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  • « S’ils ne passent pas la frontière, les fraises sont flinguées » : des agriculteurs inquiets si les travailleurs étrangers ne viennent plus
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/02/26/s-ils-ne-passent-pas-la-frontiere-les-fraises-sont-flinguees-dans-le-vauclus

    Julien Bernard le dit sans ambages : « “Des bras pour ton assiette”, ça n’a servi à rien. » Pendant le premier confinement, le maraîcher installé à Uchaux (Vaucluse) a reçu cinquante candidatures en réponse à l’appel des autorités à venir aider les agriculteurs. Sept ont tenu plus d’une semaine : un coiffeur, une toiletteuse pour chien et cinq étudiants. « Les autres nous ont lâché en disant “c’est trop dur !” et ne sont jamais revenus », rapporte le benjamin de la famille, cogérant de l’exploitation avec son frère Sylvain et sa belle-sœur Carole.La préparation des champs puis les premières récoltes – asperges et fraises – n’auraient pu avoir lieu sans l’aide de 17 travailleurs tunisiens arrivés en France juste avant la fermeture des frontières, le 17 mars 2020. Le schéma se répète cette année : sous les serres couvertes de panneaux photovoltaïques, Wissem et Saber, originaires de la région de Kasserine, s’attellent déjà à la préparation des sillons avant la plantation de tomates et de concombres.
    Tous deux viennent de signer un contrat à durée indéterminée après plusieurs années passées sous le statut d’« OFII ». La procédure, menée avec l’Office français de l’immigration et de l’intégration, permet d’obtenir un visa de travail de six mois sur demande de l’employeur. Vingt-quatre saisonniers tunisiens doivent être embauchés sur ce modèle avant le mois d’avril. « S’ils ne passent pas la frontière, les fraises sont flinguées, prévient Julien Bernard. C’est autour de 600 000 euros d’investissement qui ne seront pas amortis. »Depuis la mi-décembre, plus de 500 saisonniers étrangers sont arrivés dans le département par quatre vols spécialement affrétés depuis le Maroc et la Tunisie. Une dérogation préfectorale obtenue par la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) permet de faciliter le passage aux frontières des travailleurs… tant que celles-ci demeurent ouvertes : comme pour la famille Bernard, la saison de nombreux agriculteurs du Vaucluse dépend de l’évolution des restrictions liées à l’épidémie de Covid-19.
    Le protocole sanitaire pour les saisonniers étrangers, à la charge de l’employeur, est encadré par l’agence régionale de santé : un test PCR est réalisé avant le départ, un dépistage antigénique à l’arrivée avant une période d’isolement de sept jours, puis un nouveau test PCR avant de débuter le travail sur l’exploitation. Un surcoût annuel estimé à 20 000 euros pour 24 saisonniers, selon Carole Bernard, responsable administrative de la ferme d’Uchaux. « On ne demande que ça de recruter des gens du coin, mais Covid ou pas Covid, c’est très compliqué », assure Mme Bernard. La réglementation impose la publication, pendant trois semaines, d’une annonce sur le site de Pôle emploi avant toute démarche « OFII ». Mais les candidatures sont rares ou ne « correspondent pas aux demandes », estiment plusieurs agriculteurs.
    Exigeant physiquement et situés en dehors des centres-villes, les travaux de maraîchage et de culture fruitière demandent aussi une importante rigueur sur de longues plages horaires. « La crise sanitaire a mis en avant que ces “ouvriers non qualifiés” ont, en fait, des profils et compétences spécifiques très demandées par certains agriculteurs », souligne Yannick Becker, membre du bureau de la Confédération paysanne en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le syndicat réclame de meilleures conditions de travail pour les saisonniers étrangers. La FDSEA redoute aussi une répétition de l’année 2020 : une fois les frontières fermées, de nombreux saisonniers n’avaient pu se rendre en France et les agriculteurs s’étaient tournés en urgence vers des acteurs du travail intérimaire, peu respectueux des protocoles sanitaires. Les cas de Covid-19 s’étaient multipliés dans les Bouches-du-Rhône, le Gard et le Vaucluse dans des logements de travailleurs, notamment venus d’Espagne – le recrutement depuis des pays de l’espace Schengen étant soumis à une procédure moins contrôlée par les services de l’Etat.« Que le même phénomène se reproduise, c’est toute notre crainte », abonde la présidente du syndicat majoritaire, Sophie Vache. L’organisation plaide pour un renouvellement des dérogations attribuées au Maroc, fixée jusqu’au 31 mars, et à la Tunisie. La surveillance par la direction de l’emploi et par l’inspection du travail doit aussi être renforcée dans les exploitations, malgré des moyens limités.
    Sur le plan sanitaire, les gérants d’exploitations sont engagés dans une recherche d’hébergements collectifs, qui doivent permettre une mise à l’isolement rapide si une contamination au coronavirus est détectée. « Nous n’avons pas encore de solution pour la moitié des travailleurs prévus », s’inquiète, à Uchaux, Carole Bernard. Pour l’instant, deux mobil-homes sont installés sur l’exploitation et « nous louons une maison dans le village voisin », explique Fethy Gribi, « chef d’équipe » des employés tunisiens.

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