• « Le baby-foot, c’est cool, mais le droit du travail, c’est encore mieux » : dans les start-up, des salariés dénoncent un management toxique
    https://www.lemonde.fr/emploi/article/2021/03/03/dans-les-start-up-la-frontiere-est-tenue-entre-engagement-total-et-managemen

    Depuis deux mois, une page Instagram recueille des témoignages accablants sur les conditions de travail dans ces petites entreprises.

    « L’un des patrons appelait un manager “mon toutou” devant tout le monde, alors qu’il faisait juste bien son travail, raconte au Monde Vincent (les prénoms ont été modifiés), un ancien salarié de la start-up d’intérim Iziwork. Après six mois d’humiliation, ils ont imprimé un t-shirt avec une photo de chien, et au verso la phrase “bonne petite bête or go home (rentre chez toi)” ».

    La victime présumée de cette anecdocte s’incrit en faux et la qualifie de « plaisanterie entre amis ». « Il y a bien eu un t-shirt, mais jamais je n’ai été appelé toutou, et jamais je ne me suis senti humilié. Quant à l’expression “bonne petite bête or go home” c’est un détournement humoristique de notre mantra “go big or go home” ».

    De son côté, Chloé, ex-chargée de recrutement dans la même entreprise, se souvient : « On me faisait travailler en arrêt de travail. Un jour, je me suis fait renverser par une voiture, ma manageuse m’a demandé de bosser ». Chez Iziwork comme ailleurs, les témoignages de mauvaises pratiques pleuvent sur le réseau social Instagram.

    Créé le 25 décembre 2020 par une ancienne employée de start-up, le compte Balance ta start-up (BTS) relaie, depuis deux mois, la parole de centaines de salariés qui dénoncent anonymement les méthodes de management toxiques des start-up. « J’ai été témoin d’abus. Souvent, les mêmes schémas s’y reproduisent, liés au non-respect du droit du travail », explique Louise, la fondatrice de BTS, qui tient à rester anonyme.

    Eviter la diffamation

    Balance ta start-up s’inscrit dans une lignée de libération de la parole amorcée par #balancetonporc en 2018. « Il y a une grande omerta. Quand on est bloqué, les réseaux sociaux sont le dernier recours », observe Louise. Pour vérifier l’authenticité des témoignages et éviter la diffamation, « je demande si la personne a bien travaillé dans l’entreprise, elle doit m’envoyer une preuve : un extrait de profil LinkedIn, un contrat de travail… », explique cette trentenaire. Au 25 février, quelque 147 start-up sont mises en cause par plus de 1 200 témoignages. Parmi elles, les très populaires Lou Yetu, Lydia, Swile et Doctolib.Retour ligne automatique
    Article réservé à nos abonnés Lire aussi A l’agence Campus France, accusations de harcèlement moral et d’ambiance de travail toxique

    BTS invite évidemment les entreprises à exercer leur droit de réponse, mais sans grand succès. Seules quatre ont répondu, dont une seule reconnaît le problème. Lou Yetu, qui vend des bijoux, dénonce une « campagne de dénigrement » et parle de « choses fausses et infondées ». Pour y voir plus clair, elle a toutefois annoncé le lancement d’un « audit indépendant ».

    My Jolie Candle, également dans la bijouterie, évoque des « propos alarmants, loin de notre réalité », et souligne que « dans une entreprise, la perception de la réalité peut être différente d’une personne à une autre ».Retour ligne automatique
    Procédure judiciaire

    Iziwork, qui a répondu au Monde, dénonce des « accusations graves ». Dans la même veine, l’application de titres-restaurant Swile s’est dite « choquée » par ces témoignages. Toutes deux ont décidé de prendre des mesures immédiates : « un dispositif d’écoute pour mettre en œuvre des réponses appropriées au plus vite » chez Iziwork.

    Chez Swile : « Nous espérons être plus constructifs et transparents au quotidien. Nous avons un devoir d’exemplarité sur le bien-être au travail », déclare la start-up qui a annoncé qu’elle prendrait les « mesures nécessaires » après s’être assurée de la « véracité » des faits. Pour Iziwork, il n’y a pas de doute, la start-up qualifie certains propos de « faux, injurieux et diffamatoires » et a entamé une procédure judiciaire.

    Seule Stella & Suzie, dans le prêt-à-porter, a présenté ses excuses : sa fondatrice s’est engagée à « mettre des choses en place » et à accueillir les avocates en droit social qui soutiennent BTS pour « avancer ensemble ».

    Les faits dénoncés par les témoignages sont, pêle-mêle, une surcharge de travail, des cas de chantage affectif, des humiliations récurrentes, discrimination à l’embauche, sexisme ou de racisme. Chloé, d’Iziwork, évoque des remarques « constantes », devant tout le monde : un cadre s’écriant par exemple « je ne veux pas de petite pétasse dans mon équipe », ou la réalisation par les manageurs, durant un séminaire, d’un « classement des filles les plus “bonnes” ».

    Plusieurs dizaines d’anciens salariés de Lou Yetu déplorent le fort turnover des effectifs et des discriminations à l’embauche, notant « des standards physiques bien précis pour être recruté » et « très peu de diversité ». « Elle a trop de boutons celle-là, on ne lui prolonge pas sa période d’essai, elle passera mal sur Instagram », peut-on lire.Retour ligne automatique
    Dire « bonjour » est interdit

    La majorité des messages décrit le contraste entre le cadre de travail « cool » – baby-foot, design –, et l’exigence de se donner à fond, quelles qu’en soient les conséquences : chez Lydia, dire « bonjour » à ses collègues le matin serait interdit, car cela fait perdre du temps à l’entreprise. Chez Chefing, répondre à un message à 23 heures y est considéré comme une preuve d’engagement : « Tu vis pour le projet et c’est ça ta motivation, pas l’argent », a entendu un ex-salarié.

    Pour neutraliser ces accusations, un ancien employé de Lydia raconte que la direction leur demandait de « lâcher des avis 5 étoiles » sur la plate-forme de notation des entreprises Glassdoor. Des commentaires élogieux succèdent en effet aux témoignages de burn-out ou de harcèlement sur la page de l’entreprise : « Conditions de travail propices au travail de qualité, horaires flexibles », « on porte réellement de l’attention à l’autre, parce que “le goût du pain partagé est sans égal”, comme disait Antoine de Saint-Exupéry »…

    « Glassdoor autorise chaque utilisateur à signaler un avis s’il le trouve discutable », se défend Joe Wiggins, directeur de la communication. La plate-forme de notation donne « le droit de parler librement de ses expériences au travail, sans peur d’intimidation ou de représailles », précise-t-il.

    Le portrait du travail en start-up ne serait pas complet sans les témoignages élogieux. Car il y en a : les défenseurs du modèle y soulignent que les salariés sont au courant dès l’embauche de la quantité de travail qui leur sera demandée et appellent surtout à l’indulgence à l’égard de manageurs souvent jeunes, et confrontés à une croissance incontrôlable. « Le baby-foot, c’est cool, mais le droit du travail, c’est encore mieux », insiste Louise.Retour ligne automatique
    Les caractéristiques du harcèlement moral

    Le harcèlement moral est un délit. Si les situations de harcèlement moral au travail aboutissent souvent à des confrontations parole contre parole, il existe des critères précis pour le définir.

    Un fait de harcèlement moral correspond à une conduite abusive (gestes, paroles, attitudes…) et répétitive : ces agissements doivent être répétés dans le temps pour être qualifiés de harcèlement moral.

    D’après l’article L1152-1 du code du travail, les faits de harcèlement moral sur un salarié doivent aussi avoir « pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail ». Ils se caractérisent par : une atteinte à ses droits et à sa dignité, une altération de sa santé physique ou mentale, ou une menace pour son évolution professionnelle.

    Ces agissements sont interdits, même en l’absence de lien hiérarchique entre la victime et l’auteur des faits. Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire par l’entreprise, et d’une sanction judiciaire jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende (article 222-33-2 du code pénal).

    Par ailleurs, un employeur a l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir le harcèlement moral sur le lieu de travail (article L1152-4 du code du travail).

    Enfin, le site de l’administration française précise que « les personnes qui dénoncent ou qui combattent le harcèlement moral ne peuvent pas être sanctionnées pour ce motif. Les sanctions sont uniquement autorisées dans l’hypothèse où le dénonciateur est de mauvaise foi, et qu’il fait la dénonciation dans le seul but de nuire, par exemple en se basant sur des faits dont il connaît pertinemment l’inexactitude ».

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