Des viols et agressions sexuelles, répétées pendant parfois des années, commises par des adultes qui, a priori, devraient protéger ces enfants. Surtout des pères, grands-pères, oncles et, plus rarement, des mères. Des adultes dans une position d’autorité par rapport à l’enfant et souvent admirés ou craints par les autres membres de la famille et de son entourage. À la violence sexuelle et physique, s’ajoute la violence psychique. Les menaces y sont présentes d’une façon explicite ou cachée : parler sera ainsi très souvent lié à la honte, à la culpabilité, à la destruction de la famille, voire clairement à la mort d’un proche ou de l’enfant lui-même.
Nous sommes loin, très loin, infiniment loin, d’une situation où il y a consentement, où il y a une « relation » ou une « union » entre deux personnes par leur libre choix. Ces mots avec des guillemets sont fréquemment trouvés dans des dictionnaires pour décrire l’inceste. En plus, les définitions d’inceste dans plusieurs dictionnaires renommés de langue française ou portugaise indiquent que cette « relation sexuelle » a lieu entre « un homme et une femme », c’est-à-dire, entre deux adultes. Même dans le mythe sur lequel Sigmund Freud a basé la formulation du fameux concept de complexe d’Œdipe, qui garantit dans le psychisme et dans la société l’interdit de l’inceste, il s’agit d’une histoire d’adultes.
Alors, pourquoi une société choisit-elle de nommer « inceste » le crime de viol et d’agression sexuelle commis par un adulte contre un enfant de sa propre famille ? Un crime qui est, aussi, de pédophilie. Certes, « inceste » est beaucoup plus court à dire que « agression
sexuelle commise par un adulte envers un enfant de sa famille ». Par contre, quand nous le disons d’une telle manière, il n’y a pas d’ambiguïté possible concernant la question du consentement. Nous disons avec tous les mots qui a commis le crime, qui est son responsable et qui l’a subi.
Dans ma pratique, j’ai souvent accueilli – malheureusement beaucoup trop souvent – des enfants et des enfants devenus adultes qui avaient été violés par des adultes de leur famille. Je reviens à l’importance, le poids, des mots choisis. Seulement une fois, j’ai entendu une de ces personnes utiliser le mot « inceste ». Dans son discours, il y avait initialement l’idée d’être en couple avec son parent et que cela devait être vécu en secret. Très rapidement, au cours des séances, cette personne a pu réaliser que ce discours répétait ce qu’elle avait entendu sans cesse, dans son enfance, de la part de son agresseur. Il y a eu alors, comme effet, un changement discursif : ce n’était pas un amour incestueux, c’était de l’abus sexuel.
Toutes les autres personnes que j’ai écoutées et qui avaient un vécu similaire parlaient plutôt de comment cet acte criminel touchait directement leurs existences, leur être, le « je » qui les habite. Leur discours révélait comment le fait d’avoir été « violé », « abusé », « touché » ou « forcé à » faire des choses qui leur faisaient mal physiquement et moralement (des choses que personne d’autre ne pouvait savoir) les a mortifiés dans le silence et dans une souffrance très couramment à la limite de l’insupportable.
Quand un enfant ou un enfant devenu adulte arrive à casser le silence de ce secret mortifère pour mettre en parole publiquement ce vécu innommable, c’est, au minimum, un manque de respect de le nommer avec un mot qui peut se prêter à une ambiguïté quelconque autour du consentement ou de sa position subjective à ce moment-là. Dans la plupart des cas, un enfant n’est pas en mesure de se protéger de la violence de celui qui, en principe, devrait le protéger. Et une fois le silence cassé, la société doit le protéger non seulement de l’agresseur mais aussi des possibles jugements qui peuvent s’abattre sur lui.