La pathologisation de l’activisme radical

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  • La pathologisation de l’activisme radical, Vanessa Codaccioni | Cairn.info
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    Quelle n’est pas la surprise, pour la chercheuse familière des archives des institutions en charge de la répression des « ennemis intérieurs » (armée, préfecture de police, ministère de la Justice) sous la guerre froide et les conflits de décolonisation  de découvrir, au milieu des dossiers instruits et jugés par la Cour de sûreté de l’État, des rapports d’examens psychiatriques de membres de la Gauche prolétarienne, du Front de libération nationale corse (FLNC) ou d’Action directe.

    L’étonnement croît lorsqu’il apparaît clairement que ces examens psychiatriques, ou médico-psychologiques selon les cas, sont systématiquement demandés, par commissions rogatoires, par les juges d’instruction de cette juridiction d’exception créée en 1963 pour juger les membres de l’Organisation armée secrète (OAS) inculpés d’atteinte à la sûreté de l’État (Codaccioni 2015). Il se transforme même, on peut le dire, en une forme d’indignation face à ce qui apparaît clairement comme une pathologisation du militantisme et, plus généralement, du crime et de la criminalité politiques. Car, à la différence par exemple d’un rapport de police dont ils sont tout à la fois le pendant et le complément dans la division du travail de criminalisation de l’opposition, ces multiples retranscriptions d’entretiens réalisés au sein même des prisons nous font entrer dans le « for intérieur » des inculpés. La parole qui s’y donne à voir est ainsi très différente de celle recueillie lors d’interrogatoires policiers ou pendant les audiences, des événements clairement identifiables comme des expériences répressives et que les militants, s’ils le souhaitent, peuvent politiser ou tout au moins détourner à des fins politiques. Le sentiment d’avoir accès à « l’intimité » des militants est par ailleurs renforcé par ce que l’on apprend d’eux au fil des pages, tant sur leurs relations familiales et amicales, sur leur rapport à l’institution scolaire, au monde du travail, que sur leurs lectures, leurs goûts et dégoûts, parfois même sur leur vie sexuelle, appelée par l’une des expertes « vie génitale ».

    D’emblée, et pour qui travaille sur le militantisme radical ou l’activisme illégaliste, ces archives peuvent alors apparaître comme une source assez incroyable, inédite, à tout le moins nouvelle, qui permet d’obtenir des informations très rarement recueillies, et que les sociologues ou politistes ne cherchent d’ailleurs pas à obtenir, d’une part car certaines d’entre elles ne sont pas considérées comme explicatives de l’engagement par les sciences sociales, mais aussi car cela apparaîtrait dans le cadre d’un entretien comme « déplacé » ou intrusif. Il en va ainsi de toutes celles ayant trait à la petite enfance et ses possibles « traumatismes » (angoisses, cauchemars, terreurs nocturnes), aux maladies infantiles, aux sentiments éprouvés pour leurs parents ou leur famille, ou encore celles relatives à leur sexualité. (...)

    #psychiatrisation #ennemis_intérieurs #histoire