Violences scolaires : où le harcèlement commence‑t‑il ?

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    Bérengère Stassin, Université de Lorraine

    Bousculades, insultes, détérioration de matériel, crachats dans l’assiette à la cantine, publication de photos intimes sur les réseaux sociaux, telles sont les brimades que subissent de manière répétée 700 000 enfants et adolescents. Touchant environ 10 % des élèves en France, le harcèlement scolaire peut avoir d’importantes conséquences sur ses victimes, des troubles du sommeil à la phobie sociale, en passant par l’anxiété et la dépression, voire, chez les plus fragiles, des conduites suicidaires.

    Alors que la plupart des pays européens ont mis en place depuis plusieurs décennies des actions de prévention, notre Éducation nationale ne s’est véritablement penchée sur ce problème qu’au début des années 2010. Suite à la quatrième journée de mobilisation nationale début novembre, retour sur la prise de conscience de ce problème.
    Un processus de répétition

    Les premières définitions du harcèlement scolaire sont proposées dans les années 1970 par deux psychologues scandinaves : Anatol Pikas et Dan Olweus. Le premier qualifie cette forme de violence entre pairs de mobbing, terme anglais formé à partir du verbe to mob (attaquer, assaillir) et renvoyant à the mob (la foule), alors que le second choisit le terme bullying, formé à partir du verbe to bully (maltraiter, tyranniser) et renvoyant à la figure du bully (la brute, le tyran).

    Derrière cette simple différence terminologique se cachent deux approches d’un même phénomène :

    une approche contextuelle et groupale pour Pikas qui considère que c’est la pression que le groupe de pairs exerce sur ses différents membres qui les pousse à s’en prendre violemment à un camarade ;

    une approche individualisante et psychologisante pour Olweus qui considère que c’est l’impulsivité, l’agressivité, voire la perversité, d’un individu qui le conduit, seul ou en groupe, à la violence.

    C’est le terme bullying – et plus particulièrement school bullying – qui s’est imposé dans la plupart des pays anglo-saxons et qui a été traduit en France par « harcèlement scolaire ». Au Québec, on parle plutôt d’« intimidation », réservant le terme « harcèlement » à la violence entre adultes (Bellon, Gardette, 2018).

    La définition olweusienne fait aujourd’hui consensus :

    « Un élève est victime de harcèlement lorsqu’il est soumis de façon répétée et à long terme à des comportements agressifs visant à lui porter préjudice, le blesser ou le mettre en difficulté de la part d’un ou plusieurs élèves. Il s’agit d’une situation intentionnellement agressive, induisant une relation d’asservissement psychologique, qui se répète régulièrement. »

    Pour que l’on puisse parler de harcèlement, la violence doit donc relever d’une intention de nuire, s’inscrire dans un processus de répétition (un acte isolé et ponctuel ne peut être considéré comme du harcèlement) et dans une relation asymétrique (l’agresseur exerce une domination physique ou psychologique). Elle doit aussi provoquer chez la victime un sentiment d’insécurité et une blessure psychique.
    Le poids du groupe

    La répétition est cependant une question délicate, car tout dépend du « seuil de tolérance » qui varie d’une personne à l’autre. Les conséquences peuvent être plus importantes chez un élève harcelé au cours d’un seul trimestre que chez un élève ayant subi des brimades tout au long d’une année, voire durant toute sa scolarité.

    Concernant la « relation asymétrique », si elle peut être rendue possible par le tandem harceleur-harcelé, elle résulte tout de même le plus souvent d’un phénomène de groupe : un élève est ciblé par un groupe composé d’un meneur et de suiveurs. Il peut parfois recevoir de l’aide ou du soutien de la part d’un défenseur, mais, sous la pression du groupe, ce dernier peut se désolidariser.

    De même, il existe un certain nombre d’observateurs extérieurs qui « voient mais ne disent rien », généralement par peur des représailles. L’élève cible se retrouve donc seul contre tous et devient un véritable bouc émissaire sur lequel les autres se défoulent.

    S’il y a quelques années encore, les victimes trouvaient un peu de répit une fois qu’elles sortaient de l’école, il n’est pas rare aujourd’hui que leurs agresseurs les poursuivent en dehors des temps et des lieux scolaires, par le biais des smartphones et des réseaux sociaux.
    Du harcèlement au cyberharcèlement

    Tout comme la violence « hors ligne », la violence « en ligne » prend différentes formes : usurpation d’identité, violence verbale (insultes, moqueries), violence sexuelle (envoi de photos choquantes ou diffusion non consentie de photos intimes), agressions physiques filmées et partagées sur les réseaux sociaux.

    Bien que la continuité entre harcèlement scolaire et cyberharcèlement ne soit pas toujours systématique, les agresseurs et les victimes sont tout de même souvent impliqués « hors ligne » et « en ligne » (dans 30 à 70 % des cas, selon les études).

    En contexte numérique, on retrouve les « suiveurs » qui participent aux méfaits en likant, partageant ou commentant les contenus, ainsi que les « témoins passifs », qui en prennent connaissance, mais restent silencieux. D’autres parties prenantes font également leur apparition, rendant l’analyse du phénomène plus complexe (Bellon, Gardette, 2017) :

    des élèves harcelés qui se servent de leurs compétences informatiques pour se venger de leurs harceleurs alors qu’ils ne riposteraient jamais « hors ligne » ;

    des élèves qui ne sont pas harcelés mais qui se servent de leurs compétences informatiques pour venger les victimes et punir les harceleurs ;

    des élèves qui se désinhibent et se métamorphosent derrière leur écran et se livrent à des actions qu’ils s’interdiraient totalement par ailleurs ;

    tous ceux qui publient ou relayent un contenu par mégarde, par inadvertance, ou sur le feu de l’action, sans prendre le temps de réfléchir aux conséquences de leur « clic » (« liker, c’est déjà harceler », comme le soulignait le slogan de la deuxième journée de mobilisation nationale contre le harcèlement scolaire).

    À ces quatre « profils » s’ajoutent aussi des personnes qui participent aux attaques – en relayant ou commentant les contenus – mais qui sont pourtant totalement extérieures à l’établissement scolaire de la victime et de ses agresseurs, voire qui ne les connaissent même pas. Cependant, de manière générale, la cyberviolence est avant tout une violence de proximité, exercée par des camarades de classe, par des ami·e·s ou par des ex petit·e·s-ami·e·s de la victime.
    Une prise de conscience récente

    Le harcèlement scolaire est longtemps resté englobé dans les débats sur la violence scolaire en général. Ce n’est qu’au début des années 2010, suite aux enquêtes de victimation réalisées par Éric Debarbieux et révélant que 10 % des élèves sont victimes de violences répétées de la part de leurs pairs, que les pouvoirs publics prennent conscience de la nécessité d’agir.

    Différentes actions sont dès lors mises en place : organisation des premières assises sur la prévention du harcèlement en mai 2011 ; lancement de la première campagne d’information et mise en place d’une ligne d’écoute téléphonique nationale et gratuite (3020) en 2012 ; création d’un site Internet ministériel proposant des ressources aux enseignants et aux parents ; lancement du concours académique « Non au harcèlement » en 2013.

    La lutte contre le harcèlement scolaire est inscrite dans la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République :

    « la lutte contre toutes les formes de harcèlement sera une priorité pour chaque établissement d’enseignement scolaire. Elle fera l’objet d’un programme d’actions élaboré avec l’ensemble de la communauté éducative, adopté par le conseil d’école pour le premier degré et par le conseil d’administration dans les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE). Ce programme d’actions sera régulièrement évalué, pour être amendé si nécessaire ».

    Des campagnes de prévention

    En 2015, le dispositif « Ambassadeurs Lycéens », plaçant les élèves au cœur de la prévention, est créé et une journée de mobilisation nationale est instaurée. Sa quatrième édition s’est donc tenue le jeudi 8 novembre 2018 et avait pour slogan « Une photo c’est perso, la partager c’est harceler ». Elle sensibilisait, cette année, au revenge porn et à la diffusion non consentie de photos intimes.

    Différentes actions de prévention peuvent bien sûr être réalisées par les établissements scolaires et plus particulièrement par le Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté. Ce dernier peut s’appuyer sur différents partenaires extérieurs, comme les associations, la police et la gendarmerie, les travailleurs sociaux, les parents d’élèves.

    Cependant, la prévention ne peut à elle seule endiguer le phénomène, car il ne suffit pas d’être informé d’un risque pour l’éviter ou de dénoncer un comportement pour qu’il soit abonné. L’éducation à l’esprit critique, l’éducation aux médias sociaux, l’éducation à l’empathie, le développement des compétences émotionnelles et psychosociales des élèves, le renforcement de l’estime de soi ou encore l’autodéfense sont aussi des armes efficaces pour lutter contre le harcèlement scolaire et son prolongement numérique.

    Enfin, des études ont montré que le climat scolaire et l’atmosphère générale qui règnent au sein d’une classe ou d’un établissement influencent la qualité des relations entre élèves. Une classe qui se caractérise par un mauvais climat a plus de chance de voir émerger en son sein des situations de harcèlement et de cyberharcèlement. L’amélioration du climat scolaire est donc également un levier d’action pour réduire ces formes de violence.The Conversation

    Bérengère Stassin, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, membre du CREM, Université de Lorraine

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

    #Bérengère_Stassin #Cyberharcèlement