• Une société urbaine, mais dans un grand pays rural ? N’est-ce pas le résumé d’un certain malaise des représentations qu’ont les contemporains des territoires qu’ils habitent, voire d’une bataille entre ceux qui se proposent de les représenter ? Tous urbains versus tous ruraux : laquelle de ces deux images est la bonne ? Les deux à la fois, mais alors qu’est-ce qui doit nous gouverner, et dans quel cadre admis par tous ?

      Voilà près de soixante ans que des géographes, des sociologues, des économistes, des démographes, et beaucoup d’autres analystes et experts avec eux, tentent d’expliquer que la société française, comme toutes les sociétés contemporaines, ne rentre plus dans les cases définies au cours du XIXe siècle et politiquement investies avec toute la vigueur que l’on sait : urbains versus ruraux, dos à dos, avec un parlement qui représente d’une part les populations (l’Assemblée nationale), d’autre part les territoires (le Sénat). Une opposition dont on peut mesurer toute l’étendue des dégâts sur la démocratie, jour après jour à l’occasion des élections américaines[2].

      Il y a de quoi douter de l’utilité des rappels qui suivent : de larges fractions des territoires et de leur population (environ les 2/5es des communes, un peu plus du tiers de la population de la France) ne sont plus ni tout à fait urbaines, ni tout à fait rurales, mais une sorte de mixte qu’on a pris l’habitude peu heureuse de qualifier de périurbaines depuis les années 1970. Il s’y combine (s’y hybride ?) des modes de vie urbain et des contextes campagnards, sinon à proprement parler ruraux. Par ailleurs, les Français ne se cantonnent plus à la ruralité, ou la grande ville, ou à tout autre lieu de leur naissance, mais habitent successivement villes et campagnes, au fil de trajectoires résidentielles plus ou moins choisies, selon les moyens, certes inégaux, de chacun. Ils ont, globalement, la chance de vivre dans un pays dont les écarts de densité vont de moins de 10 (nombreux cantons de montagne) à plus de 40 000 habitants au km2 (Paris 11e) et ils ne se privent pas de déployer, dès qu’ils le peuvent et tout au long de leur vie, une sorte de « stratégie de la densité ». Celle-ci consiste à rechercher l’environnement du quotidien qui correspond le mieux à leurs besoins et attentes, selon le moment de leur vie et les besoins du ménage. L’année des confinements l’a confirmé. Ce sont ces systèmes de territoires combinant l’urbain et le rural qu’il s’agit de gouverner.

      #territoire