Traque du coronavirus : la bonne solution attend toujours… un feu vert - France - Le Télégramme
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En décembre dernier, à Marseille, les marins-pompiers détectent la contamination à la covid-19 des eaux usées. Le variant anglais, 50 % plus contagieux que la souche actuelle, pourrait devenir majoritaire en France d’ici à quinze jours. Le réseau Obépine permettrait de détecter les foyers et d’agir en conséquence, avant que l’épidémie ne flambe… début mars.
Photo d’archives Valérie Virel/La Provence/PhotoPQR/MaxPPP
Face à la menace des variants, pourquoi l’outil du dépistage dans les eaux usées n’est-il pas davantage sollicité ? Permettant de détecter plus tôt le Sars-CoV-2, il pourrait aussi éviter une troisième vague massive et un confinement généralisé. L’absence de décision sidère les scientifiques.
Quand la note de la Direction générale de la santé (DGS), estampillée « urgent », sur la « stratégie de freinage de la propagation » des variants du coronavirus est tombée, le 7 février dernier, le Pr Yves Buisson a poussé un long soupir. « On refait les mêmes erreurs », se désole le président de la cellule covid-19 de l’Académie de médecine.
Un gros atout, surtout face aux variants plus contagieux
Désormais, tout test covid positif doit faire l’objet d’un second test dans les 36 heures, stipule la note. Le but ? Déterminer s’il s’agit d’une contamination par un variant (anglais, sud-africain ou brésilien, beaucoup plus contagieux, NDLR). « Ce n’est pas la bonne méthode, tranche le Pr Buisson. Quand on a cette info, il est déjà trop tard. Cela veut dire que le virus circule déjà depuis plusieurs jours ou semaines… ».
Si le Pr Buisson est dépité, c’est parce qu’à ses yeux, il existe un moyen « très fiable » de ne pas se faire distancer : le dépistage du virus dans les eaux usées. Le principe est simple : toute personne contaminée, en allant aux toilettes, et avant même qu’elle ne développe éventuellement des symptômes, va excréter du virus dégradé, qui se retrouvera dans les eaux usées… où une équipe de chercheurs français, créée dès le 5 mars 2020 et fédérée en réseau (Obépine pour Observatoire épidémiologique dans les eaux usées), sait le déceler.
Deuxième vague détectée avec deux mois d’avance
L’intérêt de cette méthode est double. Un : c’est un détecteur précoce (y compris des cas asymptomatiques). « En Ile-de-France, nous avons repéré les prémices de la 2e vague dès juillet, avec deux mois d’avance, alors que les autres indicateurs (taux d’hospitalisation, appels au 15 et à SOS médecins, etc.) ne révélaient rien », explique Vincent Maréchal, enseignant-chercheur en virologie (Sorbonne et Centre de recherche Saint-Antoine) et l’un des cofondateurs d’Obépine.
Deux : c’est beaucoup plus souple et simple à mettre en œuvre, et « _pour un coût dérisoir_e » par rapport à un testing de la population (pour l’instant, 250 euros par prélèvement et par site). La ponction de 10 ml à 30 ml d’eaux usées suffit pour mesurer la contamination au sein de bassins de milliers à plusieurs centaines de milliers d’habitants, selon la taille de la station.
Frappe chirurgicale ou napalm ?
Tout est presque prêt, et le réseau n’attend qu’un feu vert, et un financement, pour intégrer la coûteuse identification (le séquençage) des variants. « C’est le meilleur marqueur prédictif. Il permettrait de prendre rapidement les mesures les plus adaptées à une situation locale, et d’en mesurer très rapidement les effets. À terme, il permettrait de déceler les dernières poches de transmission et de connaître l’impact de la vaccination », plaide le Pr Buisson, qui ne comprend pas davantage pourquoi cette piste est « négligée ». Pourquoi hésiter entre la microchirurgie préventive et la chimiothérapie lourde ? Tir ciblé ou napalm ?
Après un communiqué de l’Académie de médecine, le 7 juillet 2020, le ministère de la Recherche a réagi, et dégagé 3,5 millions d’euros pour démontrer l’efficacité du procédé. Il a également validé l’objectif d’un maillage territorial avec 150 stations de traitement des eaux usées. « L’efficacité, c’est fait, et on affine l’outil prédictif. Mais il n’y a aucune avancée pour le séquençage. J’ai l’impression de revivre le mois de mars 2020… », s’étrangle Vincent Maréchal. Qui pointe les groupes privés ayant flairé le bon filon, et qui commencent à proposer aux collectivités locales ce service, « sans la même garantie d’expertise »… à un coût plus de huit fois plus élevé.
Promesse d’un règlement rapide
Alors pourquoi ça bloque ? « C’est d’abord un problème de culture médicale. Les médecins ne sont pas formés à prendre en compte des indicateurs autres qu’humains », avance Vincent Maréchal. Le virologue désigne aussi un « problème lié au système qui ne sait pas réagir et s’adapter à l’urgence et à l’inconnu ». « Les pouvoirs publics sont très intéressés mais on a perdu beaucoup de temps à naviguer dans les méandres des administrations. Les variants, eux, n’attendent pas. Il est urgent d’agir vite désormais », insiste Vincent Maréchal, évoquant également « des tensions sur la disponibilité des réactifs » nécessaires aux analyses. Ce mercredi, après la sollicitation du Télégramme auprès de la Direction générale de la Santé, Vincent Maréchal a reçu l’assurance d’un « règlement favorable et rapide ».