• Tandis qu’Israël se vaccine, la Palestine replonge dans l’épidémie
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/03/14/tandis-qu-israel-se-vaccine-la-palestine-replonge-dans-l-epidemie_6073048_32

    Il a fallu trois mois pour que la campagne de vaccination israélienne contre le Covid-19, la plus rapide au monde, touche les travailleurs palestiniens. Les travailleurs s’alignent devant un bâtiment de béton nu en construction. Une équipe du Magen David Adom (l’Etoile rouge de David, l’équivalent israélien de la Croix-Rouge) prépare des seringues à l’intérieur pour vacciner les ouvriers palestiniens qui patientent depuis deux heures ce matin du mercredi 10 mars à Mishor Adumim, dans la principale zone industrielle des colonies en Cisjordanie. Ordres, contre-ordres de soldats : l’armée a envoyé des recrues arabophones, pour faciliter le contact. Depuis lundi et durant les semaines à venir, environ 80 000 Palestiniens légalement employés en Israël doivent être inoculés, et 35 000 dans les colonies.
    Il a fallu trois mois pour que la campagne de vaccination israélienne contre le Covid-19, la plus rapide au monde, touche les travailleurs transfrontaliers, porteurs en puissance du virus entre la Palestine et Israël. C’est un moment de contraste brutal, comme une photographie oubliée au bain révélateur du Covid. Tandis qu’Israël rouvre depuis une semaine les bars et les clubs de danse aux heureux vaccinés (54 % de sa population a reçu une première dose), la Cisjordanie, elle, se recroqueville dans un nouveau confinement. L’épidémie y est hors de contrôle.
    De gauche à droite : 1- Centre de depistage à l’Université arabe américaine de Ramallah. Les tests ne sont pas gratuits (ils coûtent 150 ILS soit 37€), donc c’est en majorité la classe moyenne palestinienne qui peut se permettre de les passer. Le Dr Nouar Qutob, chef du département des sciences de la santé de la Faculté, et son équipe, mènent des recherches intensives sur le virus et ont également mis en place un laboratoire de dépistage pour les Palestiniens. 2- Des travailleurs palestiniens attendent devant le centre de vaccination de Mishor Adumim. 3- Des agents de santé israéliens vaccinent des travailleurs palestiniens, au centre de vaccination de Mishor Adumim, en Cisjordanie, le 10 mars.
    De gauche à droite : 1- Centre de depistage à l’Université arabe américaine de Ramallah. Les tests ne sont pas gratuits (ils coûtent 150 ILS soit 37€), donc c’est en majorité la classe moyenne palestinienne qui peut se permettre de les passer. Le Dr Nouar Qutob, chef du département des sciences de la santé de la Faculté, et son équipe, mènent des recherches intensives sur le virus et ont également mis en place un laboratoire de dépistage pour les Palestiniens.
    Dans la zone industrielle de Mishor Adumim, le patron d’Omar Jalayta a été clair : il perdra son emploi s’il ne se fait pas vacciner. Ce chauffeur de Jéricho, 45 ans, employé dans une usine israélienne d’aluminium, ne s’est pas fait prier. « J’avais peur de tout autour de moi. Peur de voir ma famille », avoue-t-il. M. Jalayta a été récemment mis en congé sans solde durant deux semaines parce que son frère a été contaminé. Il présume que l’Autorité palestinienne a transmis cette information aux services de santé israéliens.
    Lire aussi Covid-19 : en Israël, la réouverture des restaurants et le « retour à la vie » après une campagne de vaccination massive A l’ombre d’un hangar voisin, Mohammed Tmaizi, 23 ans, regarde la cohue des futurs vaccinés avec le sourire. Il préférerait ne pas y passer, mais il se fait une raison. Son père au moins ne pourra plus le confiner à l’étage inférieur de la maison familiale, à Hébron. Ses cousins ne refuseront plus de le voir, parce qu’il travaille dans une colonie juive – avant le miracle vaccinal, le virus circulait plus intensément en Israël qu’en Palestine.
    « J’ai de la chance. Qui d’autre a cette opportunité ? », interroge Umm Aiman, 63 ans, employée de maison dans la colonie voisine de Maale Adumim. Sa patronne israélienne l’a déposée ce matin à l’entrée de la zone industrielle. Trois volontaires de la colonie, lycéennes pimpantes, ongles peints et lunettes noires, guident Umm Aiman dans le centre de vaccination. Quant à ses six enfants, ils attendront que l’Autorité palestinienne distribue ses propres vaccins.
    L’équipe de l’Etoile rouge de David est bien rodée. Depuis le début de l’épidémie, elle a traversé une à une les classes de la société palestinienne, telles qu’Israël les détermine. Dès décembre, ils ont vacciné à tour de bras, sans distinction, à Jérusalem-Ouest comme à l’est, dans la partie arabe de la ville sainte annexée après la guerre de 1967. Puis en février, ils se sont établis durant plusieurs jours au point de contrôle de Qalandia, pour inoculer les résidents d’un quartier arabe déshérité, coupé du centre-ville par le mur de séparation, ainsi que leurs familles proches.
    Les experts de santé israéliens exhortent de longue date l’Etat à vacciner les travailleurs. « Lorsqu’ils le seront, il sera possible d’obtenir une immunité de masse en Israël », estime Ronni Gamzu, directeur de l’hôpital Sourasky de Tel-Aviv, qui fut un temps le principal conseiller du gouvernement dans la lutte contre l’épidémie. « Sur le plan épidémiologique, nous serons couverts. Mais sur le plan éthique cela ne suffit pas : nous devons nous assurer que [tous] les Palestiniens sont vaccinés. »Depuis décembre, des défenseurs des droits humains rappellent que la quatrième convention de Genève oblige Israël à vacciner les territoires, en tant que puissance occupante. L’Etat hébreu répond que l’Autorité palestinienne est souveraine en matière de santé, selon les accords de paix d’Oslo. L’Autorité palestinienne, quant à elle, n’a rendu publique nulle demande d’aide officielle à Israël, ne souhaitant pas apparaître comme dépendante. Cependant une telle requête a bien été faite, selon la télévision d’Etat israélienne KAN, lors d’une réunion de hauts responsables de santé israéliens et palestiniens à Ramallah, en février. Israël aurait refusé.
    L’Autorité palestinienne n’est pas pressée d’éclaircir ce point. Ses responsables évitent la presse. Ils ne souhaitent pas commenter un nouvel arrivage de vaccins orchestré par Mohammed Dahlan, un rival exilé du président Mahmoud Abbas : il a fait livrer jeudi soir 40 000 doses des Emirats arabes unis dans la bande de Gaza, le fief du Hamas. Cette deuxième livraison en un mois est une torture pour M. Abbas. Elle le renvoie à sa propre impuissance. Il attend 100 000 doses promises par la Chine, et des livraisons du système Covax de l’Organisation mondiale de la santé. Israël ne lui a fourni que 2 000 vaccins, en dépit de ses stocks immenses : plus de 7,5 millions de doses Pfizer.L’Autorité palestinienne tâche aussi de faire silence sur un scandale : 80 % des quelques milliers de doses offertes par Israël et la Russie ont été distribuées aux personnels soignants des hôpitaux, en Cisjordanie, mais de hauts responsables âgés de l’Autorité palestinienne ont aussi été vaccinés, et 200 doses ont été envoyées au royaume jordanien. Maladroitement, l’Autorité palestinienne a tenté de tenir ces faits sous silence. Des militants de la société civile soupçonnent certains de ces dirigeants d’avoir aussi fait vacciner leurs enfants. Sur la liste des bénéficiaires publiée par l’Autorité palestinienne figure une centaine « d’étudiants », sans plus de précision.Cette polémique déprime Moussa Atary, directeur médical du principal hôpital de Ramallah. Environ 20 % de son personnel médical est vacciné : 180 personnes. M. Atary n’a pas pris de vacances depuis un an, comme nombre d’infirmiers et comme l’unique pneumologue de l’établissement. Il est épuisé. Les masques, les gants manquent, et le générateur de l’hôpital ne produit plus assez d’oxygène. Mardi, il comptait 80 malades alités en état critique – on n’accepte plus les cas moins graves – et 22 autres se serraient aux urgences. M. Atary aimerait les transférer dans les hôpitaux de Naplouse ou d’Hébron, mais ils sont saturés eux aussi.Ce médecin n’est pas prompt à blâmer Israël. Il rappelle que nombre de Palestiniens ne portent plus le masque depuis des mois. Le « confinement intelligent » décrété les soirs et week-end en janvier a été mal respecté : ceux qui le pouvaient n’ont pas cessé de passer en Israël. Aujourd’hui aux entrées de Ramallah, les policiers bloquent des voitures à plaques minéralogiques israéliennes, quand bien même leurs conducteurs ont plus de chances d’être vaccinés que les autres. Le centre-ville est mort, tous les stores métalliques baissés. Qui veut un shawarma en Palestine peut aller se nourrir dans les colonies. Dans la zone industrielle de Mishor Adumim, le grill près du supermarché Rami Levy tourne à plein régime.

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