• Les écoles étaient-elles le moteur de la deuxième vague de COVID-19 ?
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      Juste avant les Fêtes, Jennifer Dorner a reçu un courriel l’informant qu’un enseignant de l’école de sa fille avait obtenu un résultat de test positif à la COVID-19. Pour des raisons de confidentialité, on ne spécifiait pas de quelle classe il s’agissait. Dans les jours qui suivirent, des cas se déclarèrent chez certains enfants. De texto en texto, Mme Dorner et d’autres parents comprirent que c’était le groupe de leurs enfants qui était touché. Début janvier, neuf élèves de cette classe et plusieurs de leurs proches avaient obtenu un résultat de test positif.

      Malgré les apparences, difficile de confirmer que tous ces cas sont reliés. « Certains enfants peuvent l’avoir attrapée dans la classe, d’autres peuvent l’avoir attrapée en dehors. Et c’est exactement ce qui rend si difficile de savoir si les écoles sont le moteur

      de la transmission », explique Mme Dorner, dont la fille de 11 ans fréquente l’école Lajoie, dans l’arrondissement Outremont de Montréal.

      Après un temps des Fêtes empreint d’anxiété, aucun membre de la famille de Mme Dorner ne s’est finalement révélé être atteint de la COVID-19. La mauvaise expérience fait cependant appréhender le pire à cette mère pour le reste de l’hiver. « Je crois qu’à un moment ou un autre, on l’attrapera nous aussi », dit-elle.

      À quel point les écoles alimentent-elles la transmission communautaire ? Depuis le printemps dernier, des décideurs et des scientifiques se posent cette question à toutes latitudes et longitudes. Alors que l’on considérait encore récemment que les jeunes étaient relativement moins nombreux à contracter la COVID-19, de nouvelles études remettent en doute cette idée. À plusieurs endroits dans le monde, la prévalence de la COVID-19 chez les écoliers a grimpé en flèche au cours de l’automne.

      « Cercle vicieux »

      La transmission chez les jeunes aurait même été un « facteur déterminant » dans le déclenchement de la deuxième vague sur l’île de Montréal, selon Simona Bignami, une démographe de l’Université de Montréal, spécialisée dans les questions de santé. Son argument est simple : le nombre d’infections chez les 10 à 19 ans a augmenté rapidement au mois de septembre. Alors que les courbes épidémiologiques des adultes ont redescendu après l’instauration des mesures plus strictes de la « zone rouge », en octobre, celle des adolescents s’est maintenue sur une sorte de plateau.

      « Ce que nous supposons, fait valoir Mme Bignami, c’est que la transmission a démarré chez les 10 à 19 ans. Elle est ensuite passée vers les adultes de 30 à 49 ans. Du moment que ce cercle vicieux s’est instauré, la transmission communautaire s’est élargie à tous les groupes d’âge, y compris les plus petits. » Ce serait donc les enfants de la fin du primaire, du secondaire et peut-être du collégial qui auraient donné la COVID-19 à leurs parents, et pas l’inverse.

      Ces derniers mois, on a souvent rapporté que les éclosions étaient peu communes dans les écoles. En Italie, par exemple, quatre semaines après la rentrée de septembre, moins de 2 % des écoles étaient aux prises avec une éclosion, et 93 % de ces éclosions ne comportaient qu’un seul cas. En Caroline du Sud, en neuf semaines, une cohorte de 90 000 écoliers primaires et membres du personnel n’aurait acquis que 32 cas de COVID-19 en milieu scolaire. Toutefois, plusieurs chercheurs, dont Mme Bignami, croient que ce genre d’étude ne met en lumière que la pointe de l’iceberg.

      « Les enquêtes épidémiologiques concernant les enfants ont souvent été de piètre qualité, avec trop peu de tests réalisés », écrivait par ailleurs l’épidémiologiste Zoë Hyde, de l’Université Western Australia, dans un article scientifique sur la COVID-19 et les enfants, publié en octobre dernier. « Il y a des preuves claires que les enfants et les écoles sont à risque, et que cela a des implications pour la communauté entière », ajoutait-elle.

      Il y a quelques semaines, on apprenaitqu’une flambée d’environ 40 cas survenue dans une école de Hambourg, en septembre, était imputable à une même introduction. À l’époque, les autorités avaient déclaré que les contaminations découlaient de diverses acquisitions à l’extérieur des murs de l’établissement. Pourtant, des tests génomiques réalisés a posteriori ont révélé qu’un seul élève avait vraisemblablement infecté tous ses camarades.
      Nouveaux cas de COVID-19 au Québec (pour 100 000 personnes, moyenne mobile de 7 jours)

      Le cas des jeunes est difficile à résoudre, car la maladie est souvent invisible chez eux. On estime que 70 % des enfants atteints de la COVID-19 sont asymptomatiques, par rapport à 50 % des adolescents et à 30 à 40 % des adultes. Pour connaître la véritable prévalence de la maladie chez les jeunes, il faut recourir à d’autres stratégies que le dépistage traditionnel. Ainsi, quelques études menées au printemps 2020 se sont intéressées à la présence d’anticorps spécifiques au SRAS-CoV-2 dans le sang d’un échantillon aléatoire de la population.

      En Espagne, par exemple, on constatait en juillet que 3 % des enfants de moins de 10 ans avaient ces anticorps, par rapport à 5 % de la population générale. Ce résultat semblait indiquer que les enfants, en plus d’être exempts des formes graves de la COVID-19, avaient moins de risques de la contracter. Cela dit, ces données avaient été récoltées alors que les écoles espagnoles étaient fermées. Il était donc possible que la différence ne soit pas d’ordre biologique.

      Les enfants ne sont pas à l’abri

      Un suivi avec les élèves sur les bancs d’école s’imposait, explique Michael Wagner, un professeur de microbiologie à l’Université de Vienne. Depuis la réouverture des écoles autrichiennes, en septembre, son équipe récolte périodiquement des échantillons gargarisés par des milliers d’élèves de 240 établissements scolaires. Cette campagne a confirmé une forte présence du coronavirus chez les enfants et les adolescents.

      « Nous avons vu une forte augmentation de la prévalence en quelques semaines », résume M. Wagner en entrevue au Devoir. Le niveau d’infection chez les enfants, qui a triplé entre octobre et novembre, était cohérent avec la croissance de l’épidémie dans le reste de la population autrichienne. Cependant, l’idée que les enfants soient en quelque sorte oubliés par le virus ne tenait plus la route. « Nous montrons que le mythe voulant que les enfants soient moins infectés est tout simplement faux », fait valoir M. Wagner.

      Le même phénomène a été observé l’automne dernier au Royaume-Uni, qui mène un programme continu de surveillance de la COVID-19 dans sa population. Grâce aux centaines de milliers d’échantillons que des volontaires envoient par la poste, les responsables de l’étude REACT (Real-time Assessment of Community Transmission) établissent la prévalence réelle de la maladie chez les Britanniques. Ils pondèrent les résultats bruts pour tenircompte du poids démographique de chaque groupe. En novembre, les adolescents de 13 à 17 ans étaient ainsi la tranche d’âge la plus touchée (2,04 %) par le coronavirus. Suivaient les enfants de 5 à 12 ans (1,44 %).

      Quelle infectiosité ?

      Sachant que les enfants contractent la COVID-19, sont-ils aussi infectieux que les plus vieux ? Une étude particulièrement exhaustive, menée en Corée du Sud, établissait l’été dernier que les enfants de moins de 10 ans atteints de la COVID-19 donnaient deux fois moins la maladie à leurs proches que le reste de l’échantillon. Chez les adolescents, le potentiel de transmission était au moins aussi élevé que chez les adultes. Des mois plus tard, la question fait toujours débat.

      « Mais j’invoquerais que cela ne fait pas vraiment de différence, dit M. Wagner. Puisque les enfants sont souvent asymptomatiques, vous ne pouvez pas les retirer facilement de la boucle de transmission. Même s’ils sont un peu moins contagieux, ils ont néanmoins de nombreuses occasions pour propager le virus. Quantitativement, quelle est l’importance de leur contribution ? On peut en discuter, mais notons que les écoliers représentent un septième de la population autrichienne. Nous devons prendre cela au sérieux dans notre combat contre la COVID-19. Les enfants ne sont pas le seul moteur de la pandémie, mais ils contribuent à la transmission comme tous les autres groupes de la société. »

      La semaine dernière, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommandait de considérer la fermeture des écoles seulement en « dernier recours ». Quand la transmission communautaire est forte, note l’agence, les mesures de prévention et deprécaution — comme le port du masque, la distanciation physique et une ventilation adéquate — sont cruciales pour prévenir la transmission en milieu scolaire.

      Après une semaine à la maison, la fille de Jennifer Dorner est finalement retournée à l’école lundi dernier. Si l’enjeu de la transmission scolaire pèse lourd sur les épaules des adultes, elle éprouve aussi les enfants. « Ma fille se sent très angoissée, dit Mme Dorner. Les petits savent très bien que les adultes sont beaucoup plus malades quand ils attrapent la COVID-19. C’est stressant pour eux de savoir qu’ils peuvent infecter leurs parents ou leurs grands-parents. »

    • j’imagine qu’il n’y a pas d’étude sérieuse, en France, du cas des enfants <10 ans (école) pour une part, et des >11 <18 (collège-lycée) d’autre part ?