Au Yémen, le voyage au bout de l’enfer des migrants éthiopiens

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  • Au Yémen, le voyage au bout de l’enfer des migrants éthiopiens
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    Des lambeaux de plastique s’accrochent aux tombes, huit tas de pierres hérissés de branches épineuses. Quelques blocs de schiste portent une inscription : des traits de peinture bleue passés à la bombe. Ce cimetière, Ahmad Dabissi l’a fait creuser pour ses « clients » malchanceux, en contrebas d’un immense plateau de roche calcaire, à l’écart de la grande route qui file au loin, vers le port d’Aden. A 29 ans, M. Dabissi est un passeur important dans sa province, Chabwa, dans le sud désertique du Yémen. Chaque année, il fait embarquer des milliers de migrants, venus de la Corne de l’Afrique, au port somalien de Bossasso. Ils passent d’un continent à l’autre, à travers le golfe d’Aden, et tentent de traverser le Yémen en guerre pour atteindre l’Eden : l’Arabie saoudite voisine.
    M. Dabissi a soustrait ces huit corps à la morgue et à la police yéménite pour les inhumer dans un endroit discret. Ils sont éthiopiens, chrétiens, venus de la région du Tigré, selon le passeur, qui affirme avoir tenté de les faire identifier par d’autres clients. « Je ne l’ai pas fait pour l’argent, insiste-t-il, mais pour ne pas perdre leur confiance. » Dans son village natal de Rafat, M. Dabissi entretient un autre cimetière, bien plus vaste.
    D’après un décompte partiel de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 139 000 personnes avaient emprunté cette route en 2019. Près de 90 % viennent d’Ethiopie, un Etat soumis à de multiples conflits régionaux et menacé de dislocation. Mais, en 2020, ce flux s’est presque tari : le nombre de voyageurs est tombé à 37 000. Frontières et points de contrôle ont été bouclés à cause de la pandémie de Covid-19. Les diverses autorités du Yémen, en proie à une guerre civile depuis 2015, accusent les migrants de colporter la maladie. Cela fait d’eux des suspects et des cibles. Floués, confus, ils patientent dans la périphérie des grandes villes d’Aden et de Marib, ou à Chabwa.
    Beaucoup gardent l’espoir de passer. Certains cherchent à rentrer chez eux. « Si tu as encore assez d’argent, tu retournes à la maison, en Ethiopie », soupire Ahmad Omar, 29 ans. Venu de la région de Wollo, dans le nord-est éthiopien, il a vécu ces huit derniers mois dans plusieurs planques, à Chabwa. Il rêve de se payer, pour 75 euros, un billet de retour vers Djibouti, le second pays de transit sur la côte africaine. La traversée est dangereuse : une vingtaine de personnes s’y sont noyées dans deux naufrages, fin 2020.
    A Chabwa, l’aide internationale est quasi absente, en dehors de celle apportée par le Conseil danois pour les réfugiés et le Conseil norvégien pour les réfugiés, deux ONG très actives au Yémen. « Les organisations internationales manquent déjà de fonds pour venir en aide aux Yéménites. Il y en a d’autant moins pour les migrants », déplore Olivia Headon, porte-parole, à Sanaa, de l’OIM, qui n’a installé qu’une seule équipe médicale d’urgence sur la côte

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