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  • Confinement : l’épidémiologiste Dominique Costagliola espère du « courage politique » - France - Le Télégramme
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    La professeure Dominique Costagliola est épidémiologiste en recherche clinique et biomathématicienne. Elle est directrice de recherches à l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique où elle travaille dans le domaine de l’évaluation du médicament contre la covid-19. Elle est membre de l’Académie des sciences et a obtenu le Prix recherche Inserm 2020.
    Photo François Guenet/Divergence

    L’épidémiologiste Dominique Costagliola estime que la situation de la France face à l’épidémie de covid-19 « n’est pas rassurante ». Elle plaide pour une décision rapide de confinement face à une attente « difficilement supportable pour les gens ».

    Quelle est votre analyse de la situation épidémique en France aujourd’hui ?
    Elle n’est pas rassurante : les indicateurs sont tous en augmentation, que ce soient le nombre de nouveaux diagnostics et les taux de positivité. Ils restent assez voisins dans toutes les tranches d’âge, y compris chez les 0 à 9 ans. On compte aussi des nombres de personnes hospitalisées un peu au-dessus de ceux de fin octobre, lorsque la décision du deuxième confinement a été prise. Depuis le début de l’année, on est toujours sur un plateau haut qui monte lentement mais sûrement, de façon inexorable.

    Que peut-il se passer, si l’on ne fait rien ?
    On est au début d’une courbe exponentielle. Les modèles prédisent des explosions qui auraient lieu entre la deuxième quinzaine de février et la première de mars. Si l’on a vraiment un variant dominant qui est 50 % plus transmissible - je ne retiens pas le pourcentage le plus pessimiste -, on va avoir des nombres de cas et d’hospitalisations qui seront bien au-dessus de ceux de l’année dernière lorsqu’on est monté à 7 000 patients en réanimation. De plus, ces modèles tiennent compte d’une vaccination plus importante que celle que l’on pourra vraiment réaliser car on sait maintenant que l’on aura moins de doses qu’espéré.

    Votre sentiment sur ces modélisations inquiétantes ?
    J’ai présenté un exposé sur cette thématique précise, mercredi, lors d’une séance de l’Académie des sciences. Je suis sortie plutôt déprimée de la préparation de mon intervention. Et encore, j’ai choisi la valeur de 1,2 pour le taux de reproduction du virus (le nombre de personnes que contamine une personne infectée, NDLR) plutôt que la valeur 1,5, parce qu’elle me faisait trop peur….

    Que faut-il faire pour éviter ce scénario catastrophe ?
    On observe, à l’évidence, une fréquence grandissante de variants anglais, qui se répliquent plus, et présentent donc un taux de reproduction de base plus élevé. Si on veut le contrôler au même niveau, il faut davantage de mesures, plus efficaces.

    Vous préconisez un confinement préventif depuis début janvier. Le gouvernement semble jouer la montre pour tenter de le faire accepter par la population. Est-ce la bonne tactique ?
    On attend mais je me demande bien quoi, en fait… Là, ça fait dix jours que l’on nous dit : « Il va y avoir des mesures ». Vous croyez que ce temps d’attente, c’est facile à supporter pour les gens ? Le remède n’est-il pas pire que le mal ? Je ne dis pas que c’est facile de décider précocement, alors qu’on n’a pas l’impression d’être sous la vague. Mais c’est ça, le courage politique.

    Que pensez-vous de la manière dont sont prises les décisions difficiles en France dans le contexte de la covid-19 ?
    On a le sentiment qu’au final, ces décisions reposent pour l’essentiel sur une seule personne. Je ne crois pas que cela soit raisonnable même si cette personne a été élue au suffrage universel.

    Il se dit que l’appel à des mesures rapides du président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, n’a pas été apprécié par Emmanuel Macron. Sentez-vous que les scientifiques sont désormais moins écoutés par le gouvernement ?
    J’entends bien mais je n’en suis pas le témoin. Je ne vais pas trancher sur quelque chose pour laquelle je n’ai pas de données parce que ce n’est pas mon genre.

    Vous a-t-on proposé de faire partie du Conseil scientifique ?
    On ne me l’a pas proposé mais je connais bien beaucoup de ses membres. Moi, mon rôle c’est d’avoir une parole libre. C’est bien qu’il y ait des gens dedans. Et c’est bien qu’il y en ait en dehors.

    Vous défendez aussi l’idée d’expérimentations en France pour bénéficier de données qui permettraient de réduire l’impact de la crise sur les écoles, le monde du spectacle, les restaurants, etc.
    Je pense que s’il y avait la possibilité d’expérimenter ici ou là, on aurait maintenant des données pour savoir ce qui fonctionne ou pas. En France, au nom de l’égalité, il faut que tout marche d’un seul tenant. Je ne suis pas sûre que cela soit une bonne idée.

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    Doit-on aller jusqu’à fermer les écoles ?

    Comme les vacances arrivent, je pense qu’il y a peut-être l’opportunité de les rallonger un peu, ce qui permettra de bien envisager les choses. Sur les écoles, je tiens d’ailleurs à clarifier un point : je ne critique pas du tout le fait de les laisser ouvertes, je comprends complètement cela. Ce qui ne va pas, c’est de prétendre qu’il ne s’y passe rien (en matière de contamination, NDLR). Car ça laisse libre de ne rien faire, de ne pas dépenser d’argent. Au contraire, je pense que l’on peut faire des choses : placer des détecteurs de CO2, équiper des salles que l’on ne peut ouvrir, avec des extracteurs. Des propositions ont été faites en ce sens mais elles ont été refusées puisqu’on nous a dit que tout allait bien. On pourrait aussi éviter d’avoir une définition de cas contacts qui soit différente de celle utilisée dans tout le reste de la société. Si on sait que l’on va avoir un peu de risques (de contaminations, NDLR), on fait de la politique de réduction et on l’affiche.

    Et pour les universités ?
    Je ne critique pas non plus le fait de vouloir les laisser ouvertes. Je ne suis pas économiste mais l’un des problèmes principaux des étudiants, c’est d’avoir perdu leurs revenus, de ne plus avoir de petits boulots. Et quand vous n’avez pas de quoi vivre, vous ne pouvez pas avoir un bon moral. Il y a aussi le côté vie sociale qui est aussi un élément important.

    Pensez-vous que la Bretagne, région moins touchée par l’épidémie, pourrait bénéficier d’un confinement à la carte, moins strict ?
    C’est une région où l’épidémie progresse avec un R supérieur à 1. Mais le taux d’incidence reste plus faible que partout ailleurs. La question de mesures différenciées se pose, je trouve. Mais il faut tenir compte de la complexité en matière de déplacements entre régions. Imaginez la situation si beaucoup de monde souhaite rejoindre la Bretagne car il se dit qu’on est confinés partout, sauf là-bas…

    La vaccination a été présentée comme l’espoir de sortir de cette crise. Est-ce toujours le cas ?
    ll y a une réelle difficulté d’approvisionnement mais j’ai du mal à voir si ce problème est durable ou si les capacités vont réaugmenter dans les prochaines semaines. Les gens découvrent ce que les connaisseurs de la vaccination savent de longue date : avoir le vaccin, ça n’est presque rien. Certes, c’est formidable qu’ils existent et que l’on ait pu montrer qu’ils sont efficaces pour prévenir les formes symptomatiques, surtout dans un délai aussi court. On aurait pu ne pas en avoir du tout ! Néanmoins, ce sont la production, la logistique et l’acceptabilité qui sont les déterminants majeurs du taux de couverture que l’on aura, afin de combattre cette épidémie. Les vaccins, ce n’est pas de la production standard. Il s’agit de matériel biologique, c’est complexe. On est en train de le réaliser mais on pouvait l’anticiper. En tout cas, il ne s’agit aucunement d’un complot des firmes pour ne pas vendre un produit qu’elles ont mis au point…

    Olivier Véran n’a pas retenu l’avis de la Haute autorité de santé pour rallonger la période entre deux doses de vaccins Pfizer. Comprenez-vous ce choix ?
    Moi, mon genre, c’est de me faire une idée basée sur des données. C’était une des raisons pour lesquelles je trouvais déraisonnable le fait que l’on change le calendrier vaccinal parce que ça reposait sur des supputations d’un certain nombre de personnes, peut-être fondées, mais on n’avait pas de données sous la main pour être sûr que c’était vrai. La FDA (l’agence du médicament américaine, NDLR) a eu la même position.

    Va-t-on vers une covid-19 qui deviendrait une maladie saisonnière ?
    À l’évidence on voit bien que ce virus circule plus facilement durant l’hiver. C’est un constat dans tous les pays d’Europe, peu importe leur type de gestion de la crise. Il y a donc cette composante saisonnière mais de quelle ampleur est-elle ?… Peut-elle être contrebalancée par la présence de variants plus transmissibles ? Il est trop tôt pour le dire, on n’a pas une série suffisamment longue pour pouvoir affirmer que cela sera blanc, noir, jaune, vert, rouge.

    Outre les vaccins, les médicaments à l’étude sont-ils un motif d’espoir ?
    Concernant les anticorps monoclonaux, des données émergent, ils ont l’air d’être utiles, à condition d’être proposés très précocement, en médecine de ville, bien avant d’être à l’hôpital. Il y a beaucoup d’essais en cours et d’autres pistes qui sont évaluées à l’heure actuelle pour des traitements un peu à tous les stades de la maladie. Les antiviraux testés pour l’instant ont été décevants. Il y a des choses qui ont l’air d’être utiles pour la phase la plus inflammatoire de la maladie. Néanmoins, on a perdu beaucoup de temps avec des traitements pour lesquelles les études ont montré qu’ils ne servaient à rien et avec d’autres qu’on n’aurait pas dû essayer mais qui ont été testés pour des raisons diverses.

    L’épidémiologie est devenue une passion française… Des non-spécialistes s’expriment sur les plateaux télé et les réseaux sociaux, cela vous agace-t-il ?
    Ce qui m’agace, ce sont les gens qui, quel que soit leur statut, disent n’importe quoi. C’est arrivé à des épidémiologistes et des non-épidémiologistes. Ils m’énervent les uns comme les autres. En revanche, quelqu’un peut très bien s’être formé sur le tas sans avoir ce titre et dire des choses pertinentes. Mais quand des gens ont affirmé que Didier Raoult était épidémiologiste, ça m’a beaucoup énervé. Il est microbiologiste, mais pas épidémiologiste, ni infectiologue.

    Vous pensiez partir bientôt à la retraite… et l’épidémie est arrivée. Pour combien de temps comptez-vous rempiler ?
    La fonction publique est relativement inexorable… J’ai déjà reçu le papier qui me dit que je suis « rayée des cadres », un terme tellement élégant. Il est arrivé le 18 décembre dernier, à l’âge limite de mon grade, c’est-à-dire, pour quelqu’un né en 1954 et compte tenu du système actuel de retraite, à l’âge de 66 ans et sept mois. Je suis pour l’instant en maintien d’activité. Car quand vous êtes directeur de recherche, vous pouvez le demander jusqu’à la fin de l’année scolaire commencée, en l’occurrence jusqu’au 31 août. Après je vais être « émérite ». Mais comme je suis responsable d’un projet européen, j’en ai pris pour cinq ans, en juillet dernier, afin de le mener à échéance.