• Les erreurs d’un livre | Michelle Zancarini-Fournel (sur Beaud & Noiriel)
    https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/02/25/erreurs-livre-beaud-noiriel

    On pourrait taxer mes remarques de pointillisme ; cependant, l’exigence de neutralité savante et de scientificité revendiquée tout au long du livre par les auteurs – et attestée dans les notes par leurs publications antérieures – est contredite par ces nombreuses erreurs et leur interprétation orientée. Or il existe une série d’études sérieuses (aucune n’est citée) sur ces différentes configurations socio-historiques qui auraient pu leur éviter ces bévues.

    Mais ce qui frappe en fin de compte dans ce livre, outre la délégitimation des jeunes chercheurs et chercheuses « adeptes de la question raciale » (p. 203) et « qui se trompent de combat » (p. 250), c’est tout ce qui est « mis à l’écart de la discussion », comme disait Pierre Bourdieu. Le concept de classe n’est jamais interrogé, ni dans sa définition, son extension et ses contours, ni dans l’historicité de son usage dans la production scientifique historique et sociologique. Plus étonnant encore, les mutations économiques et sociales dues au système capitaliste néolibéral depuis quarante ans ne sont pas prises en compte dans les explications : la délocalisation des activités industrielles, le chômage de masse malgré les luttes pour l’emploi contre les fermetures des entreprises, l’effondrement de pans entiers de l’activité économique, le développement du travail précaire, tous ces éléments qui expliquent le déclin de l’influence de la classe ouvrière, bien documenté par l’historien Xavier Vigna. Les antiracistes, qui ne sont pas à l’origine de ces profondes transformations, ne sont pas non plus responsables des discriminations et des violences policières, dont il n’est fait aucunement mention.

    Méconnaître et mettre en cause les mouvements antiracistes d’aujourd’hui qui dénoncent « un racisme systémique » (expression reprise dans le jugement d’un conseil de prud’hommes en 2019), c’est refuser de voir que, dans les slogans de novembre 2005, sur les pancartes des manifestations ou encore dans le discours d’Assa Traoré place de la République à Paris le 13 juin 2020, s’exprime une exigence d’universalité plurielle pour que la République française soit conforme à sa devise de liberté, d’égalité et de fraternité. Publier un tel livre dans le contexte politique actuel en France est, pour le moins, une ultime erreur.