• Affaire Adama Traoré : une expertise réalisée à la demande de la famille met en cause les gendarmes
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    Parmi le collège d’experts figure le légiste américain Michael M. Baden, coauteur de la contre-expertise indépendante dans l’affaire de la mort de George Floyd en mai 2020, aux Etats-Unis.

    Un rapport médico-légal réalisé à la demande de la famille d’Adama Traoré, et que Le Monde a pu consulter, pointe les méthodes d’interpellation des gendarmes comme principales causes de sa mort. Depuis près de cinq ans, expertises et contre-expertises se succèdent et se contredisent sur la réponse à la question centrale de ce dossier devenu symbolique de la lutte contre les violences policières : à quoi est due la mort d’Adama Traoré, à 24 ans, sur le sol de la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise), le 19 juillet 2016 ?

    « Le décès d’Adama Traoré est lié à un syndrome asphyxique traumatique mécanique par blocage de la respiration thoracique et abdominal dans les suites d’un plaquage ventral, aggravé par une hypoxémie d’effort », conclut cette nouvelle expertise, rendue le 1er mars à l’avocat de la famille, Yassine Bouzrou, et fondée sur les conclusions de neuf médecins français et internationaux – non inscrits sur la liste des experts judiciaires.

    Parmi ce collège d’experts en cardiologie, drépanocytose et sarcoïdose (deux maladies dont Adama Traoré présentait des formes bénignes et asymptomatiques), médecine interne et légale, le légiste américain Michael M. Baden, coauteur de la contre-expertise indépendante dans l’affaire de la mort de George Floyd aux Etats-Unis, va même plus loin : « A mon avis, le décès de M. Traoré a été causé par une asphyxie positionnelle qui a entraîné un arrêt respiratoire – empêchant sa respiration – causé par la manière dont il a été retenu par les gendarmes. »

    Michael M. Baden avait été mandaté par l’avocat de la famille de George Floyd, cet Américain noir mort le 25 mai 2020 à Minneapolis (Minnesota) après qu’un policier blanc a maintenu son genou sur son cou pendant huit minutes et quarante-six secondes. Après le rapport de M. Baden sur la mort de George Floyd, liée à une asphyxie « sous une pression soutenue », le médecin légiste officiel avait lui-même revu ses premières conclusions – un décès lié à une combinaison de facteurs – et évoqué un « homicide ».

    « Manœuvres de contrainte »
    Dans l’affaire Adama Traoré, les experts désignés depuis cinq ans par les juges avaient tous dédouané les gendarmes, pointant tantôt une défaillance cardiaque, tantôt la combinaison de l’effort, de la drépanocytose et de la sarcoïdose – un scénario invalidé par une contre-expertise demandée par la famille Traoré. Jusqu’en janvier. Pour la première fois, des médecins belges mandatés par les trois nouveaux juges d’instruction soulignaient, dans un rapport médico-légal rendu le 13 janvier, la responsabilité des « manœuvres de contrainte » effectuées par les gendarmes lors de l’interpellation.

    • Selon les quatre médecins belges – aucun d’entre eux n’étant inscrit sur les listes des experts judiciaires français, ils ont dû prêter serment par écrit, vu l’éloignement géographique –, le jeune homme est mort d’« un coup de chaleur » aggravé par les manœuvres d’immobilisation et de menottage des gendarmes et, « dans une plus faible mesure », par des « états pathologiques sous-jacents ». « Sans l’application de ces manœuvres de contrainte, on peut penser que M. Traoré n’aurait pas présenté l’évolution dramatique constatée ensuite », précisaient-ils.

      La nouvelle expertise réalisée à la demande de la famille vient appuyer cette thèse, en désignant cette fois les conditions d’arrestation d’Adama Traoré comme principales responsables de sa mort. La synthèse menée par le neurologue Johan Le Guilloux balaye ainsi le coup de chaleur, le trait drépanocytaire et toute pathologie cardiaque comme cause de la mort. Quant à la sarcoïdose, elle peut avoir « réduit les ressources respiratoires » d’Adama Traoré et « entraîné une perte de chance suite au plaquage ventral » mais n’est « pas responsable du décès ». Contrairement, selon ce même compte rendu, aux méthodes d’interpellation des gendarmes, aggravées par l’effort produit par Adama Traoré pour les fuir.

      L’un des médecins légistes détaille en annexe : « A partir des témoignages de la police et des résultats des autopsies, on peut clairement conclure qu’il y a eu une forte action mécanique sur la poitrine de M. Adama, avec l’application de la force de trois individus sur la région dorsale, provoquant une grave asphyxie mécanique indirecte, augmentant considérablement la difficulté respiratoire qui existait déjà, en raison de l’effort physique de la course entreprise dans l’évasion. A ce moment-là, M. Adama avait déjà besoin d’une aide médicale, mais son état respiratoire a été aggravé par la police. (…) M. Adama Traoré a été victime d’une asphyxie mécanique indirecte par pression des genoux des policiers sur le dos, qui a entraîné une aggravation de la situation d’hypoxémie déjà au moment de l’arrestation, soit à cause de l’effort physique de l’évasion, soit à cause du confinement en rapport avec le drap dans lequel il s’était enroulé. »

      Quels gestes ont donc réalisé les gendarmes sur Adama Traoré avant sa mort, et pendant combien de temps ? Dans une première version, livrée le 19 juillet 2016 au soir, le maréchal des logis-chef F. affirmait : « Il a pris le poids de notre corps à tous les trois au moment de son interpellation. » Dix jours plus tard, il ne parlait plus que de son propre poids : « Le contrôle dorsal et costal que je réalise se matérialise par le fait de mettre mon genou droit au niveau du centre du dos de l’individu et mon genou gauche sur la partie costale dorsale de l’individu. » Puis, lors d’un interrogatoire devant la juge d’instruction : « On est en appui sur les pieds et les deux genoux enserrent le bras avec un genou qui est dirigé sur le dos et un dirigé latéralement au niveau costal, ce qui évite au corps de bouger, on garde un contrôle. »

      Placés sous le statut de témoins assistés pour non-assistance à personne en danger, les gendarmes nient tout « plaquage ventral » et toute responsabilité dans la mort d’Adama Traoré. Persuadés du contraire, ses proches demandent un procès.