• Sciences-Po : une réforme du concours risque d’exclure des lycéens modestes
    18 février 2021 Par Yoram Melloul
    https://www.mediapart.fr/journal/france/180221/sciences-po-une-reforme-du-concours-risque-d-exclure-des-lyceens-modestes
    Les élèves non-boursiers des lycées partenaires de la Convention éducation prioritaire de Sciences-Po (CEP) devront désormais payer 150 euros de frais de candidature sur Parcoursup. Plusieurs professeurs interrogés craignent que le coût ne dissuade de nombreux élèves de postuler.

    Stupeur pour Nora*. Ce 9 février, comme chaque mardi, cette élève de terminale se rend à la « prépa Sciences-Po » du lycée Michel-Ange à Villeneuve-la-Garenne, dans les Hauts-de-Seine. Ce jour-là, la session démarre par une annonce : les non-boursiers devront payer 150 euros de frais d’inscription pour présenter leurs dossiers de candidature à Sciences-Po via Parcoursup. Et ce, sans aucune garantie d’être reçus.

    Silence dans la classe. « On est tout aussi choqués que vous », dit aux élèves Marion Giuliani, l’une des deux enseignantes présentes ce jour-là. Michel-Ange fait partie de la centaine de lycées membres du dispositif des Conventions éducation prioritaire (CEP). Ce partenariat lancé en 2001 doit permettre à Sciences-Po Paris de « diversifier [son] corps étudiant » à travers « une voie d’accès sélective destinée aux élèves méritants scolarisés dans des lycées relevant de l’éducation prioritaire », indique le site internet de l’école. Les années précédentes, la candidature était gratuite pour tous les élèves des lycées membres, boursiers ou non.

    Pas (encore) boursiers, pour autant loin d’être aisés

    Selon le prestigieux établissement parisien, qui a fait de ces conventions une vitrine, ces nouveaux frais sont justifiés par l’intégration à Parcoursup : jusque-là, les lycées faisaient un premier tri des candidat·e·s. Une opération que l’IEP devra désormais gérer en interne. Par ailleurs, Sciences-Po estime que le dispositif s’est « éloign[é] du public cible que sont les boursiers de l’enseignement secondaire » et assume de les cibler en priorité.

    Mais l’école ne semble pas avoir été claire avec les lycées partenaires, qui s’inquiètent des conséquences dans les lycées les plus défavorisés. « Ça me rend malade d’imaginer demander à des gamins motivés qui sont prêts à s’investir : “C’est chouette, mais est-ce que tu es boursier ?” », s’attriste Marion Giuliani.

    La façade de Sciences Po à Paris © Franck FIFE / AFP La façade de Sciences Po à Paris © Franck FIFE / AFP

    Certains lycées partenaires ont découvert ces nouvelles règles à l’ouverture de Parcoursup, quatre mois après le début des ateliers de préparation. « 150 euros, c’est une somme !, s’indigne Violaine Piquard, chargée du dispositif depuis treize ans dans l’établissement. C’est l’un des lycées les plus défavorisés des Hauts-de-Seine. Ici, on n’a pas vraiment de classe moyenne. » Une grande part des élèves, non-boursiers dans le secondaire, le seront dans le supérieur, car les plafonds des revenus pour obtenir une bourse dans l’enseignement secondaire sont très faibles. Ceux-là n’ont pas les moyens de débourser 150 euros.

    Attachées au dispositif CEP qui « motive les élèves et permet aussi de montrer qu’à Michel-Ange, c’est possible de réussir », les deux enseignantes craignent que ces frais surprises ne dissuadent certains de postuler, faute de moyens.

    « On est pris à la gorge, s’énerve la mère de Nora. Ma fille s’investit depuis la seconde. Et on se retrouve mis devant le fait accompli. » Même son de cloche chez une autre maman, qui travaille comme accompagnant d’élèves en situation de handicap à temps partiel. « Je ne sais pas si on va payer, je viens de l’apprendre. Il faut que je voie avec son père… On a beaucoup de frais, on vient de payer le permis de son grand frère. »

    Des lycéens qui cachent la situation à leurs parents

    À une dizaine de kilomètres de là, au lycée Maupassant, à Colombes, la fronde est plus sévère. « On questionne sérieusement le fait de continuer la convention », lâche un professeur. « On est présents deux heures en plus, sur les fonds du lycée. Sans parler des heures de calage, la coordination, les dix enseignants à trouver pour le tutorat… C’est énormément d’énergie déployée » pour sa vingtaine d’élèves de terminale engagés dans cette préparation. « Parmi eux, entre 10 et 15 devront payer. On va faire appel au fonds social du lycée pour les aider. Mais c’est insuffisant… » « Les fonds du lycée ne sont déjà pas très importants… », rebondit Graziella Crocetti, la coordinatrice du dispositif à Maupassant.

    Elle se sent « trahie » et prise entre deux feux. Pour un certain nombre d’élèves, « les ateliers permettent de développer des compétences utiles, même si [elle] sai[t] qu’ils ont peu de chances d’intégrer Sciences-Po » : « Mon discours de vérité serait de leur dire : “Ne dépense pas 150 euros pour une formation à laquelle tu risques de ne pas être pris.” Ils pourraient penser que je ne crois pas en leur potentiel. »

    Plusieurs lycées conventionnés se sont plaints de la situation auprès de l’Institut d’études politiques, qui « réfléchit à une solution de remboursement des frais d’admission pour cette année de transition ».

    En attendant, les élèves, qui ont jusqu’au 11 mars pour faire leurs vœux sur Parcoursup, n’osent pas en parler à leurs parents. Lisa* abandonne la préparation plutôt que « faire gaspiller 150 euros pour rien » à ses parents. Imad*, lui, va « remplir seul le dossier pour le fonds social », sans les prévenir. « Ma mère est gouvernante et mon père cuisinier dans un hôtel. Ils ne touchent pas de grosses sommes. Je n’ai pas envie de les mettre dans une situation où ils culpabilisent. C’est un gros investissement et j’ai peur de les décevoir. »

    Quant à Pablo*, 17 ans, qui veut « vraiment rentrer à Sciences-Po », il consacre plusieurs heures par semaine à la préparation du dossier et au suivi de l’actualité. En plus du lycée, il travaille au supermarché avec un contrat de 19 heures, « mais [il] fai[t] constamment des heures supplémentaires ». Cet argent, il va le sortir de sa poche. « Je veux à tout prix éviter de demander à mes parents. 150 euros, c’est énorme. On remplit le frigo pour trois semaines avec ça. »

    #parcousup #sciencespo #discrimination #classes_sociales

    • Pour l’obtention d’une bourse il me semble qu’il y a aussi l’éloignement du domicile qui compte et du coup si une lycéenne toulousaine postule pour sciencespo paris, elle n’as pas encore sa bourse, puisque elle est pas encore étudiante ni parisienne, du coup c’est 150€ directe et si elle postule pour plusieurs écoles, c’est combien de fois 150€ car si science po fait payé les postulantes les autres vont le faire aussi.

  • Vous reprendrez bien un petit fichier des familles ?

    https://www.mediapart.fr/journal/france/180221/un-nouveau-logiciel-de-collecte-de-donnees-inquiete-les-educateurs-special

    Encore intitulé « Logiciel de recueil de données » – « mais on va changer le nom », assure Daniel Dose –, cet outil façonné depuis trois ans, et dont la mise en place a été confiée au prestataire informatique Formasoft, est proposé aux adhérents du CNLAPS, soit plus d’une centaine de structures. Il est actuellement en phase finale d’essai notamment en Moselle, à Marseille, en Corse et à Toulouse. Selon les endroits, il devrait entrer en fonction dans les semaines ou les mois à venir.

    Pour G.*, éducatrice à Toulouse, ce logiciel « pose un vrai problème si on le met en relief avec la réalité de notre pratique ». Historiquement, la prévention spécialisée est exercée par des « éducateurs de rue » qui interviennent sans mandat nominatif et hors cadre judiciaire ou administratif, pour « permettre à des jeunes en voie de marginalisation de rompre avec l’isolement et de restaurer le lien social », résume le CNLAPS.