« Joe Biden ne trahira pas les alliés des États-Unis »

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  • « Joe Biden ne trahira pas les alliés des États-Unis »
    Par Armin Arefi - Publié le 13/11/2020 - Le Point
    https://www.lepoint.fr/monde/joe-biden-ne-trahira-pas-les-allies-des-etats-unis-13-11-2020-2400909_24.php
    ENTRETIEN. Ancien haut conseiller de Barack Obama, Robert Malley dresse les priorités diplomatiques du futur président américain au Moyen-Orient.

    (...) Nous aurons de toute manière une politique étrangère dominée par des anciens de l’administration Obama

    Robert Malley : Vous savez, cela ne veut pas dire grand-chose. Les membres de l’administration de Barack Obama n’avaient pas un seul point de vue politique figé, qui plus est en diplomatie. Les avis étaient très contrastés. Le fait que beaucoup de conseillers de Joe Biden aient été en poste sous Barack Obama n’est donc pas, à mon sens, une indication des intentions du président élu. Joe Biden, lui-même, n’est pas facile à caser en matière de politique étrangère. Sur le Moyen-Orient, il était, par exemple, contre la première guerre du Golfe, et pour la seconde. Il était favorable à la guerre des Balkans, mais opposé à l’intervention en Libye. Ce que je peux dire, c’est qu’il n’a pas la main sur la gâchette. Il ne va pas tout de suite privilégier l’option militaire. Joe Biden est quelqu’un de très réaliste et de pragmatique. Il ne partage pas l’optimisme et la vision ambitieuse de Barack Obama à ses débuts. Obama avait déchanté avec le temps. Biden commence là où son prédécesseur a terminé. Dans ce sens-là, sa politique ressemblera plus à celle du second mandat d’Obama.

    Il a tout de même annoncé qu’il réintégrerait l’accord sur le nucléaire iranien

    Là-dessus, les intentions du président élu sont claires. Comme l’a déjà dit Tony Blinken, ainsi que l’ensemble de la plateforme démocrate, Joe Biden a l’intention de rejoindre l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) à condition que l’Iran se remette en conformité avec ce texte. L’Iran dit la même chose, à savoir que Téhéran est prêt à revenir dans le cadre du JCPOA si les États-Unis font de même. Les deux parties y ont intérêt. La République islamique souhaite une accalmie sur le plan économique, et l’administration Biden ne veut pas de nouvelle crise avec l’Iran. A priori, les lois de la pesanteur politique font que les deux pays se dirigeront probablement dans la même direction sur ce point.

    Il existe tout de même beaucoup d’obstacles…

    Oui, il y a des vents contraires. Tout d’abord, l’Iran réclame des compensations financières, car il n’a pas bénéficié de la levée des sanctions sur le plan économique. Or, je vois mal l’administration Biden accepter cela. Ensuite, il existe des approches différentes sur la séquence des retours américain et iranien dans le cadre de l’accord sur le nucléaire et il va falloir les concilier. Par ailleurs, l’administration Trump a construit un mur de sanctions contre l’Iran, et continue de le faire en ce moment alors qu’elle est sur le départ. Certes, le président élu peut les annuler, mais ces mesures visent à rendre difficile politiquement un retour américain dans le JCPOA. Côté iranien, les prochaines élections présidentielles risquent de rendre la scène politique intérieure plus divisée et moins susceptible d’accepter un compromis. Enfin, l’expérience Trump prouve aux Iraniens que les engagements d’un président peuvent être facilement effacés par un autre, d’où un manque de confiance. Mais malgré toutes ces difficultés, il me semble que chaque camp a davantage à gagner à retourner dans le JCPOA, que l’inverse. Il n’existe pas en fait de véritable alternative satisfaisante.
    (...)
    Une détente avec l’Iran ne risque-t-elle pas de fâcher les alliés des États-Unis au Moyen-Orient, Israël, Arabie saoudite et Émirats en tête ?

    Le point principal sera donc de transformer le contexte régional afin que soit noué un dialogue entre l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. C’est une condition importante pour que la relation entre Téhéran et Washington puisse passer à un niveau supérieur.

    Justement, Joe Biden a eu des propos très durs vis-à-vis de l’Arabie saoudite et de son prince héritier Mohammed ben Salmane durant la campagne présidentielle. La relation américano-saoudienne pourrait-elle en pâtir ?

    Il est tout d’abord nécessaire de rappeler que l’Arabie saoudite fait souvent figure de punching-ball durant les campagnes présidentielles américaines depuis le 11 septembre 2001. C’est une cible assez facile, pour des motifs parfois légitimes, parfois moins. Ainsi, les propos du président élu décrivant l’Arabie saoudite comme un « État paria » vont très certainement au-delà de ce que sera réellement la relation entre Joe Biden et Riyad. Maintenant, il y aura un changement par rapport aux quatre dernières années, durant lesquelles Donald Trump a soutenu la politique agressive de l’Arabie saoudite contre l’Iran et a affiché une grande complaisance vis-à-vis des violations des droits de l’homme commises par Riyad. Ce « chèque en blanc » américain a donné des ailes aux dirigeants saoudiens au Yémen, au Liban et face au Qatar, qui y ont mené des politiques allant à l’encontre des intérêts américains dans la région.
    (...)
    L’autre allié américain à avoir grandement bénéficié du mandat de Donald Trump est Israël. Joe Biden se montrera-t-il plus critique vis-à-vis de Tel-Aviv que le président républicain ?

    Il y aura quelques grands changements, tels l’abandon du plan de paix de Trump, une attitude plus dure envers les colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie, la reprise des relations avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), et le retour de l’aide économique aux Palestiniens, comme cela a déjà été exprimé par l’équipe du président élu. Mais je doute qu’il y ait de gros bouleversements. Il est important de savoir que Joe Biden ne fonde pas de grands espoirs sur le dossier du Proche-Orient. Il ne voit pas la résolution du conflit israélo-palestinien comme étant probable, et ne voudra probablement pas y consacrer les efforts prioritaires des États-Unis. (...)