• L’œil et la main de Darmanin (14 septembre 2020)

    https://www.la-srf.fr/article/l%C5%93il-et-la-main-de-darmanin-2

    La SRF tient à réagir à la déclaration du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, d’exiger aux télévisions et aux réseaux sociaux de flouter les « images montrant les visages » des policiers en opérations. La raison avancée serait de protéger les policiers d’éventuelles représailles. En cela, Gérald Darmanin est le continuateur d’une logique instaurée depuis les attentats de 2015 et qui consiste à sacrifier toujours plus la liberté sur l’autel de la sécurité.

    Mais derrière cette raison publique, difficile de ne pas débusquer une raison cachée : faire disparaître dans un grand trou noir les violences policières. Ces dernières, longtemps invisibilisées par l’absence de preuve malgré les témoignages des victimes, ont explosé devant les yeux du grand public grâce à la force des images filmées par des citoyens et diffusées sur les réseaux sociaux.

    « Et qui nous protège de vous ? » Alors que la célèbre formule de La Haine s’est répandue dans les consciences de tout un pays, des quartiers populaires aux régions des Gilets Jaunes en passant par les exilés du Calaisis, de la région parisienne, de la Roya et d’ailleurs, Gérald Darmanin n’hésite pas à sous-entendre, dans un retournement spectaculaire des responsabilités, que c’est à la police de se protéger d’une population regardée uniquement comme menaçante.

    Si Gérald Darmanin ne l’a pas précisé, on se rappelle que la proposition de loi d’Eric Ciotti prévoyait 15 000 euros d’amende et un an d’emprisonnement pour les contrevenants, transformant ainsi en criminels ceux qui filment pour se protéger.

    En janvier dernier Emmanuel Macron avait déclaré ne pas vouloir utiliser le terme de violence policière, considérant que la violence était « d’abord dans la société ». Après le langage, c’est donc au tour de l’image d’être attaquée au plus haut sommet de l’État, d’être restreinte, en partie effacée, et avec elle tout un pan de la réalité. La disparition de l’expression « violences policières » ne suffisant visiblement pas, il faudrait encore en anonymiser les auteurs. Car dans cette proposition de floutage, il y a autre chose qu’un simple déni de la réalité : parce que l’image peut valoir pour preuve en justice, son floutage est le commencement de l’impunité. Dans le cas de violences, flouter le visage des policiers, reviendrait alors moins à les protéger qu’à les couvrir.

    Si une telle mesure était adoptée, non seulement il deviendrait impossible de filmer ou montrer des images de manifestations, mais combien d’oeuvres représentant les forces de l’ordre devraient alors être amputées ? Jusqu’où iront les ciseaux du ministère de l’Intérieur ? Car dès lors que nous laissons ce dernier décider à la place de la société civile de ce qui est montrable et de ce qui ne l’est pas, c’est de censure dont on parle. En tant que cinéastes et filmeurs nous déplorons radicalement ce projet de restriction de la liberté d’expression et d’information. La loi sur le droit à l’image avait pris le soin de le préciser : filmer les forces de l’ordre dans l’exercice de leur fonction relève de la liberté d’information et celle-ci « prime sur le droit au respect de l’image et de la vie privée ».

    Alors que le mouvement Black Lives Matter déferle encore sur tout l’Occident, et avec lui une demande d’apaisement des relations entre la police et les citoyens, Gérald Darmanin n’a pas autre chose à proposer qu’un blanc-seing à l’impunité policière. Du matricule RIO que les policiers ont progressivement fait disparaître de leur uniforme au port banalisé de la cagoule, d’ordinaire réservée aux équipes d’interventions spéciales, ce floutage viendrait parachever l’installation d’un état d’exception permanent pour une police qui assumerait alors tous les atours d’une milice sans loi et sans garde-fou.

    Nous rappelons au ministre de l’Intérieur que la police n’est pas un corps secret mais un service public qui doit pouvoir rendre des comptes aux citoyens, qu’il a pour mission première de protéger et de servir. Par-dessus tout, nous demandons au ministre de l’Intérieur de ne plus mettre son oeil et sa main dans nos images, et de laisser nos libertés fondamentales en paix.

    • « Police partout, images nulle part » Par la Société des réalisateurs de films (SRF), des cinéastes, organisations et collectifs — 11 novembre 2020 à 20:56 (mis à jour à 22:14)

      https://www.liberation.fr/france/2020/11/11/police-partout-images-nulle-part_1805319

      Face à la proposition de loi, de nombreux cinéastes revendiquent le droit des citoyens d’opposer leurs images à celles de l’Etat.

      Le 14 septembre, les cinéastes de la Société des réalisateurs de films, à travers un texte intitulé « l’Œil et la main de Darmanin », dénonçaient la volonté du ministre de l’Intérieur d’exiger que les médias et les réseaux sociaux floutent les visages des policiers en opération. Cette volonté s’est transformée en une proposition de loi au titre glaçant : « Sécurité globale. » Passée en commission des lois la semaine dernière, elle sera débattue à l’Assemblée le 17 novembre. En trois articles (21, 22, 24), le gouvernement se propose de déréguler l’utilisation des caméras mobiles portées par les forces de l’ordre, de permettre la reconnaissance faciale en temps réel, d’étendre la surveillance par drone, d’interdire au public de diffuser l’image de policiers. Cette loi, dont le rédacteur principal est l’ancien chef du Raid, préfigure une société gouvernée par la peur où les citoyen·ne·s, privé·e·s du droit de porter un regard sur les agissements de la police, verraient en retour leurs corps exposés sans limite à la surveillance des forces de l’ordre. Elle dessine un paysage asymétrique, sorte de panoptique géant, où nos libertés fondamentales sont gravement menacées, en premier lieu le droit à la vie privée et la liberté d’information.

      Après avoir progressivement entravé les manifestations de rue et grièvement blessé ou mutilé des dizaines de personnes, il s’agit désormais de systématiser l’identification, la surveillance, le fichage des individus souhaitant exercer ce droit fondamental. Après avoir nié et invariablement refusé de sanctionner les violences policières, il s’agit d’en effacer toute preuve, dans la mesure où seules les images tournées par des filmeurs anonymes permettent aujourd’hui d’en témoigner. Pour nombre de cinéastes, cette loi constituerait une censure pure et simple. Un film tel que le récent Un pays qui se tient sage de David Dufresne ne pourrait voir le jour, la majorité des sources d’images qu’il utilise tombant sous le coup de la loi. A l’hégémonie grandissante des images du pouvoir, les cinéastes, les photographes, les journalistes, ainsi que tou·te·s les habitant·e·s de ce pays doivent être en mesure d’opposer leurs propres images. Rappelons que l’Etat de droit tire avant tout sa légitimité du droit de porter un regard sur ce que fait l’Etat.

      Mesdames et messieurs les député·e·s, nous ne voulons pas d’un monde de surveillance généralisée, régi par un œil tout puissant sur lequel aucun regard ne pourrait se porter. Ne votez pas pour une loi qui rendrait les contre-pouvoirs aveugles, ils sont les garants de notre démocratie.

      Tribune initiée par la Société des réalisateurs de films (SRF), soutenue par 40 organisations et collectifs et signée par plus de 800 cinéastes et professionnel·le·s du cinéma et de l’image.