* Les intellectuels à l’heure des réseaux sociaux - _ 14 janvier 2021

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  • À propos d’un texte de S. Beaud et G. Noiriel : critique des impasses ou impasses d’une critique ? | Henri Maler et Ugo Palheta
    http://www.contretemps.eu/beaud-noiriel-race-classe-identite-gauche

    Un article de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel publié par Le Monde diplomatique de janvier 2020 sous le titre « Impasses des politiques identitaires » a suscité d’intenses controverses et des appropriations intéressées, notamment de la part de médias (Marianne), d’idéologues (par exemple Laurent Bouvet) ou de collectifs (le Printemps républicain) qui se sont spécialisés depuis longtemps dans la disqualification des mouvements antiracistes au nom de la « République » et de sa sauvegarde. Source : Contretemps

    • Quelle est, présentée avec nuance, l’idée directrice de ce texte ? Que les revendications de minorités et des mouvements prétendant en défendre les intérêts (revendications et mouvements hâtivement qualifiés d’« identitaires ») menacent d’enfermer les acteurs qui les défendent, en les rendant prisonniers de prétendues « politiques identitaires », jamais définies en tant que telles et réduites à un dénominateur commun imaginaire.

      Amalgames

      1. Quels sont les acteurs des « politiques » mises en cause ? Faute de les distinguer, l’article amalgame des chercheurs et universitaires (auxquels est réservé le titre d’« intellectuels »[2]), des organisations et mouvements (jamais clairement identifiés alors qu’ils sont très divers[3]), ou encore des mobilisations et des actions (dont ne sont retenus que des « coups de forces ultraminoritaires »[4]). Cet amalgame permet de construire à peu de frais des « politiques identitaires » globalisées comme si elles prétendaient toutes à la définition de politiques globales et alors même que la quasi-totalité de celles et ceux qui sont (ou semblent) visés se réclament de l’égalité et non d’une quelconque « identité ».

      On voit d’ailleurs à quel point le pari de S. Beaud et G. Noiriel de se tenir sur un plan purement scientifique ne tient pas puisqu’ils reprennent, là encore sans discussion, une expression – « identitaire » – extrêmement problématique et qui n’est nullement issue du champ scientifique mais de polémiques médiatiques et politiques. Ainsi parlent-ils de « politiques identitaires », ou dans leur livre de « gauche identitaire » (p. 17), sans s’interroger sur la valeur scientifique d’une telle notion, qui tend à amalgamer des courants qui revendiquent la défense d’une « identité » européenne qu’ils jugent menacée (en l’occurrence des mouvements d’extrême droite, bien souvent néofascistes), d’autres qui utilisent la notion d’« identité » pour critiquer les assignations identitaires, et d’autres encore qui usent d’une rhétorique de l’« identité » dans une perspective de revalorisation symbolique de groupes subalternes. Peut-on véritablement se débarrasser de ces différences d’usages en se contentant d’affirmer que tous « parlent le même langage » ?

      #Stéphane_Beaud #Gérard_Noiriel #racisme

    • https://seenthis.net/messages/900413

      https://noiriel.wordpress.com

      Les extraits, récemment publiés dans le Monde Diplomatique, du livre Race et sciences sociales (Agone, 2021) que j’ai co-écrit avec Stéphane Beaud, ont suscité une avalanche de commentaires qui reproduisent exactement la même rhétorique. Les intellectuels de gouvernement tentent de nous récupérer en nous embarquant dans leur croisade contre les « islamo-gauchistes », ce qui constitue, aux yeux des intellectuels critiques, la preuve manifeste que nous avons rejoint le camp ennemi. Comme pourront le vérifier tous ceux qui auront le courage de lire cette prose souvent insultante, nous sommes à la fois disqualifiés en tant que chercheurs et accusés de « faire le jeu » des racistes en ne voyant que la classe sociale. Même si le titre qu’a choisi la rédaction du Monde Diplomatique (« Impasses des politiques identitaires ») a pu inciter une partie des lecteurs à penser que notre propos était politique, ce que je regrette pour ma part, il suffit de le lire sérieusement pour comprendre que notre but est justement d’échapper à ce genre de polémiques stériles.

      Nous reprocher d’occulter la race au profit de la classe, c’est se tromper complètement de combat, soit par ignorance, soit par intérêt. Nous montrons en effet dans cet ouvrage que les intellectuels critiques qui réifient aujourd’hui la race raisonnent exactement comme les intellectuels révolutionnaires des générations précédentes. qui réifiaient la classe (en l’occurrence le prolétariat). Dans son livre Ce que parler veut dire (Fayard, 1982, p. 218), Pierre Bourdieu avait déjà constaté que ces philosophes marxistes s’efforçaient de discréditer leurs concurrents en conjuguant les deux types d’arguments scientifiques et civiques que les intellectuels critiques nous opposent aujourd’hui. Il avait alors mis en cause la violence symbolique qui consistait à cumuler « deux principes de légitimation : l’autorité universitaire et l’autorité politique » pour échapper à la critique. A la même époque Michel Foucault avait, lui aussi, pris ses distances avec les intellectuels qui parlaient au nom du prolétariat en leur reprochant de confondre l’insulte et l’argumentation : « Si j’ouvre un livre où l’auteur taxe un adversaire de « gauchiste puéril », aussitôt je le referme. Ces manières de faire ne sont pas les miennes ; je n’appartiens pas au monde de ceux qui en usent. À cette différence, je tiens comme à une chose essentielle : il y va de toute une morale, celle qui concerne la recherche de la vérité et la relation à l’autre ».

    • https://seenthis.net/messages/896758

      Les intellectuels à l’heure des réseaux sociaux - 14 janvier 2021 - #Gérard_Noiriel

      Après avoir vaillamment combattu le « totalitarisme », ils [les « intellectuels de gouvernement »] sont aujourd’hui vent debout contre « l’islamisme ». Face à eux se dressent les « intellectuels critiques », qui sont les héritiers des « intellectuels révolutionnaires » de la grande époque du mouvement ouvrier. Certains d’entre eux prônent encore la lutte des classes, mais leur principal cheval de bataille aujourd’hui, c’est le combat contre le « racisme d’Etat » et « les #discriminations » ; les « racisé-e-s » ayant remplacé le #prolétariat.

      Ces deux pôles antagonistes peuvent s’affronter continuellement dans l’espace public parce qu’ils parlent le même langage. Les uns et les autres sont persuadés que leur statut d’#universitaire leur donne une légitimité pour intervenir sur tous les sujets qui font la une de l’actualité. Ils font comme s’il n’existait pas de séparation stricte entre le savant et le politique. Les intellectuels de gouvernement ne se posent même pas la question car ils sont convaincus que leur position sociale, et les diplômes qu’ils ont accumulés, leur fournissent une compétence spéciale pour traiter des affaires publiques. Quant aux intellectuels critiques, comme ils estiment que « tout est politique », ils se sentent autorisés à intervenir dans les polémiques d’actualité en mettant simplement en avant leur statut d’universitaire.

      Et fini par :

      Dans le même temps, pour donner un peu de crédibilité à leur entreprise, ils [les journalistes] sollicitent constamment des « experts », le plus souvent des universitaires, transformés en chasseurs de « fake news » , qui acceptent de jouer ce jeu pour en tirer quelques profits en terme de notoriété, de droits d’auteurs, etc.