Les pénuries de médicaments s’aggravent au Liban

/les-penuries-de-medicaments-s-aggravent

  • Les pénuries de médicaments s’aggravent au Liban
    https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/13/les-penuries-de-medicaments-s-aggravent-au-liban_6069844_3210.html

    Aller d’une pharmacie à une autre, s’entendre dire qu’antibiotiques ou sérums médicaux sont indisponibles, poursuivre avec opiniâtreté et inquiétude : Habib Battah passe souvent des journées entières avant de trouver les remèdes pour son père en fin de vie, soigné à domicile faute de place dans les hôpitaux, saturés par les malades du Covid-19. Au Liban, avec l’aggravation de la crise financière, les pénuries chroniques de médicaments se multiplient. « C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. C’est très angoissant, très chronophage aussi. Mais je n’ai pas d’alternative. On est contraints de s’adapter », dit le jeune quadragénaire, journaliste indépendant et fondateur du site Beirut Report.
    Dans une pharmacie située dans la banlieue est de Beyrouth, une cliente est invitée à revenir une semaine plus tard pour son médicament. « Ne pas pouvoir répondre aux besoins détruit la relation de confiance, se désole Joanna Francis, la pharmacienne. Que peut-on répondre à un parent qui demande “comment vais-je nourrir mon bébé ?”, parce qu’il n’y a pas de lait infantile disponible ? » Sur les étagères, seules quelques rares boîtes de lait sont disposées.
    Se procurer des médicaments, dont plus de 80 % sont importés, est devenu un casse-tête pour de nombreux Libanais. Même le sacro-saint Panadol, un antidouleur très utilisé, est difficile à trouver. Apparues à l’automne 2020, un an après l’éclatement de la crise financière, les pénuries s’aggravent. Face à l’effondrement des réserves en devises de la Banque centrale, ses subventions sur les produits de première nécessité comme les médicaments sont menacées à court terme. Les quantités distribuées aux pharmacies sont rationnées. Un marché noir s’est mis en place. Un cercle vicieux s’est en outre installé. Des fournisseurs ou des pharmacies sont accusés de cacher leurs stocks dans l’optique de réaliser de juteuses marges une fois les subventions levées. Des clients paniqués ont acheté en quantité, accentuant la pression sur le secteur pharmaceutique. Un trafic de contrebande s’est instauré, dont l’échelle est inconnue. « Mais le problème principal est d’ordre financier », assure une source au ministère de la santé.
    Cherchant à anticiper le scénario noir d’une fin ou d’une révision des subventions sans amortisseur, qui frapperait les plus pauvres, un comité a planché sur une rationalisation du système. Mais ses recommandations sont dans les tiroirs du Parlement. « Si les subventions prennent fin brutalement, ce sera un désastre », prédit le docteur Firas Abiad, qui dirige l’hôpital public Rafic-Hariri, à Beyrouth. Bien que celui-ci reçoive des donations internationales, notamment pour la lutte contre le Covid-19 – qui a fait plus de 3 800 morts dans le pays –, il est confronté aux pénuries intermittentes : « Quand un manque apparaît, on le colmate, puis un autre surgit. Il est très difficile de prévoir les pénuries. » Pour poursuivre leur traitement, des Libanais s’appuient sur la solidarité, leurs relations ou les réseaux sociaux. Shaden Fakih, jeune comédienne de stand-up, a ainsi rendu publiques ses difficultés d’approvisionnement sur son compte Instagram. Cela, et des boîtes rapportées d’Europe par un ami, lui a permis de sécuriser pour un temps les médicaments dont elle a besoin, souffrant d’une maladie auto-immune ainsi que de troubles obsessionnels compulsifs. « Trouver les anticoagulants est une priorité absolue. Mais je sais ce que signifie une crise d’angoisse, et j’ai besoin de l’autre médicament aussi. Je me sens toutefois privilégiée, j’appartiens à la classe moyenne, et je suis entourée. »
    D’autres se tournent vers le secteur associatif, qui doit répondre à des besoins grandissants : la société se paupérise à toute vitesse. « Le nombre de nos bénéficiaires a doublé, dit Malak Khiami, pharmacienne à l’ONG Amel, dédiée à la santé. Parmi eux, certains viennent dans nos centres faute de trouver des médicaments ailleurs. Nous avons sécurisé des stocks jusqu’à l’été, en mettant l’accent sur les maladies chroniques et la pédiatrie. Et nous sommes très attentifs à ce que nous prescrivons. »
    Le docteur Jamal Al-Husseini (à gauche) tend une ordonnance à son assistant dans sa clinique, dans le camp de Chatila, Beyrouth, le 9 février 2021.En périphérie de Beyrouth, dans le camp de Chatila, lieu historique des réfugiés palestiniens, où les Syriens sont devenus les plus nombreux, les visages sont fatigués. Pour ceux qui sont aux marges de la société, la crise économique est un rouleau compresseur. Imane, Syrienne, a compté : il ne reste plus que quelques comprimés du traitement de son fils épileptique de 13 ans. « Après, je n’ose imaginer ce qui se passera, dit-elle. Pourvu qu’un médecin puisse trouver un substitut ! » Elle aussi fait le tour des pharmacies, y compris loin du camp aux ruelles étroites.
    Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le Liban précipité dans l’abîme
    Des médicaments venus de Syrie, moins coûteux, y sont devenus plus nombreux. Ils parviennent au Liban hors du circuit officiel. « Si leur nombre augmente, et pas seulement dans les camps, c’est faute d’alternative », déplore le docteur palestinien Jamal Al-Husseini, en plaçant sous oxygène un malade du coronavirus. Ces bouteilles proviennent de dons de la diaspora palestinienne. « Jusqu’à présent, on arrive encore à soigner les gens. Mais cela va devenir de plus en plus difficile », redoute-t-il.

    #Covid-19#migrant#migration#liban#syrie#refugie#camp#chatila#palestien#sante#crise#medicament#circulationthérapeutique#diaspora