Avraham Burg, le Juif qui renie le camp des « maîtres » en Israël

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  • Avraham Burg, le Juif qui renie le camp des « maîtres » en Israël
    Par Thierry Oberlé - Publié le 10/02/2021
    PORTRAIT - Ancien président de la Knesset et ex-patron de l’Agence juive, ce descendant d’une puissante dynastie sioniste ne veut plus être considéré comme appartenant à la « nationalité juive ».

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    Il reçoit dans son repaire d’érudits. La bibliothèque de l’institut œcuménique de Tantur, vaste domaine lové sur la route de Bethléem, est plongée dans la pénombre. Un violent orage gronde. Le centre de recherche chrétien, un organisme impliqué dans la résolution des conflits, est désert. Le Covid-19 a chassé ses résidents et ses chercheurs. Vêtu de noir, le crâne chauve, fines lunettes, Avraham Burg vient y travailler dans un silence de cathédrale. « J’ai la chance d’écrire dans ce monastère parmi les livres », dit-il. La salle de lecture, l’une des mieux achalandées de Terre sainte sur les questions de théologie chrétienne, compte quelque 65.000 volumes. Au vu de ce décor, on pense au Nom de la rose et à ses bénédictins.

    Retiré de la vie politique, l’ancien président de la Knesset et éphémère président de l’État d’Israël a rédigé six livres et s’attelle au septième. L’un d’eux, Vaincre Hitler, a été traduit en français. « Je travaille sur une cartographie des textes (...)

    #Payant
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    Retiré de la vie politique, l’ancien président de la Knesset et éphémère président de l’État d’Israël a rédigé six livres et s’attelle au septième. L’un d’eux, Vaincre Hitler, a été traduit en français. « Je travaille sur une cartographie des textes vénéneux du judaïsme et sur les moyens de les juguler pour qu’il y ait une civilisation juive sans ces poisons, une civilisation universelle et de gauche », confie cet intellectuel atypique.
    Chemins de traverse

    Avraham Burg, Avrum comme on l’appelle, a pris ses distances avec la scène politicienne israélienne, mais il continue à animer la vie publique. Sa dernière initiative a semé la stupeur. Il veut effacer sa qualité de « Juif » des registres administratifs de son pays. Il entend ainsi protester contre la loi de l’État-nation du peuple juif votée par la Knesset en 2018.

    Le texte grave dans le marbre des lois fondamentales d’Israël les principes de la Déclaration d’indépendance de 1948 avec ses symboles, tels que le drapeau ou l’hymne national. Elle affirme que seul le peuple juif peut exercer « son droit naturel, culturel, politique et religieux à l’autodétermination ». Elle précise que l’hébreu est l’unique langue officielle et l’arabe une langue dotée d’un « statut spécial ». Les opposants à la loi lui reprochent de ne pas rappeler les termes de la Déclaration d’indépendance sur l’égalité sans distinction de religion, de race ou de sexe. Autrement dit de négliger la minorité arabe israélienne, qui représente 20% de la population.

    Avraham Burg est dans le camp des protestataires. De nombreux recours ont été déposés devant la Cour suprême. L’ex-président du Parlement de 1999 à 2003 emprunte, pour sa part, des chemins de traverse. Quitte à passer, aux yeux de ses détracteurs, au mieux pour un provocateur, au pire pour un fou. « Expliquer ma démarche à un Français est compliqué », dit cet homme, marié à une Française, Anne-Joëlle, dont le père strasbourgeois, Lucien Lazare, 96 ans, fut un maquisard de la résistance juive et un compagnon de route de Simone Veil dans le projet d’ouverture du Panthéon aux Justes.

    « La France est une nation qui a grandi avec l’idée que les citoyens sont tous français. L’État et la Ve République ne s’intéressent pas à l’identité de l’individu. En Israël, nous avons créé un État juif qui s’est engagé à une ouverture vers tous les citoyens. Cette vision n’a pas été appliquée pour les Arabes et les Juifs non orthodoxes, mais elle a existé. Elle est rompue par la loi de l’État-nation », estime-t-il.

    Il est nécessaire que des personnes pensent autrement. C’est essentiel d’un point de vue juif de sanctifier la différence

    Avraham Burg

    Il poursuit : « Dans l’histoire juive de la diaspora, l’argumentaire politique reposait sur l’égalité et le droit à la différence ce qui correspond aux idéaux de la Révolution française. Avec cette loi, on me dit que moi, fils de ce judaïsme historique, je peux être égal mais je ne peux pas être différent. On crée un nouveau peuple auquel, à titre personnel, je n’appartiens pas. J’appartiens au judaïsme, je parle la langue du judaïsme, je suis relié à son système de valeurs, je le représente dans mes prises de position, mes points de vue et mon écriture mais il est nécessaire que des personnes pensent autrement. C’est essentiel d’un point de vue juif de sanctifier la différence. »

    Fort de son raisonnement, Avraham Burg va aller devant les tribunaux. Il attend d’abord les réponses aux recours contre la loi formulés devant la Cour suprême, même s’il a peu d’espoir qu’ils soient validés – et même s’il considère, en tant qu’ex-président du Parlement, que les débats de la Knesset n’ont pas à se poursuivre devant la Cour suprême. « Cela affaiblit le rôle des députés et incite à des attaques contre la juridiction », dit-il.

    Dans un parallèle distinct de son initiative, des centaines de citoyens ont lancé le mouvement « Je suis israélien » pour être enregistrés sous ce qualificatif dans les registres administratifs. Voici maintenant près de vingt ans que les mentions « juif », « arabe », « musulman » ou « chrétien » ont été effacées des cartes d’identité, mais pas des registres de population. « J’attends ma confrontation avec l’appareil judiciaire. Je ne demande pas que l’on définisse quelque chose de nouveau, comme une nation hébraïque, israélienne ou cananéenne. J’affirme juste que je ne m’inscris pas dans la définition de la loi de l’État-nation », précise-t-il.
    « Pensées alternatives »

    Lorsqu’il est interrogé sur la marginalité de sa position, Avraham Burg sourit. « Il n’y a que les poissons morts qui suivent le flot de la rivière, commente-t-il en prenant les critiques à son égard comme des compliments. Il y a le point de vue dominant, mais aussi des gens qui n’ont pas le courage de s’exprimer par confort ou manque d’articulation. Tant pis ! Le rôle des intellectuels est de développer des pensées alternatives. »

    Âgé de 65 ans, ce Franco-Israélien est un pur produit de l’establishment ashkénaze. Né en Allemagne, son père, Yosef Burg, fut l’un des fondateurs du Parti national religieux, un parti charnière de centre droit qui, au siècle précédent, était de tous les gouvernements de gauche comme de droite. Il a été onze fois ministre. « Une blague racontait à l’époque que des savants israéliens avaient ressuscité une momie égyptienne qui leur avait demandé si Yosef Burg était toujours ministre, se souvient le journaliste et écrivain Charles Enderlin. Il a claqué la porte du gouvernement une fois en 1976 sous la pression du mouvement messianique, dont l’influence grandissait. »

    Avraham Burg a suivi le cursus classique des jeunes gens de l’intelligentsia de l’époque, de l’armée à l’université hébraïque de Jérusalem. Influencé par le pacifisme, militant du mouvement « La paix maintenant », il est blessé par un tir de grenade dans une manifestation au cours de laquelle un de ses camarades est tué. Il conseille le premier ministre travailliste Shimon Peres, est élu à la Knesset et prend ensuite la tête de l’Agence juive, l’organisme chargé de l’immigration juive en Israël. Il gère à ce titre l’épineux dossier des biens juifs spoliés lors de la Shoah. Puis il préside le Parlement, mais son échec dans la course à la présidence du Parti travailliste contribue à son ras-le-bol des simulacres de la politique politicienne.
    Sombre tableau

    Aujourd’hui, le Parti travailliste, l’un des piliers de la création de l’État hébreu, joue sa survie à chaque élection. Avraham Burg n’est pas tendre à son égard. La chronique de sa relation avec la gauche israélienne est une suite de rendez-vous manqués ou de combats souvent perdus. « En 1992, j’étais seul contre le parti pour batailler en faveur de la séparation de l’État et de la religion. Nous ne l’avons pas fait et nous en payons le prix. En 2003 j’ai écrit que le sionisme est mort et que l’occupation des Territoires palestiniens l’avait tué. On a voulu me tuer. Dans mon livre Vaincre Hitler j’ai dénoncé l’utilisation cynique de la Shoah à des fins politiques et le racisme de la société israélienne, on était en colère contre moi », se rappelle-t-il.

    Il se veut avant-gardiste et juge avec le recul qu’il n’y a, peut-être, « jamais eu de gauche israélienne ». « La gauche est définie ici uniquement en fonction du conflit israélo-palestinien. Or, le sujet palestinien est sorti des agendas en Israël, en Palestine, chez les Arabes et en Occident. Cette relégation a mis en relief avec une puissance un peu plus forte ce qui n’est pas un grand changement : une société très à droite », affirme Avraham Burg.

    Que signifie appartenir au peuple élu ? Que nous sommes plus intelligents ? Que Dieu nous préfère ? Que notre sang est meilleur qu’un autre ?

    Avraham Burg

    Le tableau qu’il dresse est sombre. Selon lui, l’énergie collective provoquée par la naissance d’Israël est morte, la société s’est désintégrée et la politique est devenue une « activité très efficace sans prophétie ». Il ne porte pas la kippa, sauf à la synagogue. Les sionistes religieux le détestent et beaucoup d’Israéliens considèrent qu’il s’est autoradicalisé. « Que signifie appartenir au peuple élu ? Que nous sommes plus intelligents ? Que Dieu nous préfère ? Que notre sang est meilleur qu’un autre ? Cette conception ne peut pas fonctionner avec une démocratie élective », assène l’ex-patron de l’Agence juive. Dans sa déclaration sous serment qu’il soumettra au tribunal de district de Jérusalem, il écrit qu’il ne se considère plus comme appartenant à la nationalité juive. Il ajoute qu’il ne veut pas être classé comme tel car cela implique désormais « l’appartenance au groupe des maîtres ».