À propos du livre blanc de l’INRIA sur le numérique éducatif – Miscellanea numerica

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  • À propos du livre blanc de l’INRIA sur le numérique éducatif – Miscellanea numerica
    https://www.joffredolebrun.fr/wp/a-propos-du-livre-blanc-de-linria-sur-le-numerique-educatif

    Morceaux choisis et commentés

    Note : Je suis totalement en phase avec tout ce qui est exprimé dans cet article.

    L’utilisation régulière des expressions « transformation éducative », ou de »mutation technologique » témoigne d’une nécessité et d’une inéluctabilité supposées de ces transformations, facilitées et accompagnées par le numérique, ce qui tend à redéfinir son rôle de soutien de l’enseignement et des apprentissages en injonction au changement. J’utilise ces termes avec beaucoup de prudence et de réserve : si par exemple la transition écologique apparaît aujourd’hui comme une nécessité, étayée par des études scientifiques dont les résultats sont sans ambiguïté, et nous oblige donc à des transformations et des changements radicaux dans nos habitudes de vie occidentales, je ne pense pas qu’il existe de nécessité absolue à engager une transformation éducative à tout prix

    Tout à fait d’accord avec le fait qu’on a un peu tendance à tout vouloir « transformer », sans expliquer pourquoi et dans quel but. C’est problématique. Et c’est surtout problématique de vouloir transformer « par » ou « avec » le numérique alors que le sujet de départ est l’éducation, la pédagogique, l’humain. Et pas la technologie.

    Les champs scientifiques convoqués à l’appui de cette « transformation éducative » sont donc essentiellement les neurosciences cognitives et l’intelligence artificielle, ce qui est à la fois attendu (dans un document produit par l’INRIA) et réducteur : nous avons besoin des apports des autres sciences sociales, des sciences de l’éducation, de la sociologie, de la didactique, de l’histoire de l’éducation pour penser globalement la question du numérique éducatif.

    Totalement d’accord.

    Il faut là aussi, me semble-t-il, se méfier des usages de cette expression ou des représentations qu’elle véhicule. Le concept d’organisation apprenante, qui a tant de succès aujourd’hui dans l’éducation, est issue du monde du management, et renvoie sous prétexte d’horizontalité à des mécanismes d’auto-formation entre pairs si possible informels / non financés empiétant sur le temps libre de ces apprenants, invités à « apprendre » partout et tout le temps (voir https://eduveille.hypotheses.org/15351). Il faut clairement interroger le projet politique qui sous-tend son utilisation, comme cela est fait par Christophe Cailleaux et Amélie Harte-Hutasse dans les carnets Zilsel (https://zilsel.hypotheses.org/3339)

    Les conditions de la réussite scolaire sont uniquement vues sous l’angle de l’individualisation et de la différenciation outillée par le numérique, et l’analyse ne renvoie que très peu aux causes sociales des inégalités scolaires et ne fait jamais (ou à la marge) état des moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour permettre d’y répondre en classe, in situ, sans nécessiter de dispositifs numériques : nous avons aujourd’hui besoin de plus d’enseignant⋅es, mieux formé⋅es, pour favoriser cette différenciation plutôt qu’un recours à l’intelligence artificielle encore bien incertain, du moins lointain.

    En réponse, la mise en valeur que je juge tout à fait excessive de l’ »écosystème EdTech innovant » et de « l’excellent rapport de Marie-Christine Levet » (section 1.4, p. 22-24) laisse entendre, par contraste, que les acteurs du service public de l’éducation ne sont pas suffisamment performants ou armés pour relever les défis qui lui sont proposés, et affirme leur impuissance sans la remettre en perspective de la pénurie de moyens subie depuis de nombreuses années maintenant. C’est déjà ce que j’avais reproché à Marie-Christine Levet, présidente du fond d’investissement EduCapital, qui critiquait et dévalorisait outrageusement dans un article du Point en mai dernier les réalisations du service public pour mieux vendre les services de l’EdTech.

    Je suis totalement d’accord avec ça. Il est à la fois malhonnête de tirer sur l’EN comme si rien ne fonctionnait, et sans tenir compte de la complexité de notre promesse d’éducation obligatoire, gratuite et laïque. Et il est tout aussi malhonnête de lier nos problèmes à un prétendu « retard » de développement des Edtech.

    Dans cet écosystème d’intérêt général, je trouve que les grands absents de ce livre blanc sont les acteurs publics de l’éducation, cantonnés aux rôles de passage de commande, d’évaluation, et d’accompagnement de services tiers. On ne peut pas ignorer ainsi les actions et réalisations en propre des DSI (directions des systèmes d’information du ministère et des académies), des DANÉ (délégations académiques au numérique éducatif), des INSPÉ (instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’enseignement), des opérateurs (Canopé, Cned) et des collectivités qui contribuent tous au service public du numérique éducatif, développent eux-mêmes des ressources et des services numériques de grande qualité, avec l’aide d’enseignant⋅es et des autres personnels de l’Éducation nationale dont ils s’efforcent (pas toujours à la hauteur attendue) de valoriser le travail dans le cadre de leurs missions, définissent et font respecter le cadre de confiance indispensable au développement des usages appelé des vœux des rédacteurs (ENT, Gestionnaire d’accès aux ressources GAR, RGPD…).

    Et globalement pas assez d’enseignants, encore, dans ce rapport. On parle de l’école sans ses acteurs de terrain...

    J’ajoute enfin que la puissance publique doit également favoriser les initiatives des agents publics dans le cadre de collectifs ou d’associations pour l’éducation populaire ou la production de communs, et avoir une politique volontariste pour l’usage de logiciels libres et non privateurs partout et toujours lorsque c’est possible. Ceci n’est qu’effleuré dans la section 5.1 consacrée aux « Enjeux de souveraineté numérique et de la maîtrise des données d’apprentissage », encore sous l’angle de l’interopérabilité et de la portabilité des données (p. 79-82), et nécessiterait d’être plus affirmé.

    C’est clair. Franchement quand on voit comment apps.education.fr envoie du PATÉ, alors qu’il a été fait avec de l’énergie et des bouts de ficelles, je me demande pourquoi on n’arrête pas tout autour (ou presque) pour y rediriger les budgets, la force de comm, etc.

    Merci pour l’article Thierry, et merci pour les citations élogieuses :)