• La chronique de Jean-François Nadeau : « L’attaque » | Le Devoir
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    Des manifestants se précipitent, des jurons plein la bouche, l’écume aux lèvres. Quand, devant eux, le gouverneur apparaît, il reçoit sans tarder une volée de pierres. Après avoir réclamé sa tête, ils veulent maintenant sa peau. Le malheureux ne réussit à s’en sortir vivant que parce que des hommes en armes veillent sur lui.

    Une édition spéciale du journal The Gazette a jeté de l’huile sur le feu. Elle invite les opposants à se rassembler, en soirée, à la place d’Armes. Ce point de rendez-vous ne peut être mieux nommé : les manifestants obéissent bel et bien à un mot d’ordre qui invite à les prendre. « Au combat ! », lancent des agitateurs.

    La foule réunie là est invitée à foncer sur le parlement, situé en bordure du fleuve. Elle fracasse les vitres, défonce les portes, puis entre en hurlant. Les pupitres des députés sont brisés. Tout est saccagé. Ceux qui ne réussissent pas à fuir devant les assaillants sont violemment malmenés, pourchassés à travers les corridors, frappés. Sans ménagement.

    Une fois entrés dans l’édifice, les émeutiers s’assurent que rien n’y soit épargné. À la torche, ils incendient la Chambre des représentants. Bientôt, tout brûle. La bibliothèque, en particulier, constitue une cible de choix. Il se trouve là plus de 25 000 livres, de même que des documents d’archives qui datent des origines de l’Amérique coloniale. Tout part en fumée. Il s’agit d’un des autodafés les plus terribles de l’histoire des Amériques, si on garde en mémoire la destruction, en 1561, des codex mayas devant l’église de pierres grises de Valladolid.

    À Montréal, dans cette nuit tragique, une meute de complotistes conservateurs se rue vers le parlement pour renverser le régime en place. Ces tories en perte de pouvoir en veulent à ceux qui ont pris la décision d’indemniser les victimes de la dure répression militaire de 1837-1838. Le régime parlementaire et la démocratie, conçoivent-ils, se respectent dans la seule mesure où ils permettent d’exercer en douce une domination qui soit à leur avantage. Sinon, cette forme pacifiée de gouvernement ne mérite pas mieux que le malheureux à qui l’on passe la corde au cou.
    […]
    En 1849, les incendiaires de Montréal regardent leur œuvre de destruction avec satisfaction. Lorsque les sapeurs-pompiers se présentent enfin, la foule ne se laisse pas écarter. Sans ménagement, les pompiers sont pris à partie. Leurs tuyaux de cuir, reliés aux pompes, sont coupés. Les hommes chargés de faire régner l’ordre regardent la scène sans bouger le petit doigt. Ils en tirent même une certaine satisfaction, à l’image de ce chef de police de Chicago qui n’a pas hésité à déclarer, devant l’action des émeutiers de Washington, qu’il comprenait tout à fait ces vandales et les respectait. Ce parallèle entre les tories canadiens et les républicains américains, qui ont tous deux provoqué puis regardé en spectateurs de tels événements, est saisissant.