• Un témoignage en live sur la réouverture des #librairies.
    https://twitter.com/jean__michelin/status/1332599677242519552

    Je suis passé devant la librairie de mon quartier juste avant l’ouverture. Une foule immense. Une vieille dame, venue à pied d’Ambert, émue aux larmes. Des familles campent depuis trois jours autour de braseros. Les gens se racontent les romans d’Alexandre Jardin pour patienter.

    Au lever de rideau, bousculade. Un monsieur qui voulait accéder au rayon papeterie est molesté. Il part tête basse, sous les lazzis. Un murmure se répand dans la file d’attente : il parait que les Goncourt sont rationnés

    Un hurluberlu en haillons prétend être Michel Houellebecq. Il fume avec des gestes maniérés et sent assez fort, mais hormis quelques journalistes de chaînes d’info désœuvrés, il n’intéresse pas grand monde.

    Dans le magasin, c’est la panique. Scènes d’empoignade autour d’un présentoir à nouveauté. Pour calmer la foule, le patron donne l’ordre de déstocker les Nothomb de l’année dernière.

    On se retrouve dans quelques heures pour faire le point sur vos conditions de lecture, Jean-Paul.

    Pour faire face à l’affluence historique, la librairie a décidé d’attribuer trois livres au hasard à chaque client.
    A la sortie, le troc fait rage. Un chroniqueur du Masque essaie en vain de refourguer son autobiographie de Youri Djorkaeff. « Même contre un Marc Lévy », dit-il.

    Les habitués du marché noir font leur beurre sous l’œil indifférent de la police.
    Une dame se plaint que les pages de son Julien Gracq n’ont pas été découpées. Un vieux monsieur baisse son masque pour lui murmurer que c’est normal.

    Finalement, un farceur qui vendait à prix d’or des bottins du Puy de Dôme Edition 1994 est interpellé par la police. Il est exfiltré juste à temps pour éviter d’être lynché par la foule.

    Les réseaux sociaux amplifient le mouvement. « Il paraît qu’ils ont reçu des mémoires d’Obama ». Déception devant les étals déjà vides.
    Les gens se relaient dans la file d’attente pour lutter contre le froid.

    Une dame qui a dû s’absenter un instant pour téléphoner a vu la foule se refermer devant elle. Plus aucun des gens avec qui elle a attendu toute la nuit ne semble la reconnaître et personne ne lui laisse reprendre sa place. Elle pleure, un marque page dans les mains.

    On voit aussi de belles scènes d’humanité. Ce vieil homme fatigué qui donne son Harry Potter à un gamin aux yeux immenses et aux joues creuses. Il repart avec le journal de la veille.

    La situation se stabilise depuis quelques instants. Une équipe de volontaires, mouchoir bleu noué autour du bras, organise la file d’attente. Des anciens d’Eurodisney, disent-ils. Une roulante arrive avec de la soupe aux poireaux.

    Un original dans la file d’attente s’essaie à la lecture de Proust à voix haute. Il est arrêté par un voisin un quart d’heure plus tard, avant d’avoir achevé le premier paragraphe.