En Allemagne, la stratégie « No Covid » fait débat

/en-allemagne-la-strategie-no-covid-fait

  • En Allemagne, la stratégie « No Covid » fait débat
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/01/27/en-allemagne-la-strategie-no-covid-fait-debat_6067767_3244.html


    Duisbourg (Allemagne), le 25 janvier. L’ancien théâtre a été transformé en centre de test et de vaccination Covid-19. Martin Meissner / AP

    Un groupe d’experts issus de différentes disciplines propose une gestion alternative de la crise sanitaire pour « vaincre » le virus.

    C’est un document de onze pages qui, depuis sa parution, lundi 18 janvier, suscite un vif débat en Allemagne. Son titre : « Un nouvel objectif proactif pour l’Allemagne en matière de lutte contre le Sars-CoV-2 ». Rédigé par un groupe d’experts reconnus appartenant à différentes disciplines (virologie, économie, droit, physique et science politique), il se présente comme un appel à destination des autorités pour que celles-ci mettent en place une « stratégie conséquente et cohérente », baptisée « No Covid », et qui se résume en une phrase : « Nous devons créer un consensus social autour de l’idée que, en tant que société, nous ne pouvons ni ne voulons vivre avec le virus, mais que nous souhaitons le vaincre. »

    « Vaincre » le virus : pour les auteurs, cela suppose de ramener le taux d’incidence sous la barre de 10 cas pour 100 000 habitants (il est actuellement légèrement supérieur à 100 en Allemagne). Afin d’y parvenir, ils recommandent une stricte application des mesures déjà en vigueur outre-Rhin, comme la fermeture des écoles et des commerces non essentiels, la généralisation du télétravail et l’interdiction de recevoir, chez soi, plus d’une personne extérieure à son propre foyer.

    « Objectif mobilisateur »
    En revanche, ils n’envisagent ni couvre-feu ni confinement au sens strict du terme : au printemps 2020, l’Allemagne n’avait pas recouru à de telles mesures, ce qui ne l’avait pas empêchée de faire baisser le taux d’incidence à environ 2,5 au début de l’été. « Notre objectif est atteignable sans aller jusqu’à interdire aux gens de sortir de chez eux. Les restrictions actuelles devraient suffire, à condition de les coupler avec une généralisation des masques FFP2 et une augmentation du nombre de tests afin d’endiguer au plus vite la propagation des nouveaux variants, plus contagieux », explique au Monde Clemens Fuest, président de l’Institut de recherche économique (IFO) de Munich, coauteur du document.

    Un tel objectif ne pourra toutefois pas être atteint partout au même moment. D’où l’idée d’établir une distinction entre « zones vertes », où la circulation du virus aura été réduite au minimum, et « zones rouges », où le taux d’incidence reste supérieur à 10. Dans les premières, expliquent les auteurs, le retour à la normale doit avoir lieu à travers la levée progressive de toutes les restrictions. Dans les secondes, au contraire, celles-ci continueront de s’appliquer. Et, afin de prémunir les « zones vertes » contre une reprise de l’épidémie, les habitants des « zones rouges » ne seront pas autorisés à y circuler.
    Citant en exemple le cas de Melbourne, « une métropole de quatre millions d’habitants qui a réussi en trois à quatre semaines à ramener le taux d’incidence de 10 à 0 », les auteurs estiment que cette stratégie a pour avantage d’offrir un « objectif mobilisateur » : si elle sait que « ses efforts seront récompensés » une fois atteint un seuil clairement défini, la population acceptera plus volontiers des restrictions strictes qu’aujourd’hui, où les mesures sont réajustées une à deux fois par mois, donnant le sentiment de dirigeants politiques naviguant à vue et sans boussole.

    Coût économique
    Sur ce point, les avocats de cette « stratégie No Covid » se démarquent du gouvernement qui, depuis l’automne, assure qu’un assouplissement des restrictions pourra intervenir une fois que le taux d’incidence aura été ramené sous la barre des 50. « A 50, on ne contrôle pas les chaînes de contamination. Cela ne fonctionne pas, a fortiori maintenant que circulent les nouveaux variants », explique Clemens Fuest, pour qui rien ne serait pire que de desserrer l’étau trop tôt pour s’apercevoir ensuite que la courbe des contaminations est repartie à la hausse et qu’un énième tour de vis est de nouveau nécessaire.

    Si l’intention de ce groupe d’experts était d’animer le débat – jusqu’alors relativement atone en Allemagne – sur la stratégie de lutte contre l’épidémie, force est de constater qu’ils y sont parvenus. En témoigne le nombre important d’articles et d’émissions dans lesquels leurs propositions ont été discutées au cours des derniers jours.

    Les critiques portent d’abord sur l’objectif lui-même, considéré par certains scientifiques comme inatteignable dans une Allemagne qui n’est pas une île, contrairement à l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, citées en exemple par le groupe d’experts. « Dans un pays situé au centre de l’Europe, je ne pense pas qu’il soit possible d’arriver à presque zéro contamination, en tout cas pas dans un avenir prévisible », a ainsi réagi l’épidémiologiste Gérard Krause, jeudi 21 janvier, dans le quotidien Die Welt.
    Deuxième critique : le coût élevé que ferait subir cette stratégie à l’économie. Telle est par exemple la conviction de Michael Hüther, directeur de l’Institut de recherche économique allemand (IW, Cologne). « La vision de l’économie sur laquelle repose ce document ne tient pas compte de l’économie réelle. [Son application] aboutirait à une mise à l’arrêt des filières de production, des chaînes d’innovation et des circuits commerciaux dans le pays », a-t-il affirmé, dimanche, sur la chaîne ARD.

    [...]

    Vive, la discussion transcende les clivages idéologiques et les frontières disciplinaires. Clemens Fuest et Michael Hüther, aujourd’hui en désaccord sur la stratégie de lutte contre le Covid-19, sont ainsi deux économistes libéraux dont les positions, dans le passé, ont souvent été très voisines. De même, plusieurs de ces experts ont leurs entrées dans les ministères.

    Interrogée sur cette stratégie No Covid, jeudi 21 janvier, lors d’une conférence de presse, Angela Merkel s’est montrée sensible aux arguments exposés par ses avocats, tout en se montrant réservée quant à son acceptabilité par la population. « Si nous atteignons un taux d’incidence de 50, nous savons qu’il nous faudra encore plusieurs semaines − deux, trois, quatre, je ne peux pas vous dire exactement – pour arriver à 10. Cela signifie que, pendant cette période, des restrictions sévères vont continuer à s’imposer concernant les magasins et les écoles. C’est là qu’intervient la politique, dont le rôle est d’arbitrer. Si je pense malgré tout que l’on peut parvenir à contrôler les chaînes de contamination [au-dessus de 50], dois-je infliger trois semaines de restrictions très strictes pour descendre sous le seuil de 10, ou pas ? », s’est interrogée la chancelière allemande, avant d’ajouter : « Cela doit être discuté au niveau politique. »

    Zéro Covid, c’est pas une spécialité des Iles, Vietnam et le Kerala, par exemple, ne sont jamais cités.