• Quelle économie morale des produits pharmaceutiques voulons-nous ? | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2021/02/11/quelle-economie-morale-des-produits-pharmaceutiques-voulons-nous

    Ainsi, s’il est possible, en recoupant les informations transmises par les journaux, de savoir environ combien d’argent public a été donné à la recherche, à la production et à l’achat de médicaments, on ne peut pas savoir combien exactement est donné à chaque firme, ce que coûte en tout la recherche aux finances publiques, ce que les firmes investissent elles-mêmes, ce à quoi revient la production des vaccins, quels sont les prix fixés par les firmes, ou encore ce que montrent en détail les essais cliniques sur leurs effets.

    L’économie politique des produits pharmaceutiques est aussi prise dans une économie morale.

    Les produits pharmaceutiques s’inscrivent dans une économie politique : leur développement et leur usage sont régis par un système de lois et de règles, par les termes des contrats qui lient la puissance publique à l’industrie privée, ou les firmes entre elles, et déterminent la production, l’organisation et la circulation des ressources, des biens et des prestations. Mais cette économie politique des produits pharmaceutiques, et plus généralement notre rapport en tant que société à la santé et aux produits de santé, sont aussi pris dans une économie morale.

    Le système de lois et de règles qui gouvernent le développement, la production et l’usage des produits pharmaceutiques a été largement façonné par l’action collective de grandes firmes pharmaceutiques à partir des années 1980. Il s’agit en particulier des textes sur la protection de la « propriété intellectuelle » qui permettent aux firmes de contrôler le savoir sur les produits pharmaceutiques mais aussi l’ensemble des usages qui en sont faits (achat, vente, production, importation, exportation, etc.). Au travers des brevets accordés par les États, il est possible aux firmes de jouir de monopoles sur les médicaments, les vaccins ou les produits de diagnostic, ce qui leur donne une position privilégiée sur les marchés, étant la seule source possible des produits concernés, et ainsi en position de force pour fixer les prix.

    L’action collective conduite par de grandes firmes multinationales s’est appuyée sur des pratiques classiques de lobbying, mais aussi sur la construction d’un consensus social sur les rôles, les droits et les devoirs des différents acteurs. Ce consensus repose notamment sur l’idée que l’industrie pharmaceutique a pour aspiration et pour vocation d’amener de nouveaux remèdes aux populations, qu’elle est la seule à avoir les moyens de le faire, et qu’elle doit être soutenue pour le faire, à travers des monopoles ou tout autres moyens.

    Si la santé est souvent présentée comme un droit supérieur, les produits de santé sont avant tout traités comme des marchandises, parce qu’au fond est acceptée l’idée que leur développement et leur accès sont assurés par des mécanismes de marché. L’efficacité de l’industrie à influer sur l’économie politique du médicament tient en grande partie à l’adhésion généralisée à ces conceptions durant les trois dernières décennies.

    Au-delà de la perplexité que l’on peut ressentir, il faut sans doute garder un œil sur ce qui agite cette économie morale. Car, si l’avènement de vaccins contre le Covid-19 est aussi mis en récit comme un succès phénoménal pour « Big Pharma » et l’occasion de redorer son blason, les conditions de l’ébranlement de l’économie morale dominante pourraient ne plus être loin. Les difficultés d’accès aux produits de santé se multiplient rapidement ces dernières années dans les pays riches. En France, la difficulté à assurer le principe de « l’universalité de l’accès », au moins pour la plus grande majorité[2], est croissante. Les épisodes de tensions se succèdent : débats sur les prix et l’accès à des traitements contre l’hépatite C, contre certains cancers, pour les traitements contre des « maladies orphelines », et maintenant limitation de l’accès aux vaccins contre le Covid-19.

    L’État contemporain est censé protéger son peuple contre la maladie et la mort, la légitimité de son pouvoir est construite ainsi. Mais, alors que le poids donné aux composantes biomédicales est de plus en plus écrasant dans les politiques de santé (au point qu’on finit par confondre outil et politique), si l’érosion de l’accès aux produits se développe et que la réalité de l’égalité est de plus en plus difficile à soutenir, le gouvernement exercé au nom de la santé pourrait se trouver mis en question.

    Quelle est l’économie réelle des produits pharmaceutiques ? Pourquoi ne pourrait-on pas être transparent sur les contributions, les coûts et les prix ? Comment les ressources publiques sont-elles utilisées ? Au bénéfice de qui ? Le fait que l’épidémie de Covid-19 produise un destin commun à l’ensemble de l’humanité pourrait même donner à ces questions une résonance sans précédent et indisposer un nombre grandissant de gouvernements.

    #Médicaments #Vaccins #Covid_19 #Big_pharma #Communs #Santé_publique #Gaelle_Krikorian

  • Maternelle en danger ! | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2021/02/07/maternelle-en-danger

    Or cette note, écrite sous la houlette de scientifiques soigneusement sélectionnés se caractérise par un bricolage de copiés-collés qui font la démonstration de l’incompétence didactique et pédagogique des rédacteurs, émaillée d’incohérences multiples et d’assertions erronées sur les programmes précédents. Jusqu’à remettre en cause la fonction essentielle de l’école maternelle.

    Il faudrait désormais être déjà élève pour entrer dans les apprentissages scolaires, puisqu’un bilan de compétences est prévu dès le début de la petite section ! Aux familles d’y préparer leurs enfants ! Et pour celles qui ne pourront pas, reste le loto de « l’égalité des chances » ou la croyance aux « talents naturels ». Plus aucune trace des activités artistiques et physiques, mais une course folle aux évaluations où l’on retrouve « en même temps » au nom des « fondamentaux » un maigre viatique destiné à augmenter le taux de réussite aux évaluations de début de CP et des apprentissages technicistes et utilitaires totalement inadaptés à l’âge des jeunes élèves.

    Le recours au jeu, convoqué à l’envi, n’est qu’un terrible mensonge quand il est détourné de ses véritables enjeux pour faire écouter, répéter, mémoriser, autant d’exercices qui ne suffisent pas à apprendre quand ils ne permettent pas de comprendre. La « bienveillance » ne saurait masquer la stigmatisation dès 3 ans, une sélection qui assigne les enfants à leurs origines, alors qu’ils sont tous « capables d’apprendre et de progresser » comme l’indiquaient les programmes de 2015.

    Rien de ce qui relève des acquisitions liées à l’enseignement de l’éducation physique, des arts plastiques, de la musique par exemple ne serait-il donc fondamental à cet âge ? Les auteurs ont-ils pris la mesure de l’importance du changement du titre du domaine du programme de 2008 « Agir et s’exprimer avec son corps », devenant en 2015 « Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique » ? Il est probablement vain d’attendre davantage d’un ministère qui, dans un communiqué lié aux échéances du calendrier olympique, souhaite « transmettre aux élèves le goût et le réflexe de bouger chaque jour » par trente minutes d’activité physique quotidienne. Comme s’il s’agissait d’une affaire de « goût », d’une question de « réflexe » et qu’il ne s’agissait que de « bouger » !

    S’approprier les règles d’un jeu, tenir un rôle de joueur ou d’arbitre, proposer des évolutions, imaginer des stratégies possibles, observer un partenaire pour l’aider à progresser, engagent des opérations mentales de haut niveau. Mesurer les effets de ses actions, chercher des solutions motrices adaptées, comprendre comment l’autre s’y prend et pourquoi il réussit, participent fondamentalement au développement de l’intelligence du jeune enfant. Et ceci s’apprend. Réussir en maternelle, comme pour la suite de la scolarité, c’est transformer un rapport au monde hérité de son milieu pour construire, avec les autres, sa propre singularité.

    L’étroitesse de vue de la note du CSP est caractéristique de choix politiques qui ne s’intéressent pas au développement global des enfants, en particulier ceux issus des classes populaires et qui n’ont que l’école pour apprendre, l’école dans toutes ses dimensions. Les blancs du texte de cette note en disent long sur l’étroitesse d’ambition pour ce niveau de scolarité.

    Certaines modifications sont cependant signifiantes. « Langage » est systématiquement remplacé par « langue » : ce qui prime en effet dans ces nouvelles recommandations, c’est l’objet « langue », ce que confirme l’insistance sur les aspects lexicaux et syntaxiques, et non le « langage », la mise en œuvre de cette langue par les enfants, comme si la connaissance d’un vocabulaire étendu et de la grammaire suffisaient pour savoir/pouvoir parler. De même « raconter, décrire, évoquer, expliquer, questionner… » deviennent « fonctions de la langue » et non du langage comme si les formes codifiées ne variaient pas avec l’intention de l’auteur, la situation d’énonciation etc. qui en différencient ainsi les usages.

    En fait, l’élève n’est plus considéré comme sujet qui s’essaie au langage mais comme réceptacle de savoirs en langue. Des conceptions de l’apprentissage et du langage s’opposent ainsi dans ces réajustements : apprendre à parler consiste-t-il pour un tout jeune enfant à accumuler du matériau linguistique pour « pouvoir » ensuite parler ou à s’essayer à mettre en œuvre ce qu’il possède pour, au gré des apprentissages, développer son capital linguistique ?

    Défendre la mission spécifique de l’école maternelle

    Les travaux de recherche montrent que ce sont les conditions du passage de la socialisation familiale à la socialisation scolaire qui créent des différences scolaires. En effet, si tous les enfants sont porteurs d’une expérience, d’une culture, leurs histoires singulières impactent leur plus ou moins grande familiarité avec l’univers scolaire. Pour que les différences ne deviennent pas des inégalités, l’école maternelle joue un rôle spécifique, qui doit prendre en compte l’âge des enfants pour transmettre des apprentissages culturels fondateurs.

    Certaines formulations de la note ne s’en préoccupent guère et, en véhiculant une idéologie fort inquiétante, dans l’air du temps gouvernemental, confirment que là n’est pas le projet puisqu’il s’agit de « conforter le sentiment d’appartenance du jeune enfant à la communauté́ nationale » ou encore d’aborder la langue, précisée française, (des enseignants en enseigneraient-ils une autre ?) comme « facteur de cohésion nationale et de rayonnement culturel, [qui] constitue le socle de son identité́ en France et dans le monde ».

    Par un rabattement sur des disciplines dites fondamentales, par une ignorance des liens qui existent entre toutes les disciplines en devenir de l’école maternelle, ce texte patchwork signe une orientation pseudo techniciste indigne de la mission de l’école.

    #Education #Ecole_maternelle #Culture #Education_physique