Nicolas Le Dévédec, La grande adaptation, 2019

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  • Nicolas Le Dévédec, La grande adaptation, 2019 | Et vous n’avez encore rien vu...
    https://sniadecki.wordpress.com/2021/03/09/ledevedec-adaptation

    Face à l’insouciance des premiers transhumanistes, portés par une foi inéluctable dans l’avenir radieux et uniquement préoccupés par l’augmentation des performances physiques, intellectuelles et émotionnelles individuelles, les promoteurs de ce transhumanisme social font valoir une vision inquiète du futur, obscurcie par l’ombre des risques existentiels globaux [7], et mettent ainsi de l’avant la nécessité d’ouvrir le mouvement à des préoccupations sociales et collectives plus générales. Cette ouverture marque pour beaucoup une mue du mouvement, qui deviendrait davantage responsable et donc davantage respectable. Dès lors que l’on prend pourtant au sérieux les arguments avancés par ses partisans, force est de constater que cette branche du mouvement ne marque en réalité aucune rupture idéologique significative. À l’inverse, elle contribue plutôt à étendre encore un peu plus les frontières de la dépolitisation à des questions sociales et collectives plus générales. Au cœur de ce transhumanisme se trouve pour ainsi dire la conviction que les risques globaux contemporains – terrorisme, catastrophe climatique, dérapage de l’intelligence artificielle, etc. – sont, pour autant qu’on les prenne au sérieux, moins des problèmes politiques que des problèmes psychobiologiques, liés à l’archaïsme moral de l’humain. Pour être à la mesure de ces risques, l’humanité devrait ainsi faire preuve de résilience en adaptant techniquement son niveau d’empathie, son sens moral.

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    Pour ces transhumanistes, nombre de problèmes de santé publique contemporains seraient en effet dû, non pas à notre environnement social, aux inégalités sociales ou au modèle de vie industriel propre au capitalisme moderne, mais à une inadéquation de notre corps à cet environnement. Une fois de plus, le problème n’est pas tant politique que biologique. C’est dans cette perspective que l’ingénieur Ray Kurzweil, l’une des figures majeures du transhumanisme, propose d’aborder la question du diabète et de l’obésité. Dans son texte très éclairant sur le sujet, intitulé “Human Body Version 2.0”, Kurzweil défend en effet la nécessité de transformer radicalement nos corps pour remédier à ces problèmes de santé publique

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    Si une partie des transhumanistes s’accorde sur le constat d’une crise écologique et sur l’éventuelle responsabilité de l’être humain dans cette crise, les solutions proposées sont néanmoins encore une fois symptomatiques du renoncement social et politique qui caractérise l’idéologie du mouvement. Ici non plus, il n’est pas tant question d’interroger le bien-fondé de la civilisation industrielle capitaliste moderne, mais plutôt d’adapter techniquement l’humain à l’environnement saturé contemporain. Face à la nouvelle ère écologique de l’anthropocène, la réponse transhumaniste est moins politique que technoscientifique.

    Outre la perspective de la géo-ingénierie, certains transhumanistes ont dans cette perspective récemment fait valoir la possibilité de mettre en œuvre une forme de décroissance. La décroissance envisagée n’est ceci dit nullement celle de notre mode de vie, c’est-à-dire celle du progrès technique illimité ou de la croissance économique infinie, mais principalement celle de la population. En une biologisation du sujet, le problème climatique pour les transhumanistes n’est en effet pas tant politique que populationnel

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    Mais l’allongement de l’espérance de vie, et la décroissance démographique qu’il devrait supposément engendrer, présente encore un autre avantage, selon Marc Roux et Didier Cœurnelle. Il permettrait en effet, selon eux, de contribuer à atténuer la volonté humaine de consommer. Bien loin d’être instituée socialement – comme l’ont montré par exemple aussi bien Marshall Sahlins que Jean Baudrillard – la consommation constitue plutôt pour les transhumanistes un phénomène générationnel. Elle relèverait d’une propension naturelle qui s’estomperait progressivement – miraculeusement – avec l’âge

    #transhumanisme #transhumanisme_social #politique #malthusianisme #critique_techno