• Une gravure représentant l’écrasement du fort d’Issy, tirée du film d’animation de Raphaël Meyssan, Les Damnés de la Commune.
    Cineteve

    La Commune, grande oubliée du cinéma

    Il existe plein de films sur Jeanne d’Arc ou la Révolution. Mais sur les mois de mars à mai 1871, étonnamment, presque rien, hormis quelques films et documentaires singuliers. Un vide que vient en partie combler “Les Damnés de la Commune”, superbe film d’animation de Raphaël Meyssan à voir sur arte.tv.

    « J’entreprends de conter l’année épouvantable/ Et voilà que j’hésite, accoudé sur ma table/ Faut-il aller plus loin ? dois-je continuer ? »… Ainsi Victor Hugo introduit-il L’Année terrible, son recueil de poèmes consacré aux événements de 1871. Terrible, la déroute du second Empire devant l’armée prussienne, qui aboutit à une capitulation totale et à la chute du régime. Terrible, surtout, le massacre de ceux qui entendaient résister, dans tous les domaines et par tous les moyens, au nouvel ordre conservateur qui surgissait de cette guerre. En deux mois d’existence, de mars à mai 1871, la Commune de Paris (mais aussi de plusieurs villes de province) a rêvé de démocratie, d’égalité sociale et de partage, avant d’être anéantie dans le sang par les « versaillais », ceux qui allaient fonder la IIIe République, d’Adolphe Thiers à Jules Ferry. Aux vainqueurs, le droit d’écrire l’Histoire, d’étouffer la légende, d’en atténuer les enseignements et la complexité.

    Cent cinquante ans plus tard, cette révolution avortée hante pourtant bien des livres, elle a été chantée, racontée, étudiée. Certains de ses héros, telle Louise Michel, ont accédé à la postérité. Mais le cinéma est resté étrangement timide, lui qui naquit en 1895, seulement vingt-quatre ans plus tard. Alors que d’autres épisodes majeurs de l’Histoire – et de l’imaginaire collectif – ont été largement représentés (du cas Jeanne d’Arc à la Révolution en 1789, entre autres), les événement de 1871 ont eu bien du mal à imprégner la pellicule. Même si, avec sa dimension tragique, ses idéaux, ses convulsions, ses personnages saillants, son unité de temps et de lieu (Paris assiégé, enfermé dans l’étau de ses « fortifs »), la Commune est pourtant terriblement cinégénique.

    Pas d’épopées à gros budget

    Des films existent, bien sûr. Depuis L’Émeute sur la barricade, le tout premier (durée : quatre minutes), réalisé par Alice Guy en 1906, on en a compté (sauf erreur) un peu moins d’une quarantaine, documentaires et fictions, grand et petit écrans, toutes origines confondues. Ils existent, mais il faut les chercher. Très peu d’entre eux ont marqué l’histoire du cinéma. Aucun n’appartient à la catégorie des épopées à gros budget qui auraient pu toucher un large public. En tout cas, pas en France. Comme si plusieurs générations de producteurs influents s’étaient posé la même question que Victor Hugo au début de L’Année terrible. « Faut-il aller plus loin ? dois-je continuer ? » Manifestement, la réponse était non. Et le cinéma populaire est resté… sinon « versaillais », du moins indifférent.

    Dans les premières décennies du XXe siècle, ceux qui se sont emparés du sujet l’ont fait d’abord pour des raisons politiques. À commencer par La Commune, d’Armand Guerra, en 1914, reconstitution produite par la société de production coopérative Le Cinéma du Peuple, qui entendait redonner ses lettres de noblesse et sa légitimité historique à la classe ouvrière. Le film s’achève d’ailleurs, de manière très touchante, par une séquence documentaire montrant face caméra un groupe d’anciens combattants, authentiques survivants de la Commune, tels que Zéphirin Camélinat, Jean Allemane, Nathalie Lemel.

    Dans les années 1920, c’est surtout le cinéma soviétique qui s’intéresse à la période. Cette fois, l’Histoire est « écrite » par des vainqueurs, ceux de 1917, qui voient dans la Commune le laboratoire et la matrice de leur propre révolution, avec par exemple un chef-d’œuvre comme La Nouvelle Babylone, de Grigori Kozintsev, qui retrace les événements à travers le parcours d’une vendeuse de grand magasin, ou encore La Pipe du communard, de Constantin Mardjanov, inspiré du livre de Karl Marx, La Guerre civile en France.

    Chant de bataille pour la mémoire

    Enjeu idéologique pour ceux qui l’utilisent, la Commune le reste aussi pour ceux qu’elle horripile… En 1951, La Commune de Paris, documentaire de Robert Ménégoz qui présente le moment historique comme une « première ébauche de la dictature du prolétariat » fut interdit par la censure jusqu’en 1956 pour cause de... « considérations fallacieuses et insultantes à l’égard de Mr Thiers ». C’est dire si la Commune reste un chant de bataille pour la mémoire, mais aussi le lieu symbolique où s’affrontent les adversaires du moment. Dans les années 1920, il s’agit de justifier la révolution d’Octobre. Dans les années 1950, de s’opposer à la société capitaliste et bourgeoise, avec toute la puissance du Parti communiste de l’époque. Et dans les années 1970, alors que fleurissent à nouveau quelques films (parmi lesquels La Semaine sanglante, de Joël Farges, en 1976, Rossel et la Commune de Paris, de Serge Moati, et La Barricade du point du jour, de René Richon, en 1977…), il est autant question de célébrer le centenaire de l’insurrection que de faire écho aux barricades encore récentes de Mai 68.

    Du téléfilm L’Année terrible , de Claude Santelli, en 1985, au « décor » historique du Festin de Babette (l’héroïne est une communarde exilée au Danemark), de Gabriel Axel, en 1987, ou encore 1871, du Britannique Ken McMullen, en 1990, le sujet réapparaît ensuite ça et là, avant de retrouver une force singulière grâce à un autre Anglais, le cinéaste militant Peter Watkins. La Commune (Paris, 1871) , diffusée en 2000 sur Arte en version longue (cinq heures quarante-cinq), puis en version « courte » (trois heures trente, tout de même), sept ans plus tard, dans les salles de cinéma, est sans doute l’une des expériences les plus importantes et les plus libres jamais inspirées par l’événement. Volontairement anachronique (la « télé » versaillaise, sorte d’ORTF ultraconservatrice, s’y oppose au désordre libertaire de la « chaîne pirate » des communards), ce film fleuve expérimental, réalisé à Montreuil avec deux cents comédiens, interroge frontalement le présent, de l’influence des médias à l’avenir des luttes sociales. Plus que son déroulement exact, c’est l’esprit de la Commune, dans ses élans comme dans ses contradictions, mais aussi dans sa modernité, qui souffle au cinéaste cette brûlante œuvre-pamphlet. « J’espère , confiait-il en 2000 au Monde diplomatique, que La Commune sera un outil d’apprentissage pouvant aider à disséquer et à mettre en cause les conventions du cinéma et de la télévision. »

    Depuis, si l’on excepte le téléfilm Louise Michel , de Solveig Anspach, en 2008, on n’avait pas vraiment revisité les barricades. Et il aura fallu attendre ce 23 mars, sur Arte, pour découvrir un autre superbe coup d’audace : Les Damnés de la Commune , le film d’animation de Raphaël Meyssan, adapté se son roman graphique du même nom (éd. Delcourt, 2017-2019), entièrement réalisé à partir de gravures d’époque. L’occasion de constater, encore une fois, que les meilleurs films sur la Commune sont ceux qui, comme elle, veulent bousculer l’ordre établi, changer les règles. Et dire, comme Victor Hugo dans L’Année terrible : « N’importe. Poursuivons. L’histoire en a besoin /Ce siècle est à la barre et je suis son témoin. »

    Cécile Mury

    https://www.youtube.com/watch?time_continue=2&v=p2v7U9E3NnU&feature=emb_logo

    https://vimeo.com/26026952

    #Commune_de_Paris

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