• Eglise : mais où sont les filles chez les enfants de chœur ?
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    Un siège sur trois, une rangée sur deux. En ce dimanche de messe dans les églises hexagonales, les curés vont expérimenter avec leurs fidèles le nouveau protocole sanitaire défini cette semaine par le gouvernement. A leurs côtés, pour les assister directement, notamment au moment de la consécration, des enfants de chœur masqués respectant les gestes barrière, une croix ou un cierge entre les mains. Parmi eux, une très grande majorité de garçons. Car dans beaucoup de paroisses encore, les filles n’approchent pas l’autel, chasse gardée masculine. La mixité, pourtant autorisée depuis un demi-siècle, peine à conquérir certaines nefs.

    Alors à l’heure où « l’invisibilité » des femmes dans l’Eglise est dénoncée par certaines voix catholiques, la faible proportion de servantes d’autel est montrée du doigt par les féministes ayant la foi. C’est le cas de la bibliste Anne Soupa qui a fait grand bruit au printemps dernier en candidatant au poste d’archevêque de Lyon. « Il y a eu un recul sur cette question. C’est l’exaltation du sexe masculin, le triomphe de la quéquette ! C’est plus que conservateur, c’est réactionnaire. Le problème est français. A Rome, par exemple, il y a des petites filles servantes », souligne la présidente du Comité de la jupe qui promeut « l’égalité des femmes et des hommes au sein de l’Eglise ».
    « La mixité n’est pas à mettre dans tous les lieux d’éducation »

    Mais pourquoi les demoiselles ne revêtent-elles pas l’aube, chaque dimanche, dans de nombreuses paroisses ? Selon certains clercs, être servant d’autel peut donner envie de devenir prêtre. « Traditionnellement, on estime que c’est une école de vocations sacerdotales », avance un ecclésiastique du nord-ouest de la capitale.

    Pour Bruno Lefevre Pontalis, aux commandes de la paroisse Saint François-Xavier située dans les beaux quartiers de Paris et qui n’accueille que des servants, la raison est « plutôt pastorale ». « Je me suis aperçu que lorsqu’il y a des enfants de chœur filles, les garçons s’en vont vers 14 ans. A cet âge-là, ils fonctionnent bien dans la non-mixité », observe ce curé, estimant que « la mixité n’est pas à mettre dans tous les lieux d’éducation ».

    A ses yeux, cette exclusivité masculine dans son église n’a « jamais » donné lieu à des remarques directes de la part de ses fidèles. « Quand ça marche bien, on hésite à changer les choses », confie-t-il. Sur le parvis du lieu de culte lors de la sortie d’une messe avant le reconfinement, les avis sont pourtant partagés. « Il n’y a pas de prêtres filles, donc pas d’enfants de chœur filles », argumente un préado. « C’est le rite, c’est normal », pense sa maman.

    Pour une autre fidèle, en revanche, « ça devrait changer ». « Les femmes dans l’église sont cantonnées à certaines tâches. Un jour, dans une autre paroisse, j’ai vu des servantes d’autel et j’étais très contente », s’enthousiasme-t-elle. Elle est convaincue que « si les prêtres décidaient de mélanger garçons et filles, ça passerait ici ». « C’est comme avec la communion. Les femmes la distribuent aujourd’hui mais il y a 15 ans, ça aurait choqué », poursuit son voisin.
    « Les femmes sont impures, elles ne touchent pas au sacré, voilà des conceptions tout sauf chrétiennes ! »

    Le père Bruno Lefevre Pontalis, qui s’appuie sur un vivier de 40 enfants de chœur garçons, ne projette pas dans l’immédiat d’expérimenter la mixité mais « réfléchit » à intégrer dans les offices des servantes d’assemblée. Une fonction réservée aux filles, différente de celle de servant d’autel, qui est apparue dans de nombreuses paroisses. Les servantes d’assemblée, qui portent une cape, accueillent à l’entrée les paroissiens, distribuent les feuilles de cantiques, procèdent à la quête, portent les offrandes jusqu’au pied de l’autel…
    En France, les petites filles ont plutôt des fonctions de servantes d’assemblée, portant cape et restant loin du chœur pendant la messe./Ciric/Corinne Simon
    En France, les petites filles ont plutôt des fonctions de servantes d’assemblée, portant cape et restant loin du chœur pendant la messe./Ciric/Corinne Simon

    Mais contrairement à leurs camarades masculins, elles ne sont guère ou pas du tout présentes dans le chœur et restent éloignées des prêtres au cours de la messe. Ce qui fait bondir la théologienne Anne Soupa. « C’est une différenciation des tâches extrêmement inégalitaire. La sacralité autour de l’Eucharistie demeure une affaire masculine. Les femmes, elles, sont impures, elles ne touchent pas au sacré, voilà des conceptions tout sauf chrétiennes ! » s’indigne-t-elle. Aux membres du clergé qui refusent d’entendre parler de servantes d’autel et redoutent la mixité, elle suggère une solution : « Une messe, les filles montent à l’autel et la suivante, c’est au tour des garçons… »
    « Un sujet que nous devons travailler »

    Responsable du département des servants d’autel à la Conférence des évêques de France (CEF), le père Laurent Jullien de Pommerol ne veut prendre parti ni pour la mixité des enfants de chœur, ni pour la non-mixité, ni pour la différenciation des fonctions, même si cette dernière a, depuis quelques années, « amené une certaine paix ». « La question, c’est : Qu’est-ce qu’on peut proposer aux filles pour qu’elles ne soient pas exclues ? On est encore au milieu du gué. Il y a une vraie éducation humaine et spirituelle à faire pour que chacun ait sa juste place », martèle-t-il. « C’est un sujet que nous devons travailler. Je ne sais pas pourquoi il est aussi crispé en France. C’est une question fortement débattue, qui n’est pas paisible. En Allemagne par exemple où il y a une mixité totale, ce n’est pas un débat », observe celui qui est aussi curé de la Croix-Rousse à Lyon (Rhône).

    S’il existe « une grande disparité » des situations dans notre pays, c’est, en partie, parce que la hiérarchie de l’Eglise de France ne s’est pas clairement positionnée sur ce thème très sensible. « Il n’y a pas de documentation, pas d’orientations publiées par les évêques », souligne-t-il. Il reconnaît que « théologiquement et d’un point de vue scripturaire (NDLR : d’après les Ecritures), il est difficile de justifier l’absence des filles en tant que servante ». Pour autant, l’avenir ne semble pas s’orienter vers un partage égal des tâches, lui qui a constaté ces derniers temps dans des paroisses confiées à des « jeunes prêtres » peu de groupes d’enfants de chœur « complètement mixtes ».
    Autorisées à servir la messe depuis un demi-siècle

    Il a fallu attendre la fin des années 1960, dans la foulée du concile Vatican II ayant ouvert l’Eglise au « monde moderne » pour que les filles soient autorisées enfiler l’aube d’enfant de chœur, à l’autel, aux côtés des prêtres. Cela s’inscrivait dans un mouvement plus large d’accès à la liturgie des laïcs, au titre, notamment, de leur baptême. L’instruction romaine Redemptionis sacramentum de 2004, sous l’autorité du pape Jean-Paul II, a rappelé que « les filles ou les femmes peuvent être admises à ce service de l’autel, au jugement de l’évêque diocésain. »En pratique, le choix se fait en fonction des habitudes et de la mentalité de la paroisse, conformément aux vœux de son curé. En 2011, le Vatican avait donné l’exemple en matière de mixité en permettant à des filles de servir une messe présidée par le pape Benoît XVI en voyage en Allemagne.

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