Vin naturel : dynamique ou produit fini ?

/Vin-naturel-dynamique-ou-produit

  • Je reproduis ci-dessous la présentation par son auteur vigneron Mathieu Léonard, ami que vous connaissez peut-être comme auteur d’un excellent livre sur la première Internationale (La Fabrique), de son vin Potlatch, cuvée 2019. J’ai rarement bu un vin aussi goûteux. Idéal pour se consoler en fêtes clandestines du confinement à (re)venir, pour célébrer toute l’année prochaine l’anniversaire de la Commune, et pour boire à l’indépendance du monde !

    https://lignesdeforce.wordpress.com/2020/10/25/potlatch-un-excellent-vin-pour-boire-a-lindependance-du-mon

    Potlatch est donc un vin rouge issu de raisins cultivés sans recours aux produits chimiques de synthèse et récoltés à la main. Un vin « tout raisin » élaboré dans la rusticité, sans intrants, sans technologies œnologiques, sans sulfites ajoutés ni levures artificielles, sans filtrage, sans machine à la cave – le fouloir, le pressoir, la pompe à piston, la boucheuse sont manuels –… et sans autre mystère que celui de l’alchimie du vin.

    Issu de terroirs côtes-du-Rhône Villages, l’assemblage est 60 % grenache, 20 % carignan, 15 % syrah et 5 % mourvèdre. Sa robe est de couleur pourpre profond. Ample et long en bouche, il libérera des arômes intenses de fruits rouge et noir, avec une note cerise confite.

    Il chiffre à 15 % vol. C’est donc un aliment tannique et puissant mais parfaitement digeste. Garde : 5 à 8 ans. J’ai établi son prix public de lancement à 12 euros.

    Ah oui au fait, pourquoi « Potlatch » ? Sans doute en référence à de vieilles lectures ethnographiques et au bulletin éponyme de l’Internationale lettriste. Le potlatch en soi fait référence à une cérémonie chez les Indiens de l’Ouest de l’Amérique du Nord reposant sur le don ostentatoire et la destruction de richesse. Cette fête était aussi un rituel de défi entre chefs indiens – la prodigalité des uns obligeant les autres à une surenchère. Peu de temps après m’être arrêté sur ce choix de nom, je lisais dans l’ouvrage de Christelle Pineau, La Corne de vache et le microscope (La Découverte, 2019) que l’esprit du don qui prévaut dans le milieu des vins nature – et que j’ai rencontré chez Jean-Claude Leyraud – « exclut toute notion de potlatch [car] la dimension d’honneur et de supériorité n’intervient pas dans ce type d’échange qui reste amical et égalitaire. » Caramba, c’est pas faux, néanmoins j’ai souhaité garder ce nom parce qu’il sonne bien et qu’il ouvre à d’autres discussions – ce qui me semble un des objectifs du boire-ensemble.

    Sa signification n’est donc pas à prendre au cep…euh, au pied de la lettre. J’espère juste que ce vin saura accompagner de belles fêtes comme des moments intimes ou tout simplement de convivialité tout aussi mémorables.

    #Vin #Vin_naturel #viticulture

    • Vin naturel : dynamique ou produit fini ?
      https://cqfd-journal.org/Vin-naturel-dynamique-ou-produit

      Le vin dit « naturel » est né dans la mouvance de l’agriculture biologique. Alors que beaucoup se contentaient d’un vin issu de raisins cultivés en agriculture biologique, certains ont fait remarquer que le vin bio, malgré le travail honorable effectué sur la vigne, ne tranchait pas vraiment avec ce qu’était devenu le vin à l’heure industrielle : un produit édulcoré, dénaturé par l’ajout d’antioxydants, de levures artificielles, d’exhausteurs d’arôme, de correcteurs d’acidité… en bref, un produit mort. Il fallait donc étendre l’exigence de respect des processus naturels à la vinification, l’élevage et la mise en bouteille, afin d’obtenir un produit vraiment « naturel », « vivant ».

    • « Le vin nature est une goutte de vin dans un océan de produits œnotechniques »
      https://cqfd-journal.org/Le-vin-nature-est-une-goutte-de

      Dans Dionysos sacrifié, vous dénonciez une standardisation commerciale du goût. Vous parliez des crus de Pauillac, de Chinon, de Châteauneuf-du-Pape ou de Californie « qui tendent vers une même et monocorde architecture à laquelle les conduit l’œnologie moderne. »

      L’architecture désigne ce que je nomme aussi la « forme », c’est-à-dire l’ensemble des sensations tactiles procurées en bouche, mais ça ne concerne pas les parfums. J’ai voulu montrer à l’époque que les standards esthétiques de l’œnologie moderne faisaient que les vins devaient avoir une forme unique, la plus confortable, la plus voluptueuse, la plus flatteuse possible, à l’intérieur de laquelle on pouvait se livrer à de nombreuses extravagances aromatiques, dues à toute une pharmacopée de levures sélectionnées pour développer de manière intensive tel ou tel parfum. Cette façon dont le commerce des levures chimiques s’est développé constitue presque une aromatisation occulte, au détriment des levures naturelles qu’on trouve sur la vigne et dans la cave, pour peu que les traitements chimiques ne les aient pas bousillées.

      Tout cela s’inscrit bien sûr dans la logique de l’agro-alimentaire durant la seconde moitié du XXe siècle, qui travaille sur une matière naturelle de plus en plus pauvre et dégradée et sur laquelle se rajoute une cuisine chimique pour compenser. Pour reprendre l’exemple de la Bourgogne, c’est dans les années 1960 que sont arrivés les premiers pesticides pour soigner les maladies de la vigne, associés à des engrais potassiques, présentés d’abord comme des miracles mais qui n’ont fait à moyen terme que des désastres, ce qui a modifié radicalement la culture des vignes. Dans un premier temps, le travail en cave est resté très traditionnel alors que la matière première avait beaucoup changé, du coup il est arrivé pleins d’accidents en cave et il a bien fallu faire appel aux médecins œnologues, aux « vétérinaires des barriques et des foudres », pour soigner ces vins attaqués par des dérives bactériennes ou autre et qui s’en trouvent imbuvables.