• Y a-t-il une alternative aux pesticides ? - La Vie des idées
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    Notre propos n’est pas de dénoncer l’échec du plan Ecophyto, ni de faire de l’approche systémique le nécessaire horizon des politiques agricoles. Il est plutôt de rappeler qu’en justifiant la réautorisation de produits très controversés par l’absence de méthodes de substitution, nos responsables politiques occultent les apprentissages et dissensions de dix années de tentative de réduction des produits phytopharmaceutiques. L’histoire du plan Ecophyto nous apprend que la réduction de l’usage des pesticides dépasse largement le recours à des substituts directs et ne peut être réduite à une question de disponibilité de technologies. Son étude ouvre deux pistes de réflexion, liées l’une à l’autre.

    La séquence décrite dans cet article nous invite à être doublement critiques quant à la figure de la substitution dans les politiques de transition écologique. D’une part, la substitution au sens strict apparaît comme une promesse bien fragile. Comme le montre la trajectoire du biocontrôle en tant que solution d’action publique, la promotion de substituts naturels aux pesticides appelle des transformations dans les pratiques agricoles, dans l’accompagnement des exploitants, dans les pratiques commerciales des entreprises, etc. La mise à disposition de produits qui viendraient massivement se substituer aux pesticides sans nécessiter plus de changements s’apparente à un mythe politique et technologique. D’autre part, la promesse de substitution est porteuse de forts effets de cadrage. Si ce levier d’action est privilégié par les pouvoirs publics, c’est parce qu’il permet de délaisser ou retarder des transformations plus profondes à la fois des exploitations et du modèle de développement agricole. Il produit en ce sens un effet dépolitisant. Les promesses de substitution sont nombreuses dans le champ de l’écologie : développement des énergies renouvelables, remplacement des voitures à moteur thermique par des véhicules électriques, etc. Ces perspectives ne doivent pas faire oublier que les choix technologiques sont avant tout des choix politiques. Privilégier l’option de la substitution dans les dynamiques de transition comporte le risque de maintenir cloisonnés questionnements technologiques et socio-politiques et de reléguer au second plan de nécessaires réflexions collectives.

    La séquence décrite dans cet article nous invite également à questionner les liens entre l’exercice de l’action publique et la production de connaissances. Les débats autour de l’interdiction du glyphosate ou des néonicotinoïdes ont donné lieu à des commandes par l’État auprès de l’INRA. Dans les deux cas, les pouvoirs publics ont chargé l’institut de recenser les solutions et méthodes permettant de réduire le recours à ces substances controversées ou d’en identifier de nouvelles. On retrouve dans ce mode de mobilisation de l’institut la logique centralisée et descendante qui était critiquée par les agronomes systèmes et qui a été explicitement questionnée dans le cadre du plan Ecophyto. Les connaissances portées par les agronomes système au sein du réseau Dephy étaient des connaissances situées, dont la production comme la circulation induisaient de profondes évolutions dans l’accompagnement des agriculteurs, dans la formation de leurs conseillers, dans la pratique des agronomes. Alors que le plan Ecophyto aurait pu être un espace d’expérimentation de nouveaux modes de production de la connaissance, une logique plus descendante, plus standardisée, a été favorisée. De nombreux travaux en sciences sociales s’intéressent aux rapports d’affinité qui peuvent exister entre certaines connaissances et l’exercice de l’action publique. Les récents travaux sur l’enthousiasme politique autour du nudge sont à cet égard significatifs (Bergeron et al., 2018). Ils montrent comment des savoirs et méthodes venus des neurosciences sont aisément mobilisés dans l’action publique, en ce qu’ils sont porteurs d’une vision individualisante de problèmes publics. Mobiliser ces connaissances et les incarner dans des instruments permet d’éviter de s’attaquer à la racine collective de problèmes aussi divers que la malnutrition ou le réchauffement climatique. Un phénomène similaire de sélection de savoirs a eu lieu dans le cadre du plan Ecophyto : les options de l’identification de méthodes standardisées, puis celle de la substitution ont été favorisées puisqu’elles permettaient d’éviter les réflexions organisationnelles et structurelles liées à la mobilisation de connaissances systémiques. Mais alors que les controverses autour de substances se multiplient, et que l’option de la substitution a montré toutes ses limites au cours de dix années de tentative de réduction de l’usage des pesticides, les pouvoirs publics ne peuvent sans doute plus faire l’économie d’une réflexion sur la manière dont la recherche agronomique doit être mobilisée.

    par Alexis Aulagnier, le 19 janvier

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