne pas parler de censure ? Une loi écrite par la police pour la police vise à éviter que celle-ci ne perde la bataille de l’image et le monopole du récit. Empêcher le contrôle, la transparence, est le seul moyen qu’elle a trouvé pour tenter de conserver un peu de sa légitimité largement écornée. Source : Mediapart