Du catholicisme à William Morris, les influences de J. R. R. Tolkien
Vendue à 150 millions d’exemplaires, « Le Seigneur des anneaux » est une œuvre qui, au fil des décennies, loin de se démoder, a été saluée de plus en plus largement. Elle semble avoir rencontré, voire nourri, un imaginaire collectif toujours plus partagé. Or le système de valeurs et la conception de la société de la Comté déploient une morale politique dont le charme archaïque n’est pas sans ambiguïté...
Mais, avec une puissance inventive, joueuse, qui permet d’éviter toute allégorie directe, Tolkien déploie en même temps ce qui peut apparaître comme son monde raisonnablement idéal, celui du peuple du meneur de la quête, les Hobbits — les « petites gens » ou semi-hommes —, une variété humaine modeste, joyeuse, qui n’a pour ainsi dire aucun gouvernement, respecte spontanément les règles anciennes, inchangées, se passe pour l’essentiel de forces de l’ordre, sinon aux frontières. Des personnages qui seront plus ou moins copiés ensuite par la fantasy. Ce monde-là, très « médiévalisant », accepte la magie, mais ignore l’idée même de progrès, de technologie, de sens de l’histoire. Au plus loin des « sombres forges » qui caractérisent l’empire du Mal, artisans et paysans vivent heureux, doués pour les bons repas et les beaux récits, rejetant « ceusses » qui sont « toujours à compter, à mesurer ». D’ailleurs, le héros véritable du récit est un jardinier…
Ce modèle de société, autoprotégée, mesurée, enracinée dans sa mémoire et dans sa Terre mère, féodale mais sans féaux, soucieuse uniquement des menus plaisirs de la vie, mais attentive à tout ce qui verdit et porte fruit, a été salué par les contestataires des années 1960, et à l’opposé par le Mouvement social italien (MSI) néofasciste, qui organisait entre 1977 et 1981 des « camps hobbits ». La trilogie est aujourd’hui chérie de nombreux lecteurs de sensibilité écologiste. Cette aspiration à un univers rétro-rural autarcique, méfiant à l’encontre de la technique, de la perte de contact avec les vérités de la nature, n’est probablement pas près de s’éteindre, à la suite de la crise sanitaire actuelle. Il serait bon de se rappeler alors que la Fraternité de l’Anneau, toute à son combat contre les puissances de mort, a rétabli un roi.