Condamner la violence... des autres, un impératif bourgeois

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    Mais, ce qu’il s’agit de condamner, c’est la violence du dominé, celle qui s’exprime en réaction face à celle subie de la part des dominants sur laquelle les journalistes n’ont généralement que peu de questions à poser, puisque celle-ci est perçue comme légitime et est généralement invisibilisée par les médias eux-mêmes. Ces violences véritables, ce sont aussi, par exemple, celles que subissent les “premières de corvées” en Seine-Saint-Denis lorsqu’elles sont envoyées au front pendant la période de confinement, mais également les 10 000 à 14 000 morts par an imputables au chômage, chaque année…

    Dès que les classes laborieuses sortent de l’image pittoresque que les bourgeois se font d’elles, comme les Gilets jaunes au tout début du mouvement, relativement bien traités médiatiquement, pour se mettre à contester l’ordre social et ses injustices par des actions et des mises en scène symboliques sur des biens matériels, il convient alors de condamner leurs violences.

    Mais qu’en est-il des violences d’État contre les personnes ? Faut-il également les « condamner » ? De Steve Maia Caniço, porté disparu puis retrouvé mort après une charge policière dans la nuit du 21 juin 2019 lors de la fête de la musique en 2019, à Zineb Redouane en 2019, tuée de chez elle par une balle de LBD, auxquels il faut ajouter les vingt-quatre éborgnés et les cinq mains arrachées durant le mouvement des Gilets jaunes, sans parler des morts dans les banlieues françaises… La pudeur du monde médiatique après la mort d’Adama Traoré, dans des circonstances analogues à celle de George Floyd aux États-Unis, a été particulièrement symptomatique du déni politico-médiatique sur la question. On ne compte plus les crimes policiers d’État, chaque année, que la question à usage unique : « Est-ce que vous condamnez les violences ? » invisibilise. Les méthodes policières utilisées dans les cités et héritées de la police coloniale sont pourtant d’une extrême violence, pour ne pas dire parfois mortelles : clef d’étranglement ou pliage au sol par exemple, qui peuvent entraîner la perte de conscience, l’asphyxie ou le décès.

    Yves Lefebvre, secrétaire général d’UNP SGP Police-FO, sur LCI, n’a pu laisser échapper son émotion à la vue d’une main arrachée. Sa réaction, d’une poésie humaniste incomparable, s’exprime ainsi : « C’est bien fait pour sa gueule ! » Fermez les guillemets, fin de l’instant de grâce télévisée, ce 11 février 2019. Sur la chaîne CNews, l’ex-journaliste à Charlie hebdo Zineb El Rhazoui propose tout simplement que, lors d’altercations avec des groupes de jeunes, « la police tire à balles réelles ». Ségolène Royal déclare, au sujet des 151 lycéens interpellés de Mantes-la-Jolie, que « ça ne leur fera pas de mal ». Près d’un an et demi après les faits, en mai 2020, une juge d’instruction enquêtait, entre autres, sur des accusations de « torture par personne dépositaire de l’autorité publique » et « torture sur mineur de 15 ans »… Est-ce qu’on leur a demandé de condamner la violence de leurs propos qui appellent explicitement à l’utilisation de la force et à la violence physique d’État contre des citoyens français ?