• Joe Biden face à une première crise à la frontière avec le Mexique
    https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/22/joe-biden-face-a-une-premiere-crise-a-la-frontiere-avec-le-mexique_6073993_3

    En un mois, plus de 10 000 enfants et adolescents sans papiers ont déjà été recensés, un niveau inédit depuis les arrivées massives de 2014. Les grandes tentes blanches disposées géométriquement sont entourées d’un grillage doublé d’une bâche textile qui les dissimule aux regards. Lorsque l’on s’approche, un gardien tire précipitamment la barrière mobile qui en commande l’entrée avant d’inviter à passer son chemin. Le camp de Donna, dans le sud-est du Texas, fonctionne depuis plus d’un mois et il est devenu un symbole de la nouvelle poussée migratoire à laquelle est brusquement confrontée l’administration de Joe Biden, un peu plus de soixante jours après son arrivée à la Maison Blanche.La frontière avec le Mexique n’est distante que d’une dizaine de kilomètres, plus au sud, au bout d’une vaste plaine agricole. Elle est annoncée par des tronçons discontinus du mur voulu par Donald Trump, mais encore inachevé.
    Comme le confirme Roderick Kise, du service des douanes et de la protection des frontières, les tentes de Donna, climatisées, accueillent depuis un mois de nouveaux candidats à l’immigration dont il se garde cependant de préciser le nombre. Il s’agit de mineurs isolés que la nouvelle administration refuse désormais de renvoyer côté mexicain pour des raisons humanitaires, comme elle le fait au contraire pour les adultes ou la majorité des familles venues pour l’essentiel d’Amérique centrale.Depuis ce changement de politique, les chiffres s’envolent. En un mois, plus de 10 000 enfants et adolescents sans papiers ont déjà été recensés, un niveau inédit depuis les arrivées massives de 2014. Environ la moitié se trouvaient dans un de ces centres du service des frontières au 21 mars. La loi impose que le séjour de ces mineurs n’y excède pas soixante-douze heures, un délai devenu très difficile à tenir. Ils doivent ensuite être remis aux services relevant du département de la santé, ou bien placés dans des familles d’accueil. L’afflux actuel place les services fédéraux d’autant plus sous tension qu’ils sont tenus de respecter les nouvelles contraintes de distance physique imposées par l’épidémie de Covid-19. Un centre de convention de Dallas a été réquisitionné pour héberger ces mineurs. La Federal Emergency Management Agency (FEMA) – l’organisme gouvernemental qui intervient lors des catastrophes naturelles – a été également appelée à la rescousse. Les enfants retenus dans ces centres ont reçu la visite d’avocats. Une délégation d’élus du Congrès s’est également rendue sur place pour évaluer leurs conditions d’hébergement, souvent spartiates. La presse a été gardée à distance. Depuis des jours, l’administration de Joe Biden refuse d’utiliser le terme de « crise » pour dépeindre la situation à la frontière, préférant celui de « défi », plus neutre. (...) l’épidémie impose de nouvelles procédures. Ces migrants, arrêtés par la police des frontières après le franchissement clandestin du Rio Grande ou bien sans le moindre visa, doivent passer par d’autres tentes, installées non loin du centre, pour y subir un dépistage du virus. C’est seulement ensuite qu’ils sont autorisés à se rendre dans le bâtiment d’un ancien night-club reconverti en foyer d’accueil, pour s’y reposer ou s’y laver, avant de repartir vers des familles d’accueil dans l’attente d’un jugement sur leur sort.(...)
    Dénonçant une politique migratoire « ravagée », qui a entraîné l’entassement de migrants côté mexicain à la frontière avec les Etats-Unis, ce dernier a immédiatement promis depuis une refonte complète et ambitieuse, y compris en évoquant une aide massive pour les sociétés civiles des pays de départ. Dans l’intervalle, la frontière reste officiellement fermée. Les responsables de l’administration Biden ne cessent depuis de marteler ce message, y compris en espagnol, sans effet notable pour l’instant sur la détermination des candidats à l’immigration. Le changement de ton à la Maison Blanche a-t-il créé un appel d’air ? « Il n’y a rien de vraiment nouveau dans le fait que des gens veuillent venir » aux Etats-Unis, estime sœur Norma Pimentel, du haut de son expérience de la frontière, « mais il est vrai que le discours compassionnel du nouveau président a pu avoir un effet ».Norma Herrera, une avocate de la vallée du Rio Grande, relativise. « Les gens qui quittent leur pays, leurs familles et leurs amis se déterminent toujours bien plus en fonction de ce qui se passe chez eux que de ce qui peut se dire ici. S’ils décident d’affronter tous les dangers que comporte le voyage vers cette frontière, c’est en premier lieu pour fuir une situation devenue insupportable », suggère-t-elle, énumérant le poids des violences liées aux gangs ou bien les effets des ouragans qui se sont abattus sur l’Amérique centrale à l’automne 2020. (...) Avant lui (Trump), des responsables républicains ont estimé que la situation faisait peser des risques pour la sécurité des Etats-Unis. Kevin McCarthy, le chef de la minorité républicaine à la Chambre des représentants, a évoqué des migrants venus du Yémen et d’Iran alors que le gouverneur républicain du Texas a dénoncé l’afflux de porteurs potentiels du virus. Après avoir suivi à la lettre le programme qu’elle s’était fixé depuis le 20 janvier, la nouvelle administration démocrate est désormais confrontée à sa première crise. Si elle perdure, elle pourrait parasiter les premiers résultats qu’elle revendique : le passage d’un gigantesque plan de soutien à l’économie, très populaire dans l’opinion américaine, et l’efficacité de la campagne de vaccination contre le Covid-19 qui permet d’espérer un début de retour à la normale. Après avoir vanté son plan de soutien en Pennsylvanie, Joe Biden a prévu de se rendre cette semaine dans l’Ohio, pour en faire de même. Il n’a cependant pas exclu, dimanche, de se rendre à la frontière « le moment venu ».

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