Comment faire face à ce vortex, qui finit par démagnétiser l’idée même de vérité ? D’abord en identifiant « le besoin que nous avons tous de comprendre le monde à travers des histoires », souligne Giovanni Cattabriga. Ensuite, selon Roberto Bui, en acceptant que « toute fantasmagorie part d’un noyau de vérité avant de le pervertir. Dans ce cas, il s’agit de la lutte des classes, des inégalités grandissantes, et de la distance entre le peuple et les gouvernements ». Selon lui, le conspirationnisme serait donc une forme d’anticapitalisme dévoyé, contre lequel il faudrait raconter une autre histoire. Mais vraie, celle-là.
Donc, QAnon ne serait que l’ultime avatar du « socialisme des imbéciles » de Bebel ? Et la vérité « vraie » serait là, derrière le voile des apparences que les plus lucides seraient en mesure de déchirer pour le plus grand bonheur des masses ? (merci l’avant-garde de ramener le troupeau égaré dans le « bon » pâturage !)
Pourtant, le populisme transversal et les idéologies de crise sont bien les produits du sujet « productif » que l’on cherche toujours et encore à magnifier (identité populaire/nationale à droire, classe en lutte à gauche...). La décomposition de ce sujet accompagne celle de ses conditions de possibilité : l’auto-mouvement de la forme de synthèse sociale appuyée sur la forme-marchandise est en panne depuis cinq décennies. QAnon n’est pas le socialisme des imbéciles, c’est la barbarisation du patriarcat producteur de marchandises en cours de décomposition (et malheureusement, pas d’abolition). Ce n’est vraiment pas le moment d’essayer de lui redonner des lettres de noblesse.